La guerre du cacao fait rage

Les projets de réorganisation de la filière exacerbent les conflits d’intérêt. Les bailleurs de fonds demandent plus de transparence, mais certains dirigeants veulent conserver le contrôle de cette manne stratégique.

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Assis à l’ombre d’un cacaoyer, sa machette à ses côtés, Mamadou Ouédraogo est songeur. Ce producteur de la région de Daloa, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, se demande, à moins d’un mois du lancement officiel de la campagne cacaoyère – prévu pour le 1er octobre -, quels revenus il tirera de sa récolte. À 400 km de là, à Abidjan, se joue son avenir. Les différents représentants des producteurs et des organismes de gestion de la filière café-cacao se livrent, par médias interposés, une guerre sans merci, sur fonds d’intérêts politiques et sous l’étroite surveillance de la communauté internationale. Enjeu principal ? Le contrôle de la filière cacao, première source de revenus de la Côte d’Ivoire, qui produit 1,3 million de tonnes de fèves, soit 40 % de la production mondiale.
Le déclenchement des hostilités est survenu début août avec la rumeur du rachat de Dafci, filiale ivoirienne de Bolloré spécialisée dans le négoce du cacao. L’information n’a pas été confirmée par le groupe français. Mais pour Henri Amouzou, un représentant des planteurs qui assure la présidence du Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs café-cacao (FDPCC), organisme privé, l’affaire est déjà faite. C’est le Fonds de régulation et de contrôle du café-cacao (FRC), chargé de la régulation financière de la filière, qui a obtenu le marché.
Henri Amouzou considère que ce projet traduit la volonté des autorités et d’un petit groupe de privilégiés de remettre la main sur la filière. Le président de la FDPCC, relayé par certains exportateurs, prête au FRC le dessein d’utiliser les structures de Dafci sur le terrain (véhicules, logistique, entrepôts où le grain est trié, conditionné, stocké, etc.) pour mettre en place un nouveau système de commercialisation du café et du cacao dans le pays. L’idée est de créer des entrepôts de collecte du cacao dans toutes les régions du pays avant sa commercialisation. Le FRC posséderait deux alliés de poids pour réaliser ce projet : la Banque nationale d’investissement (BNI) et ACE (Audit, contrôle, expertise), un cabinet spécialisé dans le contrôle qualité, avec la bénédiction du ministère de l’Économie et des Finances.
« C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le FRC s’est détourné de sa mission de soutien du prix aux producteurs en cas de chute des cours mondiaux pour se lancer dans l’achat d’entreprises et le contrôle de la commercialisation », explique un exportateur abidjanais.
Pour demander l’annulation du projet, Henri Amouzou mobilise ses fidèles. Des producteurs, pour la plupart, soutenus par le fonds de garantie qu’il dirige. Début août, le pavé abidjanais est soudain envahi par ses partisans, qui protestent devant la Caistab (ancienne Caisse de stabilisation du café-cacao et actuel siège du ministère de l’Agriculture et des organes de régulation de la filière). Les pancartes hostiles au ministère de l’Économie et des Finances, à la BNI et à ACE fleurissent. Les personnes visées ne manquent pas de répliquer, faisant aussitôt descendre leurs affidés dans la rue.
Depuis un mois, Abidjan et le reste du pays vivent depuis au rythme de ces manifestations. Certaines organisations paysannes autonomes en profitent pour demander purement et simplement la dissolution des structures de régulation et de gestion de la filière. Elles relaient, en tout cas, le malaise de planteurs fortement ponctionnés par les pouvoirs publics. En 2004, pour chaque kilo de cacao produit et vendu, les producteurs ont gagné environ 300 F CFA (0,46 euro). C’est moins que ce qui est perçu sous forme de taxes fiscales ou parafiscales par l’État et les différents organismes de régulation et de commercialisation de la filière, soit plus de 310 F CFA (0,47 euro). Depuis la campagne 2001-2002, plus de 1 259 milliards de F CFA ont été prélevés sur le dos des planteurs. « L’argent du cacao est l’épine dorsale du pays. Il permet de payer les fonctionnaires, de rembourser la dette, de garder la tête hors de l’eau… Sinon c’est l’explosion », explique un membre du Conseil économique et social. Pendant, la période de crise, il a également permis de participer à l’effort de guerre, les différentes structures de gestion de la filière et les groupements de producteurs ayant manifesté leur soutien au président Gbagbo en faisant de larges dons aux autorités.
Les bailleurs de fonds appellent quant à eux à une profonde réorganisation des activités café-cacao au profit des opérateurs privés (producteurs et exportateurs). « Les organes de gestion de la filière travaillent dans l’opacité et se sont détournés de leur mission initiale d’appui aux producteurs et aux exportateurs », explique un représentant de la communauté internationale. Du 20 au 30 août dernier, les consultants du cabinet français IDC ont entrepris leur deuxième mission en moins d’un an en Côte d’Ivoire, pour finaliser l’audit des flux financiers du secteur café-cacao commandé par le ministère de l’Économie et des Finances sous la pression du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union européenne (qui l’a financé). Les experts sont repartis avec de faibles résultats, les deux principaux organes de captation des taxes des planteurs, le FDPCC et le FRC, ne leur ayant pas ouvert leurs comptes. Ils auront néanmoins de quoi achever leur audit, un préalable requis par les autorités pour engager des réformes. Le rapport provisoire remis à la fin 2003 dénonçait déjà les irrégularités de gestion des organes de régulation, les prérogatives qui se chevauchent ou encore la gabegie financière des responsables de la filière.
Le ministère de l’Agriculture, piloté par Amadou Gon Coulibaly, ministre issu du Rassemblement démocratique républicain (RDR, opposition) depuis la mise en oeuvre des accords de Marcoussis, s’appuie sur les revendications des bailleurs de fonds et les mécontentements de certains exportateurs pour demander des changements. Il devrait proposer une réorganisation complète du système lors des prochains Conseil des ministres et Conseil interministériel des matières premières. En attendant, les rumeurs vont bon train : on parle notamment d’une dissolution du FRC. Le ministère de l’Économie et des Finances, à la tête duquel se trouve Paul-Antoine Bohoun Bouabré, un ministre issu du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir), continuera-t-il malgré tout à appuyer le projet FRC-BNI-ACE alors que certains représentants des producteurs, des exportateurs et les bailleurs de fonds y sont hostiles ? Réponse dans les jours à venir.

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