En quête de la terre promise
Expropriés au Zimbabwe, les fermiers blancs sont accueillis par les pays voisins qui recherchent leur savoir-faire.
Alors que le Zimbabwe a annoncé, début août, la saisie de 449 fermes supplémentaires appartenant à des Blancs, plusieurs pays africains, dont le Mozambique, la Zambie et, plus récemment, le Nigeria, ouvrent leurs portes aux fermiers expropriés. Et pour cause : dans ces pays, les secteurs agricoles sont encore largement sous-exploités, et l’expertise des fermiers blancs serait précieuse. En Zambie et au Mozambique, l’économie est essentiellement rurale, mais repose sur l’agriculture de subsistance. Et moins de 10 % des terres arables y sont mises en valeur. La vague de nationalisations des années 1970 a miné le développement de l’agriculture zambienne, tandis que le secteur primaire mozambicain a pâti du départ massif des colons portugais après l’indépendance en 1975, du ratage des politiques socialistes des années 1980, et des ravages de la guerre civile jusqu’en 1992.
Pays pauvre parmi les pauvres, le Mozambique a jusqu’à présent accueilli la majorité des fermiers zimbabwéens qui s’exilent. En deux ans, la fertile province de Manica, au centre du pays, a reçu environ 500 d’entre eux. Les résultats ne se sont pas fait attendre : en une année, les exportations de Manica (tabac, or, paprika, maïs) ont été multipliées par dix, grimpant de 1 million de dollars en 2002 à 10 millions de dollars en 2003. La production de céréales a progressé d’un tiers pour atteindre 300 000 tonnes. Soares Nhaca, gouverneur de la province, estime que « les fermiers zimbabwéens y sont pour beaucoup, car ils ont apporté avec eux un savoir-faire et une technologie modernes ».
Y a-t-il un risque de voir se reproduire les inégalités et les tensions qu’a connues le Zimbabwe ? « Non, répond le gouverneur, car les fermiers zimbabwéens ont tiré la leçon de leur expérience là-bas » et parce qu’au Mozambique « avant d’octroyer une terre à un étranger, la population et les dirigeants locaux sont consultés ».
Les fermiers blancs, eux aussi, sont confiants. En premier lieu, parce que, héritage de l’ère socialiste, la terre appartient à l’État. Celui-ci cède des parcelles de 1 000 hectares maximum à des individus ou à des entreprises, pour une période de cinquante ans renouvelable. Pas de risque, donc, de les voir un jour réquisitionnées. En second lieu parce que, depuis 1997, le Mozambique reconnaît l’existence d’un droit d’usage et de jouissance de la terre.
Pour Laurent Billy, juriste et coopérant français à Maputo, le pays a mis en place un système « pionnier et novateur » qui, tout en excluant la propriété privée et le risque de spéculation foncière, a su attirer les investisseurs et protéger le droit historique des communautés sur leurs terres, un des enjeux fonciers majeurs en Afrique.
Le modèle mozambicain semble donc bien parti. Tout du moins est-il « cohérent », nuance Daniel Compagnon, professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et spécialiste des questions agraires. « Le pays a choisi une politique économique de valorisation des ressources et cherche donc à attirer des investissements directs étrangers. Le gouvernement a pris conscience que, pour dégager des surplus à l’exportation qui rapportent des devises, il n’y a pas d’autre solution que la grande exploitation et l’expertise. » Pour autant, s’il veut garantir la paix sociale, le Mozambique doit s’assurer que la population bénéficie des retombées de cette politique, en termes de développement rural. Cela est d’autant plus nécessaire que le sida fait des ravages parmi les familles d’agriculteurs. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime qu’en 2020 le pays aura perdu 20 % de sa main-d’oeuvre agricole.
Plus récemment, le Nigeria a également entrepris de courtiser les fermiers zimbabwéens. « L’Afrique a besoin de vous », leur a déclaré en substance le président Olusegun Obasanjo. S’il a soutenu Robert Mugabe dans son bras de fer avec le Commonwealth au cours des deux dernières années, le président nigérian a signifié à maintes reprises que son pays souhaitait bénéficier du savoir-faire technique, de l’expérience et de l’expertise des fermiers zimbabwéens. Moteur de l’économie nigériane jusque dans les années 1950, l’agriculture a été négligée, au profit de l’industrie pétrolière. Le pays est ainsi passé d’un statut d’autosuffisance à un statut de dépendance des importations de céréales (blé et riz). Aujourd’hui, l’objectif du gouvernement est de dépasser le stade de l’agriculture de subsistance pour une production moderne et mécanisée. Le 27 juillet, un premier groupe d’une quinzaine de fermiers zimbabwéens a signé un accord avec le gouverneur de la province de Kwara, une région très fertile située au sud-ouest du pays. La terre leur sera cédée pour des périodes de vingt-cinq ans renouvelables. Le gouvernement a promis aux fermiers de renforcer les infrastructures de la région et de leur accorder certaines exonérations fiscales et douanières. En échange de quoi le pays le plus peuplé d’Afrique devrait bénéficier de nouvelles compétences et de techniques de production modernes et, in fine, accroître sa production agricole.
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