Désunis par les liens du mariage

La Knesset décide de proroger la loi interdisant aux Palestiniens mariés à des Israéliens de vivre avec leur famille dans l’État hébreu.

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 3 minutes.

« Bien que nous soyons mariés depuis quatorze ans, mon mari et père de mes enfants n’a pas le droit de dormir dans notre maison. Il n’a pas le droit d’embrasser ses filles avant qu’elles s’endorment […]. Au nom de quelle logique des familles subissent-elles cet enfer tous les jours, année après année ? » interroge, désespérée, Terry Bullata, une Arabe israélienne de 38 ans, directrice d’école à Jérusalem.
La réponse tient en une statistique, invérifiable selon les organisations de défense des droits de l’homme : depuis septembre 2000, avance le gouvernement d’Ariel Sharon, vingt-trois Palestiniens originaires des Territoires et ayant obtenu un permis de résident grâce à leur mariage avec une Arabe israélienne ont « apporté une assistance conséquente à des activités hostiles à la sécurité de l’État ». Au nom de cette sécurité et de cette statistique sujette à caution, Israël a décidé, le 18 juillet, de proroger pour six mois la loi – votée un an auparavant – interdisant à tout(e) Palestinien(ne) ayant épousé un(e) Israélien(ne) de s’installer dans l’État hébreu.
Il y a un an, le débat à la Knesset – Parlement israélien – avait été houleux. Mais la majorité avait abondé dans le sens de ce député du Likoud, le parti de droite au pouvoir, qui avait lancé à l’Assemblée : « Nous sommes en état de guerre, mais nous ne nous battons pas contre les Anglais, les Américains ou encore contre les Slovaques. Nous sommes en guerre avec nos voisins, les Palestiniens. » Il était d’autant plus facile de convaincre les députés que le texte venait conforter une réglementation mise en place en 2002, juste après qu’un attentat suicide eut fait 15 victimes israéliennes et plus de 40 blessés. L’auteur de ce massacre, Shadi Tubasim, membre du Hamas, était marié à une Arabe israélienne et pouvait donc circuler librement dans l’État hébreu. Or, comme le souligne Salwa Abou Jaber, assistante maternelle dans le nord du pays et mariée depuis 1993 à un Palestinien de Jénine, « à quoi bon priver les Palestiniens de passer la nuit au sein de leur famille si on les autorise à venir travailler en Israël de 7 heures à 19 heures ? »
Autre argument qui avait fait pencher la balance en faveur de cette loi : la démographie de l’État hébreu. Cent mille Palestiniens ont obtenu, entre 1993 et 2003, le droit de résider en Israël en vertu du regroupement familial. Et sont venus grossir les rangs des Arabes israéliens, lesquels représentent 20 % de la population totale.
C’est peu ou prou le même état d’esprit qui a prévalu, le 18 juillet, lors du vote de la prorogation de cette loi jugée « discriminatoire » par l’ONU et par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), dont Amnesty International, qui avait publié quelques jours auparavant un rapport cinglant sur le sujet. L’ONG avait instamment appelé Israël à abroger ce texte « qui institutionnalise une discrimination raciale ».
Seule note d’espoir : l’attitude du procureur général, qui est aussi le conseiller du gouvernement. Menachem Mazouz a en effet émis quelques recommandations visant à édulcorer ce texte. Il a notamment préconisé d’autoriser la naturalisation des Palestiniens âgés de plus de 35 ans qui se marieraient avec des Israéliens. Plus généralement, il encourage le gouvernement à assouplir la loi pour les Palestiniens qui n’ont jamais été impliqués de près ou de loin dans les violences au Proche-Orient.
En attendant, nombre de couples israélo-palestiniens n’ont d’autre choix que de vivre dans l’illégalité. C’est le cas de Terry, la directrice d’école de Jérusalem, et de son époux, un homme d’affaires d’Abou Dis, une banlieue de Jérusalem annexée en 1967, qui risque chaque jour d’être arrêté puis expulsé. « C’est la seule solution pour que l’on soit ensemble, comme n’importe quelle famille. En tant que Yérosalémitains, mes enfants et moi ne pouvons pas circuler dans les Territoires », explique Terry. Pour l’administration israélienne, Terry pourrait tout aussi bien divorcer ou, mieux, rejoindre son époux dans les Territoires – ce qui impliquerait l’interdiction de revenir ensuite vivre à Jérusalem. Les femmes arabes n’ont-elles pas pour habitude de suivre leur mari, où qu’il soit ? Deux cent trente mille Palestiniens résidant à Jérusalem sont dans une situation similaire. S’ils quittent la Ville sainte, même temporairement, ils perdront leur carte de résident pour toujours. L’illégalité ou l’exil : telle est désormais l’alternative proposée aux familles israélo- palestiniennes.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires