Patrick Dupoux : « En 2013, la quasi-totalité des PDG des grandes multinationales sont allés en Afrique »
Dans son rapport « Winning in Africa », publié le 9 janvier, le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) souligne la diversification croissante de l’économie africaine qui attire de plus en plus d’investisseurs étrangers. Retour avec Patrick Dupoux, directeur associé et cofondateur du bureau du BCG basé à Casablanca, sur cette transformation.
Trois ans et demi après le rapport « African challengers » consacré à l’émergence économique du continent, le cabinet de stratégie Boston Consulting Group (BCG) invite de nouveau les entreprises à regarder au sud de la Méditerranée. Publié le 9 janvier dernier, le rapport « Winning in Africa » met en relief la transition progressive d’une économie de comptoirs, centrée essentiellement sur l’exploitation brute des matières premières, au développement d’écosystèmes économiques plus diversifiés. Son co-auteur Patrick Dupoux, Directeur associé et co-fondateur du bureau du BCG basé à Casablanca, décrypte la tendance pour Jeune Afrique.
Propos recueillis par Julien Clémençot
Dans votre rapport, vous insistez sur la fin des économies de comptoirs.
Depuis 1995, les actifs représentent enfin plus de 50% de la population totale en Afrique.
Effectivement. Même si les matières premières jouent encore un rôle important dans l’économie du continent, il est important de constater qu’elles ne constituent pas le ressort unique de la croissance africaine – supérieure à la moyenne mondiale depuis les années 2000. Le point d’inflexion économique pour le continent se situe un peu avant 2000, alors que le boom des cours des matières premières n’arrive qu’après 2003.
Par ailleurs, on constate que les pays moins riches en ressources naturelles ont eu une croissance presque aussi forte que ceux qui en sont richement dotées. C’est le cas de pays tels que le Maroc, le Rwanda ou le Ghana, où la croissance a été surtout tirée par les services, la banque et les télécoms.
Si ce ne sont pas les matières premières, qu’est ce qui explique le reversement de tendance après des années 1980 et 1990 difficiles pour l’Afrique ?
En premier lieu, l’Afrique a enfin bénéficié d’un afflux de capital, provenant de plusieurs sources : transferts monétaires des populations émigrées, facilités par le développement des services de sociétés comme Western Union, et décollage des investissements privés dans les télécoms ainsi que les infrastructures. La seconde raison tient au début d’une transition démographique.
Depuis 1995, les actifs représentent enfin plus de 50% de la population totale. L’Asie a enclenché cette transition 15 ans auparavant, et cela a été clé dans le le début de son décollage. La progression de l’alphabétisation et de l’éducation sont également des facteurs importants. La troisième raison est l’émergence de la téléphonie mobile et d’internet, qui ont facilité l’accès au savoir et aux technologies et généré des gains de productivité considérables.
Enfin, il y a l’amélioration du climat politique. La plupart des pays africains sont démocraties ou sont engagés dans une phase de transition démocratique. Bien sûr, l’Afrique n’est pas encore la Scandinavie, mais la perspective a largement changé par rapport aux années 1990. Tous ces facteurs ont contribué à favoriser la croissance économique et le développement d’une nouvelle classe de consommateurs.
En 2006, 10% des patrons des trente plus grands groupes mondiaux s’étaient rendus en Afrique. En 2013, ce chiffre est monté à 90%.
Combien sont-ils ?
On estime que 200 millions de personnes vivent dans un foyer dont les revenus dépassent 10.000 dollars par an, le seuil à partir duquel on commence à avoir un pourvoir d’achat que l’on peut utiliser de manière discrétionnaire. Ce chiffre devrait approcher les 300 millions d’ici 2020.
Comment les entreprises peuvent-elles profiter de cette opportunité ?
Cela impose un changement d’état d’esprit. Les entreprises ne peuvent plus se contenter de gérer l’Afrique à distance, en négociant leurs contrats avec quelques personnes – distributeurs ou gouvernements, sans développer de présence et de savoir-faire local. Elles ne peuvent plus opérer leurs activités uniquement avec des expatriés. Elles ne peuvent plus développer leurs produits uniquement pour une micro-élite, en ignorant l’émergence de la classe mondiale. Dans le secteur des matières premières, elles ne peuvent plus extraire les ressources naturelles sans réaliser des transformations locales, ou au moins s’intéresser au développement des communautés locales. De plus en plus, le succès des entreprises va passer par le développement d’un écosystème local – qu’ils soient clients, équipes, fournisseurs, communautés, distributeurs…
C’est à dire
La formation de compétences locales ou le recours à des fournisseurs locaux, l’investissement local, vont devenir critiques pour réussir en Afrique. Mais parce que l’Afrique reste un continent complexe, où le un niveau de risque reste souvent élevé, les dirigeants devront être sélectifs dans leurs investissements.
Le marché africain est-il d’ores et déjà devenu une priorité pour les grandes entreprises ?
Assurément. En 2006, 10% des patrons des trente plus grands groupes mondiaux s’étaient rendus en Afrique. En 2013, ce chiffre est monté à 90%. Le point d’inflexion est intervenu après le déclenchement de la crise financière de 2008. Le continent a alors émergé comme une priorité.
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La concurrence y est encore moins vive qu’ailleurs, mais ceux qui y investissent aujourd’hui vont prendre un temps d’avance. Nos travaux ont par exemple montré que les consommateurs africains sont très intéressés par les marques étrangères et qu’ils y sont en plus fidèles.
Quelles multinationales font figurent de pionniers en la matière ?
Parmi les bons élèves, on trouve Coca Cola, Nokia, Unilever qui réalisent déjà autour de 10% de leur chiffre d’affaires sur le continent. Pour mesurer l’évolution des mentalités au sein des multinationales, il suffit de voir l’importance accordé par les managers de Samsung, dans le cadre de leur évolution de carrière, à leur passage sur le continent.
Le développement de la consommation africaine peut-il déboucher sur une industrialisation du continent ?
Cela prendra peut-être plus de temps qu’en Chine. Reste que l’on en voit les prémices. Avec Renault, le Maroc produit déjà des voitures pour l’Allemagne. L’Égypte, la Tunisie ou encore l’Éthiopie ont aussi développé des zones industrielles à vocation exportatrice. Par ailleurs, en 2040, l’Afrique aura la population en âge de travailler la plus importante au monde. Trouver des emplois va être une priorité pour les gouvernements. Il n’y a pas de raisons que l’Afrique ne manufacture pas les produits vendus sur son sol.
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