Quand Sarko « découvre » l’Afrique

Inspiré de théories d’un autre âge, le discours de Dakar du nouveau président français n’a pas fini de susciter des remous.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 3 minutes.

« J’espère que le président ne va pas dire des choses qui fâchent. Ici, on ne craint rien, mais dans l’amphi d’à côté, en revanche » Il est presque 17 heures, ce 26 juillet. Dans le grand amphithéâtre « UCAD II » de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, l’un des responsables de la sécurité de l’ambassade de France, dont toute l’équipe est sur le pied de guerre, ne craint pas tant d’éventuels débordements violents de la part des étudiants que des manifestations de mécontentement qui écorneraient l’image de l’Hexagone, déjà abîmée par le vote des lois sur l’immigration il y a plus d’un an, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, nommé Nicolas Sarkozy. Celui-là même qui, devenu président de la République le 6 mai, a tenu à parler aux « vrais » Sénégalais, dans l’enceinte de l’une des plus grandes universités du continent.
Cinquante minutes plus tard, les responsables de la sécurité peuvent souffler. Le chef de l’État vient de terminer son discours (voir le Verbatim pp. 7-9 et « Post-scriptum » p. 106). Pas un souffle ne parcourt l’assemblée. Les applaudissements sont timorés et sans enthousiasme. La salle, remplie de ministres, de professeurs et d’étudiants triés sur le volet, se vide aussitôt, ainsi que l’amphi voisin, où son allocution était retransmise. Pas la moindre manifestation de colère, ni de satisfaction. L’incrédulité domine. De Sarkozy, réputé iconoclaste, les Sénégalais s’attendaient à tout, même à des annonces fracassantes. Mais certainement pas à une adresse à la jeunesse africaine tournée vers le passé, fondée sur une lecture personnelle de l’histoire du continent, inspirée de théories philosophiques et anthropologiques d’un autre âge. Dans les travées, un étudiant explique qu’il espérait « des projets d’avenir, un discours sur l’investissement ». « Tout ce qu’il a dit, on l’a appris au collège. On n’a pas besoin qu’un Français vienne nous raconter notre histoire. »
Un écrivain s’offusque « de la vision eurocentrée, presque raciste, que le président Sarkozy a de l’Afrique et des Africains ». Sans aller jusque-là, de nombreuses réactions du même tonneau se feront entendre. Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’Union africaine, a estimé que le chef de l’État français avait « besoin de mieux connaître l’Afrique ». Dans l’ombre, certains connaisseurs français du continent avouaient, en effet, que l’équipe de Sarkozy souffrait surtout d’une certaine impréparation et avait besoin de potasser des dossiers délicats et complexes. « Je me suis beaucoup préparé à devenir président de la République. Mais je n’ai pas pensé à tout. Il y a des choses que je découvre », a reconnu Sarkozy à Libreville.

Son entourage ne s’est pas moins employé à faire l’exégèse de ses propos. Présenté par le secrétaire d’État à la Coopération, Jean-Marie Bockel, tout comme par le principal rédacteur du texte, le conseiller spécial Henri Guaino (voir pp. 46-47), comme une « première pierre » posée sur le continent, le discours de Dakar ne serait que le début d’une longue série. « C’était un premier rendez-vous, dans lequel il a exprimé son amour pour l’Afrique et imprimé sa marque de fabrique, la franchise », a jugé Bockel (voir également son interview pp. 28-30). « Le simple fait que les réactions aient été si nombreuses montre que ce n’était pas un rendez-vous manqué. »
Sarkozy a fait preuve, le 27 juillet, à Libreville, de la même franchise devant Omar Bongo Ondimba et les parlementaires gabonais. Il leur a parlé bonne gouvernance et démocratie. Reste que pour justifier sa visite au Gabon – pièce maîtresse du « pré carré » français auquel Sarkozy s’était promis de tourner le dos -, il a argué du fait que « en Afrique, un doyen, ça se respecte ». Il a également assuré qu’il reviendrait sur le continent d’ici à quelques mois, dans d’autres pays, et mis en garde la presse qui l’accompagnait : « Vous écrivez exactement les mêmes papiers sur mon voyage africain que sur ma campagne électorale : Ce n’est pas ce que les gens attendaient, vous ne parlez pas assez de politique. [] Vos papiers ont été contredits. Dans le fond, c’est plutôt rassurant de faire du Sarkozy en Afrique. Le problème, avec les Africains, c’est qu’on ne leur a jamais tenu le même discours qu’aux Français. Quand j’ai fait du concret et signé des accords en Libye, les commentateurs ont dit : C’est la diplomatie du chéquier. Je viens au Sénégal, je parle de l’Histoire et de l’art, et vous me dites : C’est décevant ! » Et d’ajouter que si son discours a fait débat c’est que sa mission a été remplie.

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