À bras ouverts

Publié le 8 septembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Ils sont aussi massifs que leurs chiens sont petits. Au portail de la ferme Engelbrecht, cinq chihuahuas annoncent l’arrivée de visiteurs en émettant des aboiements aigus. Leurs maîtres, deux colosses dont personne ne douterait ni de l’origine ni de la profession, les suivent, prêts à accueillir chaleureusement les arrivants. Stature massive, barbe touffue et cheveux roux, les yeux bleus, vêtus d’un short et d’une chemise beige, Eugene et son frère ne cachent ni leurs ancêtres néerlandais, ni leur métier de fermiers « blancs ». Même si, ayant toujours vécu en Afrique australe, ils n’envisagent pas de s’installer un jour aux Pays-Bas, où ils n’ont d’ailleurs jamais mis les pieds.
Leur pays, c’est celui où ils vivent depuis neuf ans : le Botswana. Ils ont tourné la page du Zimbabwe, après que leur père a tourné celle de l’Afrique du Sud. Arrivée sur le
continent en 1860, la famille Engelbrecht a vécu de longues décennies dans la province sud-africaine du Western Cape, où se trouvait leur exploitation. Depuis, de génération en
génération, les enfants perpétuent la tradition fermière. Après avoir dirigé une ferme au Zimbabwe, Eugene est devenu propriétaire à Lobatse, à une soixantaine de kilomètres à l’est de Gaborone. Là, il s’est lancé dans l’élevage, la deuxième source de revenus à l’exportation du pays. Avec son frère, ils n’ont pas attendu la détérioration du climat et la réforme agraire « accélérée » lancée en 2000 par le président Robert Mugabe pour quitter le pays. Dès 1996 et la réélection de Mugabe, ils mettent les voiles : « L’ambiance n’était pas bonne, on sentait que notre condition de fermiers blancs,
minoritaires mais possédant la majorité des terres, allait nous causer du tort. Car même s’il n’y avait pas d’expropriation comme ce fut le cas au début des années 2000, la frustration grandissait au sein de la population noire. »
Et puis le Botswana, pays grand comme la France, ne compte que 1,7 million d’habitants.En bref, il y a de l’espace. D’ailleurs le gouvernement botswanais avait choisi de favoriser l’installation de fermiers immigrés pour diversifier l’économie de ce pays par trop
dépendant de l’industrie du diamant, et si durement frappé par le sida qu’il voit sa main-d’uvre mourir jour après jour. D’ailleurs, cette invitation faite aux fermiers blancs du Zimbabwe, considérés à juste titre comme de bons professionnels, a été maintenue par Gaborone au moment de l’accélération de la réforme agraire par Harare, de 2000 à 2002. Une initiative qui a bien failli provoquer un incident diplomatique entre les deux pays.
Un de plus.
Mais tout n’est pas facile pour les nouveaux venus, tout droit immigrés du « grenier à blé de l’Afrique ». Au Botswana, difficile de transformer une terre aride en terre fertile. Alors, on se consacre à l’élevage. Mais pas n’importe lequel : « du bio, bien sûr », souligne fièrement Eugene. Toute l’alimentation de ses bêtes est naturelle. Et si les bufs constituent l’essentiel du cheptel, l’autruche semble avoir la cote, et représente pour les éleveurs une possibilité de diversification. L’aspect positif de
l’élevage, c’est aussi, pour Eugene, de disposer de plus de temps pour s’adonner à sa passion, la poterie.
Les frères Engelbrecht ont immédiatement été bien accueillis à Lobatse, même si, comme ils le disent, ils ne sont « plus vraiment fermiers ». « Notre rôle désormais, c’est de savoir choisir de belles bêtes, de réfléchir à des croisements pour améliorer la race ou encore de les engraisser exactement comme il faut avec la meilleure nourriture possible, pour pouvoir les revendre à un prix fixé par la Botswana Meat Commission. » Des « belles
bêtes », ils en ont 4000. Réparties en une dizaine de parcs, elles sont sous la surveillance de vachers botswanais qui sortent les plus jeunes des enclos exigus pour les conduire aux champs, dans un nuage aveuglant de poussière.
Les Engelbrecht, eux, parcourent leur élevage à bord d’un 4×4 dernier cri, où la climatisation permet de ne pas ouvrir les fenêtres et ainsi de se protéger des mouches et de la forte odeur du bétail. Ce luxe mais peut-être est-ce le seul ? cadre mal avec les plaintes des fermiers. Un de leurs premiers motifs d’insatisfaction est la stagnation,
selon eux, de leur pouvoir d’achat depuis vingt ans: « Tout augmente sauf les marges! » arguent-ils. Leur principal souci, actuellement, est d’ailleurs le changement de standards des bêtes destinées à l’exportation. Du jour au lendemain, les critères ont été modifiés, faisant des vaches vedettes du cheptel des bêtes trop grosses. Entre 3 % et 5 % de poids en trop. « Nous les vendrons moins cher : sur chaque bête, nous perdrons 179 pulas [30 euros]. » « Fondamentalement, explique Eugene, nous n’avons rien contre les modifications de barèmes ou de quotas, mais nous sommes alertés trop tardivement. Résultat : il nous faut étudier de nouveaux croisements, une nouvelle alimentation, et cela peut prendre plusieurs années. »
Ces soucis, s’ils sont légitimes, sont en tout cas bien éloignés des questions de survie propres aux fermiers blancs restés au Zimbabwe. Eugene Engelbrecht en est bien conscient. Même la Namibie ou l’Afrique du Sud sont désormais à ses yeux des pays où il serait persona non grata. Il n’a d’ailleurs pas l’intention de bouger. Pour lui, il s’agit d’un des derniers endroits agréables pour les fermiers blancs en Afrique australe. « Le Botswana est un pays magnifique, dit-il. La nature y est belle, le gouvernement, qui prend soin de sa main-d’uvre, cherche à distribuer ses terres, non à les redistribuer, et il n’y a pas de racisme, ni dans un sens ni dans l’autre. »

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