Quand Hitler massacrait les Noirs

Après le journaliste Serge Bilé, l’universitaire Catherine Coquery-Vidrovitch se penche sur les persécutions des Africains sous le régime nazi.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 3 minutes.

En 2005, Serge Bilé, journaliste d’origine ivoirienne de la chaîne RFO-Martinique, profitait du 60e anniversaire de la libération des camps de concentration pour publier Noirs dans les camps nazis (Le Serpent à plumes). Il souhaitait attirer l’attention sur un pan d’histoire ignoré, mais son livre a été fraîchement accueilli par des chercheurs qui ont dénoncé sa « méthode bien peu historienne ».
Les intellectuels, Alain Finkielkraut en tête, et les médias se sont emparés de l’affaire, dénonçant la concurrence des mémoires qui, selon eux, menaçait l’unité de la société française. France Télévisions a même faussé le vote du jury du 2e prix Essai France Télévisions pour que Bilé ne le remporte pas. Le 7 juin dernier, les organisateurs du prix ont été condamnés par le tribunal de grande instance de Paris à verser au journaliste 10 000 euros au titre de dommages et intérêts.

Malgré cet acharnementmédiatique, Noirs dans les camps nazis s’est vendu, en deux ans, à 150 000 exemplaires. Aujourd’hui, Catherine Coquery-Vidrovitch, l’une des plus grandes spécialistes françaises de l’Afrique subsaharienne, apporte une caution scientifique au travail du journaliste. Dans une écriture simple, elle salue le « témoignage percutant » et « important » de Bilé.
À partir de documents d’époque, elle montre comment le racisme allemand s’est nourri de l’impérialisme colonial et du développement international de l’eugénisme. Annexée en 1884 par l’Allemagne, la Namibie a été, vingt ans plus tard, le théâtre du premier génocide du XXe siècle, celui des Hereros. Elle fut également le lieu d’expérimentations reprises par le régime nazi, comme les camps de concentration et la stérilisation des indigènes pour « protéger la race aryenne ». Dans la première moitié du XXe siècle, l’Allemagne n’était pas seule à recourir à de telles pratiques. La Suède, la Norvège, le Danemark et une partie des États-Unis ségrégationnistes appliquaient également la stérilisation eugénique.
L’historienne explique que, dans l’entredeux-guerres, « les Noirs étaient pour tout Européen des êtres à peine humains, de race et d’origine inférieures, qui n’étaient faits tout au plus que pour être éduqués et disciplinés ». La présence de soldats noirs parmi les troupes françaises d’occupation de la Ruhr, au lendemain de la Première Guerre mondiale, n’en était que plus humiliante. La négrophobie se nourrissait de ce terreau fertile lorsque Hitler accéda au pouvoir. À partir de 1933, les incidents racistes se multiplièrent et la vie devint très dure pour les 20 000 Noirs d’Allemagne.

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L’eugénisme fut légalisé, les métis stérilisés. Les mariages mixtes déjà prononcés furent annulés, et les nouveaux interdits. Les contrevenants risquaient la prison pour « trahison raciale ». Les lois antijuives de Nuremberg, promulguées en 1935, s’appliquèrent aux Noirs. Elles « faisaient explicitement référence aux Juifs et aux Tziganes, mais visaient aussi, de façon générale, les individus de sang étranger », tous ceux qui risquaient de menacer « la pureté du sang et de l’honneur allemand ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, près de 77 000 hommes d’Afrique-Occidentale française (AOF) furent envoyés sur les champs de bataille européens. Trente mille sont morts ou ont été portés disparus. Soit un soldat sur deux. L’armée allemande fit peu de prisonniers noirs. Elle ne leur appliquait pas la Convention de Genève du 27 juillet 1929 relative au traitement des prisonniers de guerre, et préférait les tuer ou les priver de nourriture et les laisser mourir de faim.

Plusieurs massacres eurent lieu en France. Le 10 juin 1940, une centaine de prisonniers noirs furent fusillés à Erquinvillers, en Picardie. Le 20 juin, ce fut au tour de 250 tirailleurs dans le petit village de Chasselay-Montluzin, près de Lyon. « Les Noirs déportés en camps de concentration ne le furent pas, en règle générale (sauf s’ils étaient allemands, c’est-à-dire menaçant directement de par leur existence même la race des seigneurs), à cause de leur couleur. » Mais généralement parce qu’ils étaient engagés dans la résistance ou dans les troupes coloniales. Des « camps spéciaux de travail forcé proche de l’esclavage leur furent parfois réservés ». Senghor a été l’un de ces soldats faits prisonniers, en juin 1940, par les Allemands. Il fut interné au Front Stalag 230 de Poitiers, l’un des camps réservés aux troupes coloniales. Il a été libéré en 1942 pour raison de santé.
Ce chapitre historique est peu connu et reste à écrire. Catherine Coquery-Vidrovitch lance « un appel aux jeunes chercheurs de l’Hexagone pour entreprendre ces enquêtes ». Défrichée par Serge Bilé, la voie est ouverte.

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