Le mystérieux M. Chaffi

Publié le 8 septembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Il se présente comme « un simple ressortissant mauritanien immigré au Burkina », ou encore comme « un Tajekanet qui cherche la paix » [du nom de sa tribu, originaire de l’est de la Mauritanie]. Il cultive la discrétion, affirme « faire des affaires » et ne se reconnaît qu’un seul motif d’être connu: celui d’être « l’un des premiers philatélistes en Afrique ». Joint au téléphone par J.A.I. à Ouagadougou où il vit, Moustapha Ould Limam Chaffi, 46 ans, serait donc un homme sans histoire. Non, il n’a rien à voir avec tout ce qu’on lui reproche à Nouakchott, non il n’est pas le conseiller du président Compaoré, « même si Blaise » dit-il « est un homme que je respecte beaucoup ». Oui, il a « beaucoup de relations » et connaît beaucoup de monde, du beau monde, « en Afrique, dans le monde arabe et ailleurs », et alors? Oui, le régime du président Ould
Taya est à ses yeux « un régime très policier », raciste et paranoïaque, jaloux de surcroît de sa réussite à lui. Mais attention : Moustapha Ould Limam Chaffi ne dit pas cela en tant qu’opposant, car, ne serait-ce que pour ne pas gêner ses hôtes, il s’abstient de faire de la politique. Il le dit en tant que Mauritanien, à qui rien n’interdit de donner son point de vue. Comment dès lors expliquer la volonté persistante des autorités mauritaniennes d’incriminer un aussi paisible citoyen, qui ne fait rien d’autre que garder ses opinions pour lui ? Chaffi a sa réponse toute prête : « J’ai refusé, à plusieurs reprises, de leur servir d’espion et de mouchard, alors, jaloux de surcroît des entrées dont je bénéficie en Afrique, dans le monde arabe et ailleurs, ils ont décidé de me faire la guerre. »
Qui est le vrai Moustapha Ould Limam Chaffi ? Le pacifique homme d’affaires émigré comme tant de Mauritaniens de l’étranger, pris dans la tourmente d’un piège kafkaïen, ou le deus ex machina dont Nouakchott exige la tête? Né d’une mère touarègue du Niger, Moustapha
est le fils de Limam Chaffi, qui fut l’un des premiers grands commerçants marabouts de la diaspora mauritanienne en Afrique. Installé au Sénégal, puis au Niger, Limam Chaffi acquiert peu à peu un statut de notable, à la fois boutiquier prospère et religieux respecté, expert en commerce de comptoir et en consultations avec l’au-delà, dont les
activités s’étendent de Dakar à Brazzaville. Parmi son cercle d’amis et de fidèles, le vieux Chaffi compte le père lui aussi mauritanien de l’actuel président nigérien Mamadou Tandja ainsi que l’ancien président du patronat de Mauritanie, Mohamed Ould Abbas, un Tajekanet comme lui, qu’il initia aux affaires. Mais Limam Chaffi ne fait pas
que du CFA, il fait aussi de la politique. Le 15 mars 1976, après l’attaque nocturne de la résidence du président Seyni Kountche à Niamey, il est arrêté en compagnie d’un ancien ministre, d’un capitaine de l’armée et du secrétaire du syndicat unique. Motif: complicité de tentative d’assassinat du chef de l’État. Il faudra tout l’entregent et la persuasion du président mauritanien Mokhtar Ould Daddah pour le sortir de ce mauvais pas.
De retour en Mauritanie, Limam Chaffi reprend ses activités de commerçant sans frontières en évitant soigneusement le Niger. Lorsque Maaouiya Ould Taya accède au pouvoir en 1984, il bascule rapidement dans l’opposition. Aujourd’hui octogénaire, il est le vice-président
du Rassemblement des forces démocratiques, le parti d’Ahmed Ould Daddah, frère cadet de son sauveur.
Commerce, politique, coup d’État: son fils, Moustapha Ould Limam Chaffi, aujourd’hui dans le collimateur du pouvoir mauritanien, a donc de qui tenir. Tôt installé à Ouagadougou, autodidacte, il se lie d’amitié avec Thomas Sankara et Blaise Compaoré avant même leur arrivée au pouvoir, puis accompagne le premier lors de son passage à la tête de l’État. Déjà, on parle de lui comme d’un conseiller occulte influent, qui voyage beaucoup. Après l’assassinat de Sankara, le jeune Chaffi se replie au Niger, puis en France et en Suisse, où il travaille un moment dans l’impression de timbres-poste à destination de l’Afrique. De retour à Niamey, il met à profit son amitié avec le président Ibrahim Baré Maïnassara pour se réintroduire au Burkina où règne, désormais, Blaise Compaoré. Depuis, Ouaga est son fief, Blaise l’ami à qui il rend service dès qu’il le peut, et le changement de pouvoir en Mauritanie l’une de ses obsessions. Proche de l’opposition radicale en exil et notamment du très actif Abdel Nasser Ould Yessa, Moustapha Ould Limam Chaffi assure pourtant n’avoir aucune relation avec les services spéciaux burkinabè et n’exercer aucune fonction auprès du président Compaoré: « Si je suis son conseiller, c’est dans l’imagination des autorités mauritaniennes », dit-il, et s’il lui arrive de se rendre en Libye, notamment lors du sommet fondateur de l’Union africaine à Syrte en 1999 où on le vit beaucoup en coulisses, c’est « à titre purement personnel ». On peut comprendre cette dénégation, tant le lien entre l’opposant et le conseiller, fût-il officieux, est potentiellement dévastateur. Mais doit-on y croire?
Des rebelles ivoiriens du Nord au Congolais Bizima Karaha, du RUF sierra-léonais aux dissidents touaregs, des Toubous du Tibesti à Alpha Condé et Gilchrist Olympio, ce personnage discret d’apparence fragile, que l’on voit fréquemment à l’aéroport de Ouagadougou, observant les passagers en provenance de France ou d’ailleurs, connaît, fréquente, « traite » parfois, tous ceux pour qui Blaise Compaoré est à la fois un recours et un hôte. Présent au sein de la délégation burkinabè lors de l’investiture
d’Amadou Toumani Touré à Bamako en juin 2002, il n’est jamais loin de « son » chef d’État. À Paris, où il se rend souvent, Chaffi a ses entrées, son carnet d’adresses et son petit cercle de journalistes amis. Le parfait profil d’un homme de l’ombre, en somme, que les vicissitudes de l’actualité viennent de projeter en pleine lumière. À son grand
déplaisir.

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