Droit de réponse

Des proches du président Abdoulaye Wade ripostent au livre-pamphlet publié par Abdou Latif Coulibaly en juillet 2003.

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 6 minutes.

Abdoulaye Wade s’est trouvé de dévoués avocats. Après plusieurs mois de travail et quelques effets d’annonce, un collectif de partisans du président vient de présenter au public le 28 août à Dakar Un procès d’intention à l’épreuve de la vérité. Ce livre de 286 pages est une réplique directe à un ouvrage qui avait défrayé la chronique l’an passé : Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ? Dans ce brûlot publié le 12 juillet 2003, Abdou Latif Coulibaly, chroniqueur bien connu du paysage médiatique sénégalais, dépeignait sous des traits sombres l’alternance intervenue le 19 mars 2000 et dressait d’Abdoulaye Wade, le nouvel homme fort du pays, le portrait d’un autocrate mégalomane et coléreux, péchant par excès de confiance en soi, commettant des gaffes diplomatiques et conduisant le Sénégal à la dérive. La « sensibilité » des thèmes abordés, le succès de l’ouvrage dans l’opinion sénégalaise et internationale, et l’accueil que lui réserva la presse ont porté un sérieux coup au pouvoir sénégalais, affecté le chef de l’État, tenu le pays en haleine, suscité deux remaniements ministériels ainsi que la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire pour élucider des faits de mauvaise gestion évoqués dans l’ouvrage…
C’est donc treize mois plus tard, alors que s’estompe la polémique soulevée par le livre de Coulibaly, qu’a été opéré le lancement public d’Un procès d’intention à l’épreuve de la vérité, en présence de trois ministres et de nombreux responsables du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir). Signé par un « collège de citoyens partisans de l’alternance » et rédigé sous la coordination du professeur Iba Der Thiam, l’ouvrage est le fruit d’un laborieux travail intellectuel, mais aussi de nombreuses tractations politiques.
Tout commence au retour de la oumra (petit pèlerinage à La Mecque) d’Abdoulaye Wade, à la fin d’août 2003. Le livre de Latif Coulibaly, paru un mois plus tôt, est alors au coeur de l’actualité et alimente discussions de salons et colonnes des journaux. Le chef de l’État convoque certains de ses partisans au palais. Au cours de l’entretien, auquel prend part une délégation du Cercle des intellectuels de l’alternance dirigée par le juriste Isma Dioum, Wade dit, en substance, à ses proches : « Je ne peux pas, en tant que président de la République, répondre personnellement aux attaques dirigées contre ma personne dans le livre de Coulibaly. J’ai, toutefois, tous les éléments pour restaurer la vérité, que je suis prêt à mettre à la disposition de ceux d’entre vous qui souhaitent répondre. » Une seconde rencontre se tient, début septembre, au quartier Sicap Liberté IV, au domicile d’Iba Der Thiam, coordonnateur de la Cap 21, le regroupement des partis politiques de la mouvance présidentielle. Sur proposition d’un des participants est retenue l’idée de rédiger un livre réponse. Son objectif étant d’organiser une contre-attaque cohérente et de mettre un terme aux répliques disparates publiées dans les journaux par des partisans de Wade.
Pendant plusieurs mois, une équipe de neuf membres (composée notamment de deux journalistes, un député, un cadre de banque, une directrice de société, un étudiant), coachée par le professeur agrégé d’histoire Iba Der Thiam, se réunit au domicile de celui-ci tous les vendredis de 21 heures à minuit. En guise de modus operandi, ils se sont partagé les 26 chapitres de l’ouvrage, ont fait des recherches chacun de leur côté, rédigé leurs parties respectives sous la supervision de Thiam, qui valide les informations avec le chef de l’État au fur et à mesure, corrige et réécrit les textes. Wade lui-même, les membres de sa famille (son fils Karim, sa fille Sindjeli et son épouse Viviane, tous trois écorchés par le livre de Coulibaly), les ministres de son gouvernement, de hauts fonctionnaires, des responsables du PDS… sont interrogés, interpellés sur des questions précises. Sur la question – polémique – de la réparation de l’avion présidentiel, les rédacteurs sollicitent les lumières du général Madické Seck, commandant de bord de la Pointe de Sangomar (nom de l’aéronef en cause), d’experts en aéronautique et de syndicalistes de la défunte compagnie Air Afrique.
De ces recherches est née une première version de l’ouvrage au bout de quatre mois, entre octobre 2003 et janvier 2004. Après avoir hésité entre Réponse au livre de Latif Coulibaly et Un groupe d’intellectuels répond à Latif Coulibaly, les auteurs ont successivement écarté ces deux projets de titre. Motif : il ne fallait pas faire plus de publicité au « pourfendeur » du régime issu de l’alternance.
Si les auteurs assurent avoir mis à profit les mois qui ont suivi pour vérifier, recouper et compléter les informations contenues dans leur oeuvre, certaines sources proches du palais expliquent le retard accusé dans la publication par une succession d’événements : la parution, en mars dernier, du Changement, preuves en main (le Livre blanc sur l’alternance) à l’occasion du quatrième anniversaire de l’accession de Wade au pouvoir ; le remaniement ministériel consécutif au départ du Premier ministre Idrissa Seck, le 21 avril ; l’installation de la nouvelle équipe dirigée par l’ancien ministre de l’Intérieur Macky Sall…
Imprimé dans la banlieue de Paris et livré le 23 juillet à Dakar, le livre est réceptionné à un moment où le Sénégal est pris dans une vive controverse consécutive à l’arrestation de Madiambal Diagne, directeur de publication du journal Le Quotidien (voir J.A.I. n° 2271). Le moment étant peu propice, Thiam et son équipe ont attendu la libération du journaliste et la commémoration à Dakar, le 23 août, de la Journée du tirailleur africain (en présence de quatre chefs d’État invités), avant de sortir le 28 août leur livre tant attendu et maintes fois annoncé.
Publié en France, aux éditions de l’Hémicycle, Un procès d’intention à l’épreuve de la vérité est la première parution de la toute nouvelle collection « Paroles de parlementaires », l’ouvrage ayant été écrit sous la direction du député Iba Der Thiam, vice- président de l’Assemblée nationale sénégalaise. Vendu au prix de 4 500 F CFA, il sera disponible sur Internet en versions française et anglaise, sur un site en cours de construction.
Édité à compte d’auteur, le livre réponse a été tiré à 3 000 exemplaires. Dès le 31 août, une seconde commande a été passée à l’éditeur, les militants et responsables de la mouvance présidentielle s’étant rués sur le premier tirage.
L’ouvrage a de quoi susciter la curiosité d’un public aiguillonné par de larges échos dans la presse sénégalaise. Au fil de ses pages, il passe en revue, pour lui apporter la contradiction, les questions soulevées par Latif Coulibaly. Iba Der Thiam et ses coauteurs soutiennent avec force arguments que la rénovation de l’avion présidentiel a coûté 10,2 milliards de F CFA au Trésor public au lieu du chiffre de 18,5 milliards fourni par Coulibaly, et que la famille de Me Babacar Séye a été indemnisée à hauteur de 200 millions et non de 600 millions. Ils qualifient de « pure invention » le projet de coup d’État que Latif aurait aidé à déjouer entre les deux tours de la présidentielle de 2000 et contestent l’appréciation de Coulibaly sur les dossiers de la Senelec et de l’audit de la gestion du défunt régime socialiste. Sur le plan diplomatique, ils opposent des « performances » au triste tableau dressé depuis l’arrivée de Wade aux affaires, et, au fil des pages, alignent des chiffres et des dates pour démentir les « ratés » de l’alternance répertoriés dans le pamphlet anti-Wade. Une somme qui prend l’allure d’un conflit de famille : l’un de ses auteurs, Ousmane Thiongane, enseigne à l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic), une école du groupe Sud Communication dirigée par… Abdou Latif Coulibaly.
Devant cette réaction musclée qui le présente comme un personnage « arrogant », « méprisant », « suffisant », « peu professionnel », Coulibaly se montre peu disert. En guise de réaction, il se borne à déclarer, élégant, que « le livre réponse entre dans le cadre du débat démocratique ». Avant d’inviter « les Sénégalais à lire les deux ouvrages attentivement et à donner leur opinion personnelle par rapport à ce qui est dit dans l’un et l’autre livre ». Tant mieux pour la démocratie…

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