Le pari « high-tech »

Informatique, électronique, téléphonie, Internet… le développement des nouvelles technologies modifie les habitudes de la population.

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Chômeur âgé de 22 ans, Faouzi n’a pas de compte en banque. Mais il a mieux. « J’ai pris la carte e-Dinar Universel à la poste de Bab Souika, mon quartier à Tunis, explique-t-il. C’est un porte-monnaie électronique. Je fais des petits boulots dans le bâtiment et quand j’ai un peu d’argent, je le verse sur ma carte. » Faouzi s’en sert pour retirer du liquide dans l’un des distributeurs automatiques de billets (DAB) de la capitale. S’il avait des revenus plus importants, il pourrait aussi s’en servir pour faire ses courses chez l’un des quatre mille commerçants dotés d’un terminal. Ou bien pour régler des achats sur des sites Web tunisiens, à partir d’une des trois cents boutiques d’accès Internet « Publinet » du pays.
La carte « e-Dinar » a été conçue et lancée par La Poste tunisienne, entreprise publique. Elle illustre la volonté des autorités de hisser le pays parmi les nations les plus avancées en technologie. En dépit de certains handicaps, les industries des télécommunications et de l’Internet commencent d’ailleurs à émerger. « Nous n’avons pas le choix, les technologies de l’information sont le moteur de l’économie de demain », affirme Elhaj Gley, le PDG de La Poste tunisienne. « Les lettres vont disparaître. La Poste de demain sera électronique. Internet n’est pas pour nous une simple option, c’est le coeur de notre métier. »
Elhaj Gley a mené cette modernisation tambour battant : banque en ligne avec CCP.net ; paiement des factures d’eau, de gaz, de téléphone ou d’électricité par Internet, avec Fatoura Net ; transferts électroniques d’argent ; Web-télégramme ; coordination des sites Web des administrations…
Dans cette course au progrès, la Tunisie est avantagée par ses infrastructures de télécommunications. Opérateur historique, Tunisie Télécom « n’a rien à envier, au niveau technique, à la plupart des pays européens », souligne son PDG, Ahmed Mahjoub. L’entreprise, qui ouvrira bientôt 10 % de son capital au privé, compte 1,2 million d’abonnés en ligne fixe. Elle s’est lancée dans l’aventure du téléphone mobile : 1,9 million d’abonnés déjà, qui devraient passer à 4 millions d’ici à la fin de 2005. Elle est concurrencée depuis 2002 par l’opérateur privé Tunisiana, filiale conjointe du groupe égyptien Orascom et du koweïtien Watania (500 000 abonnés à la fin de 2003, avec un objectif de 987 000 à la fin de 2004). Pour faire face à la concurrence du privé, Tunisie Télécom a engagé de grands travaux d’infrastructures pour Internet.
Les fournisseurs de services Internet, cinq sociétés privées (Global Net, TopNet, Hexabyte, Tunet et Planet), vont en profiter aussi. « L’ADSL va être proposé au grand public avec un débit de 128 kilobits contre 56 kilobits auparavant », se réjouit Fathi Bhoury, directeur général de Planet. C’est une étape pour l’accès des internautes au véritable haut débit (1 mégabit et plus).
La présidente de l’Agence tunisienne d’Internet (ATI), Faryel Beji, annonce déjà 700 000 internautes, soit 7 % de la population (contre 2 % au Maroc et en Égypte) : « L’objectif est de franchir le cap des 2 millions avant la fin de 2006. »
La Tunisie a été le premier des pays arabes et africains relié à Internet en 1991, grâce à l’Institut régional des sciences informatiques et des télécommunications (Irsit) de Tunis. L’accès au réseau fut réalisé pour les particuliers et les entreprises en 1996. Les ambitions high-tech reposent sur des bases solides. Le taux d’alphabétisation est élevé pour un pays africain : 73 % d’une population de près de 10 millions d’habitants. Le pays consacre près de 7 % de son PIB aux dépenses d’éducation. Il compte 300 000 étudiants. Et plus de 3 000 chercheurs, selon le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), même si un nombre plus grand est expatrié en Europe et aux États-Unis.
« Notre objectif est de réunir des universités, des entreprises et des chercheurs des secteurs public et privé, pour qu’ils nouent des relations fortes et développent leurs échanges », indique Mohsen Triki. La Technopole des communications El-Ghazala de l’Ariana, au nord de Tunis, dont il est le directeur général, est une réussite. Moins de cinq ans après sa création, elle rassemble 3 200 personnes, dont 1 500 étudiants en informatique et en génie des communications et plus d’un millier d’ingénieurs. De grandes entreprises comme la suédoise Ericsson et la franco-italienne STMicroElectronics s’y sont implantées. De jeunes sociétés high-tech y naissent aussi. La Tunisie mise sur la formule de la technopole, qui a fait la prospérité de la fameuse Silicon Valley près de San Francisco (aux États-Unis), pour bâtir ses nouvelles industries. D’ici à 2008, douze technopoles seront opérationnelles en Tunisie. À Sousse, capitale du Sahel, à 140 km au sud de Tunis, le site en construction accueillera dans deux ans une industrie futuriste : les nanotechnologies. Celles-ci concernent les entités et capteurs de taille plus que microscopique qui seront les éléments de base des industries de la communication, des biotechnologies et de la pharmacie de demain. À Sfax, deuxième ville de Tunisie et active cité commerçante avec ses 2 500 PME-PMI, le parc technologique abritera la fine fleur des industries multimédias du pays (dont des centres d’appels et des sociétés de téléservice). Cet ambitieux programme national n’est toutefois pas sans failles. Si les pouvoirs publics souhaitent démocratiser l’accès à Internet, ils entendent aussi en contrôler l’usage. Pour un pays qui va accueillir dans sa capitale le Sommet mondial sur la société de l’information du 16 au 18 novembre 2005, ce type de pratiques suscite des débats. Dans le même temps, la Tunisie se targue de favoriser l’essor des entreprises privées et les investissements étrangers. Mais les technopoles restent des oasis dans un paysage économique « traditionnel ». Les entreprises tunisiennes préfèrent emporter des marchés publics, sûrs et rentables, plutôt que d’innover, solution plus risquée.
De leur côté, les entreprises étrangères vendent surtout leurs équipements technologiques. Peu s’implantent pour utiliser le potentiel des ingénieurs et de la recherche : la réglementation ou la non-convertibilité du dinar les gênent moins qu’un climat des affaires « à la tunisienne », qui conduit certains à se montrer parfois oublieux des règles du droit. Pour que les entreprises innovent et que le peuple adopte les nouvelles technologies, les autorités devront lâcher la bride de la société tunisienne.

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