Les dividendes de la paix

Cinq ans après la fin de la guerre civile, le pays, en quête de stabilité politique, doit poursuivre les réformes et s’affranchir des anciennes pratiques. Tout en veillant à la relance de l’économie.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 5 minutes.

L’étranger qui visite pour la première fois la République démocratique du Congo observera avec intérêt les villes de Kinshasa et de Lubumbashi, les deux plus importantes agglomérations du pays, les deux poumons de cet État continent, deux bouillons de culture qui préfigurent de l’avenir de la RDC. La première, à l’instar de Lagos au Nigeria ou du Caire en Égypte, est l’archétype de l’urbanisme débridé et exubérant des villes du Sud. Quant à Lubumbashi, la provinciale et ronronnante capitale du Katanga, elle représente l’autre Congo, propre et discipliné, optimiste et en ordre de marche face aux réalités d’après-guerre auxquelles le pays est confronté. Doté d’une nouvelle Constitution, d’un Parlement largement renouvelé, d’un nouveau gouvernement nommé par un président élu de fraîche date et d’un budget 2007 arrêté à 2,137 milliards de dollars, la RDC présente des allures de « voiture expérimentale dont on se demande si elle va rouler », pour reprendre les mots de l’historien congolais Elikia M’Bokolo.
À Kinshasa, siège des institutions, le gouvernement d’Antoine Gizenga et les deux Chambres du Parlement national s’activent. L’un à la mise en uvre des chantiers de reconstruction du pays, les autres à la poursuite des réformes législatives. Dans la capitale, la nouvelle classe politique aux affaires n’a que ces mots à la bouche : « changement des mentalités ». Le slogan revient de manière incantatoire dans les discours sans qu’on en saisisse les contours exacts. Après les ravages physiques et psychologiques de la guerre, ce code de bonne conduite non écrit s’étend de la plus petite incivilité aux plus grosses « antivaleurs », néologisme qui désigne pêle-mêle toute entrave à la moralisation de la IIIe République congolaise. Les membres du gouvernement, issus d’une vaste coalition constituée à l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, s’attachent, avec un enthousiasme certain, à réveiller le « géant endormi », comme ils aiment à nommer leur pays. Même si, du point de vue des partenaires au développement, « les autorités doivent apporter davantage de cohérence à leurs politiques sectorielles (agriculture, pêche, infrastructures) et les inscrire dans un cadre gouvernemental global », recommande Xavier Maret, représentant local du Fonds monétaire international (FMI). En tout état de cause, l’économie s’est stabilisée dès 2001. L’inflation est passée de 1 000 % en 2000 à 18,2 % en 2006. La croissance est redevenue positive (5,8 % entre 2003 et 2006). On table sur des taux de croissance de 7 % à 8 % d’ici à 2012. À condition toutefois que les agriculteurs aient l’assurance de ne plus être pillés, que les détournements de l’argent public diminuent de manière sensible, que les fonctionnaires cessent d’extorquer une partie des revenus des usagers de l’administration, qu’il y ait davantage d’énergie électrique pour les industries lourdes, qui reviennent progressivement, que la Banque centrale du Congo arrête de faire fonctionner la planche à billets sans contrepartie économique, que la route ou le chemin de fer puissent relier efficacement le port de Matadi (ouest) à Kisangani (nord) en passant par Kinshasa.
Dans un pays où 80 % de l’économie reste informelle, une bonne politique d’incitation à la création des petites et moyennes entreprises (PME) favoriserait l’emploi et générerait davantage de recettes fiscales. Au ministère de l’Agriculture, dirigé par Nzanga Mobutu, fils de l’ancien président Mobutu Sese Seko rallié à Joseph Kabila, on est convaincu que le secteur agricole, bien restructuré, pourrait avoir plus d’impact sur la réduction de la pauvreté que le secteur minier. « La RDC n’est pas qu’une vaste mine », clame-t-il à l’envi. Il est vrai qu’elle est le deuxième pays, après le Brésil, à disposer des plus vastes terres cultivables au monde. Le potentiel halieutique est tout aussi important, même si le pays en est encore à importer quelque 504 000 tonnes de poisson chaque année. Mais ici, on croit à un Congo meilleur, où la pauvreté reculerait grâce au génie d’un peuple et à l’aide des partenaires au développement.

Au Parlement, l’activité n’est pas moins trépidante. Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale, accumule les projets et les propositions de loi. Les députés de l’opposition sont loin d’y faire de la figuration et exercent un véritable pouvoir de contrôle avec, en première ligne, le groupe parlementaire du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba. Les parlementaires issus de la majorité lui reconnaissent de la discipline et le disent composé d’hommes de qualité. Et l’exil portugais de leur leader ne les a pas démobilisés. Selon le député Sesanga Hipungu, ancien directeur de cabinet de Jean-Pierre Bemba et ex-ministre du Plan, il n’est pas nécessaire d’attendre le retour de l’ancien vice-président pour travailler. « Nous voulons une opposition républicaine qui accepte les résultats électoraux, participe, contrôle, et qui attend en retour l’ancrage de l’alternance au pouvoir », souhaite le parlementaire. L’élection à la tête du Sénat de l’ancien Premier ministre de Mobutu, Léon Kengo Wa Dondo, au détriment du candidat de la majorité Léonard She Okitundu symbolise, entre autres, un certain affranchissement de l’exécutif.
À Lubumbashi, à une heure de décalage horaire de la capitale, on a des préoccupations beaucoup plus immédiates. Avec l’adoption de la nouvelle Constitution le 18 février 2006, qui consacre une décentralisation proche du fédéralisme, les Katangais attendent que les centres de décision kinois appliquent l’article 175 du texte qui prescrit une répartition des ressources financières nationales de l’ordre de 40 % pour les provinces et de 60 % pour l’État. Méfiants à l’égard de la haute administration de Kinshasa et en phase avec l’exécutif provincial, ils exigent la retenue à la « source ». En février, le Kantaga a plébiscité Moïse Katumbi Chapwe, héraut local de la décentralisation, au poste de gouverneur de la province. L’homme, qui a fait fortune dans la mine avant d’entrer en politique, gère la province comme une entreprise privée. Avec pour mots d’ordre : transparence, strict respect du code minier et lutte contre les détournements. Adulé à la Kenya, la commune la plus défavorisée de Lubumbashi, il est en revanche attendu au pied du gibet par la gentry politico-administrative des salons lambrissés de Kinshasa, qui n’apprécie guère ses méthodes.
Toutefois, « tout transfert de ressources devra s’accompagner d’un transfert de charges. Sinon, l’État sera très vite asphyxié », prévient Xavier Maret du FMI. En cas de décentralisation non maîtrisée, les risques de déstabilisation économique ne sont donc pas négligeables, et ce malgré la création d’un fonds de péréquation destiné à soutenir les provinces les moins nanties. Pour l’heure, le pays tout entier espère atteindre le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) attendue au second semestre 2008, selon le FMI. Il consistera à abaisser la dette de 7,9 milliards de dollars en valeur nominale à 1,6 milliard, soit une réduction de 80 %. Ce qui fera le plus grand bien à la RDC, tant il est vrai que la reconstruction politique du pays ne tiendra la route qu’à la condition que l’économie lui emboîte le pas.

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