Cherche emploi désespérément

Ouagadougou accueille les 8 et 9 septembre le sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’emploi. Le secteur informel sera au coeur des débats.

Publié le 7 septembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Régulièrement, quand vient l’heure d’examiner les bilans économiques de l’année écoulée, les gouvernements africains se félicitent de leur taux de croissance ; en 2003, il se situait entre 2 % et 7 % selon les États. Pour autant, un triste constat se renouvelle également, sans surprise : la pauvreté perdure et gagne même du terrain. La croissance, si elle est nécessaire, n’est donc pas une condition suffisante pour assurer le développement. Pour y parvenir, il faut élaborer des politiques sociales et se préoccuper de la situation de l’emploi, qui n’a jusqu’à maintenant pas été une priorité sur le continent. C’est pour affirmer sa place décisive dans la lutte contre la pauvreté que l’Union africaine (UA) tient un sommet extraordinaire sur l’emploi, à Ouagadougou (Burkina), les 8 et 9 septembre.
Il était plus que temps. Le taux de chômage officiel, qui dépasse 10 % dans tous les pays de l’UA, progresse d’année en année, et encore les chiffres officiels laissent-ils dans l’ombre une réalité omniprésente : le secteur informel. Au sud du Sahara, la majorité des personnes qui travaillent exercent des activités de survie peu productives, mal rémunérées. Beaucoup relèvent du secteur primaire, lui aussi largement informel, où prédomine l’agriculture de subsistance et qui se caractérise par un sous-emploi saisonnier. À l’échelle continentale, la proportion de travailleurs pauvres frôle les 45 %, avec une surreprésentation des femmes et des jeunes.
Bien que la proportion de femmes économiquement actives soit en Afrique subsaharienne la plus importante au monde, celles-ci restent cantonnées aux emplois les plus précaires et les moins bien rétribués, et cela même si leur proportion a sensiblement augmenté dans l’emploi salarié du secteur non agricole (28,6 % en 2001 contre 18,9 % en 1990). À compétences égales, pour un poste requérant une qualification précise, leur salaire sera de 20 % à 30 % inférieur à celui d’un homme. Concernant les jeunes, le tableau n’est pas meilleur, puisqu’ils représentent 60 % des chômeurs en Afrique.
Selon le Bureau international du travail (BIT), l’économie formelle ne peut absorber que de 5 % à 10 % des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Dès le début de leur vie active, les jeunes adultes partent vers le secteur informel et y restent. Si cette situation perdure, c’est que les perspectives économiques du continent ne favorisent pas la création d’emplois. Même dans les économies les plus intégrées au commerce mondial, comme celle de l’Afrique du Sud, les années 2002 et 2003 ont été marquées par la lenteur de la reprise et la faiblesse des cours des produits de base.
L’Afrique de l’Ouest, elle, a enregistré une croissance globale de 4 %, mais ce chiffre ne correspond pas à une bonne santé dans l’ensemble de la sous-région. Il reflète surtout l’amélioration des résultats du Nigeria, l’accélération des activités au Sénégal et leur reprise au Liberia.
En Afrique de l’Est également, la moyenne régionale de 3 % recèle de fortes disparités : une très forte croissance malgache, logique après une année 2002 bouleversée par les événements politiques. A contrario, le Zimbabwe connaît un important recul de la production.
En Afrique du Nord, la hausse des cours du pétrole due à la guerre en Irak a certes favorisé les pays producteurs, mais a pénalisé les autres, notamment en raison de l’instabilité régionale, responsable de la morosité du tourisme et de la frilosité des investisseurs.
Deux autres facteurs freinent la création d’emplois stables et durables sur l’ensemble du continent. D’une part, le manque de formations professionnalisantes. Bien souvent, les systèmes scolaires ne proposent pas aux jeunes les cursus correspondant aux secteurs économiques en expansion, comme l’informatique, ou en manque de personnel, comme celui de la santé. D’autre part, l’épidémie de sida constitue un handicap considérable. Si 10 % de la population africaine est infectée, la maladie concerne l’ensemble de la population dans la mesure où une personne séropositive nécessite soins et assistance de la part de toute sa famille. Cette situation restreint l’accès à un emploi stable pour les personnes infectées ou affectées, et diminue la productivité.
Néanmoins, les perspectives du BIT pour 2004 sont plutôt encourageantes puisque l’organisation onusienne estime que le chômage devrait légèrement reculer. Mais cette amélioration ne sera que temporaire si rien n’est fait par les États pour absorber les nouveaux venus sur le marché du travail. En Afrique subsaharienne, la population active devrait en effet passer de 271 millions de personnes en 2003 à 366 millions en 2015. En Afrique du Nord, chaque année, la croissance démographique tourne autour de 2,5 %. Pour faire face à l’augmentation rapide du nombre de demandeurs d’emploi et les intégrer dans le secteur formel, l’UA estime qu’il faudra créer 10 millions de postes par an pendant la prochaine décennie.
En théorie, pour réduire de moitié les taux de chômage, de sous-emploi et de pauvreté d’ici à 2015, conformément aux Objectifs du Millénaire définis par les Nations unies, les pays devraient atteindre et maintenir un taux de croissance annuel de 7 %. Concrètement, le principal enjeu réside dans la « régularisation » du secteur informel, la modernisation de l’agriculture et la levée des obstacles administratifs qui, trop souvent, découragent les particuliers souhaitant créer leur entreprise – et les entraînent vers des emplois précaires, ou, pour les plus qualifiés, les incitent à émigrer vers les pays industrialisés. C’est à ces questions que l’UA devra notamment apporter des réponses.
Selon le BIT, la solution réside dans le développement local et les petites entreprises, dont les bénéfices ont un impact direct sur les familles et les communautés. Le développement de nombreuses institutions de microfinance, ouvrant l’accès au crédit en marge du système bancaire traditionnel, a ainsi permis à de nombreuses personnes – en majorité des femmes – de créer leur propre société. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, plus de 300 institutions offrent des services à 42 millions de membres, touchant un ménage sur cinq. Cette solution permet en outre de moins subir les contraintes commerciales liées à la mondialisation, à savoir « un système conçu par les puissants et pour les puissants », comme la définit Juan Sumavia, directeur général du BIT. Sur ce plan, il revient aux gouvernements de tenter de changer les règles du commerce mondial, comme ils s’y emploient déjà, notamment sur la question du coton, matière première subventionnée dans les pays du Nord au détriment des producteurs du Sud. À eux également d’imposer, dans tous les plans d’aide au développement, dans toutes les initiatives de réduction de dettes et dans tous les programmes des institutions internationales, un volet concernant la création d’emplois et d’entreprises.

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