La paix, et après ?

La récente cérémonie qui a célébré la fin de la guerre et consacré la réunification du pays, coupé en deux depuis cinq ans, marque une étape importante. Mais celles à venir le sont davantage, qui doivent permettre la tenue d’élections libres et transparen

Publié le 6 août 2007 Lecture : 7 minutes.

Laurent Gbagbo et Guillaume Soro ont mis le feu à Bouaké. Le 30 juillet, au stade municipal de la capitale de l’ex-rébellion, les deux têtes de l’exécutif ont allumé la « Flamme de la paix » au cours d’une cérémonie débordant de symboles. Il y a le chef de l’État, costume anthracite, cheveux grisonnants, lunettes noires, et son Premier ministre, tête quasi rase, costume sombre et lunettes à verres photosensibles, arpentant à pas mesurés la piste du stade sous les acclamations d’une foule surexcitée. Il ne manque au tableau que la couronne de lauriers. À la droite de sa bête noire d’hier, Gbagbo foule le sol de la deuxième ville du pays pour la première fois depuis l’éclatement de la crise, le 19 septembre 2002, et même depuis la campagne pour la présidentielle d’octobre
2000. Tout sourires, détendu, il glisse quelques mots à l’oreille de son désormais chef du gouvernement. Pour un peu, la foule, qui jusque-là trompait son impatience de quelques olas, descendrait des gradins pour prendre dans ses bras les deux stars du jour, comme c’est de tradition pour une équipe victorieuse. Et pour figurer sur la photo, hier encore improbable, d’une fratrie de dirigeants exclusivement africains, émancipés du tuteur occidental. Ne manquent que l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié et l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, qui se sont fait représenter. Mais leur absence ainsi que celle de l’ancien chef du gouvernement Charles Konan Banny alimentent la controverse.
Sont, en revanche, aux premières loges les chefs d’État qui ont directement uvré pour la réconciliation de la Côte d’Ivoire, le Sud-Africain Thabo Mbeki, parrain des accords de Pretoria (avril 2005), et le Burkinabè Blaise Compaoré, médiateur du dialogue direct entre belligérants, qui a permis, le 4 mars dernier, la signature de l’accord politique de Ouagadougou qui a relancé le processus de paix. Et les voisins plus ou moins proches qui n’ont jamais été loin pour rapprocher les frères ennemis ivoiriens, le Malien Amadou Toumani Touré, le Togolais Faure Gnassingbé, le Béninois Yayi Boni. Un invité surprise, ami de Laurent Gbagbo, le Bissauguinéen João Bernardo « Nino » Vieira est à leurs côtés.

Les ministres des Affaires étrangères sénégalais et ghanéen, représentant respectivement Abdoulaye Wade, sous l’égide duquel a été signé le premier cessez-le-feu, en octobre 2002, et John Kufuor, qui a permis les accords d’Accra I, II et III (entre mars 2003 et juillet 2004), sont là aussi. Les « Jeunes patriotes » ont fait le déplacement d’Abidjan, dont ils arpentaient les rues au plus fort de la crise pour vilipender les rebelles, venus clamer leur amour pour leurs « frères de Bouaké ». Des rangées de femmes drapées dans les couleurs nationales (orange, blanc et vert) braillent des « la paix, la paix, la paix ! » dans les rues. Les enfants courent de joie, le brasier des armes s’allume, les colombes s’envolent Le tout sans incident, à quelques jours de l’anniversaire de l’indépendance, le 7 août, et à quelques semaines de celui du début de la crise. Bref, une fête comme l’avaient imaginée ses deux héros, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro.
Mais les symboles ne font pas la paix, les Ivoiriens agglutinés dans les gradins du stade de Bouaké s’en souviennent, qui, le 29 juin, apprenaient que Guillaume Soro venait d’échapper à un attentat dans lequel ont péri quatre personnes. Première fissure dans la réunification balbutiante, qui rappelle avec le fracas d’un tir de roquette que le choix du chef de l’ex-rébellion d’occuper le poste de chef du gouvernement ne fait pas l’unanimité. Pour l’aile dure de ses partisans, il a pactisé avec le diable Gbagbo.
Les Ivoiriens n’ont pas non plus oublié la longue liste des accords de paix sans lendemain. Qu’ils aient été paraphés à Marcoussis, sous patronage français, ou à Accra et à Pretoria, sous parrainage africain, ils n’ont jamais produit mieux qu’un bref rafistolage politique. « Avec la guerre, les riches se sont enrichis et les pauvres se sont appauvris, soupire Amérikin, un chanteur abidjanais d’une trentaine d’années, venu à Bouaké pour la fête. Nous, on ne mange qu’une fois par jour, à 16 heures. » Marcoussis, Accra, la vingtaine de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies n’ont jamais rien changé. Alors, que peut l’accord de Ouagadougou ? « Il ne faut pas se mentir, cette cérémonie, c’est une danse de sorcières », poursuit l’artiste, qui n’en a pas moins envie d’y croire, comme la plupart de ses compatriotes.
C’est pour cela qu’Amérikin a même fait le déplacement. « C’est moral, nous devons être là parce que nous sommes pour la paix. S’il y a une chance, il faut la saisir », assure-t-il. Fatigués par près de cinq années de guerre, quasiment persuadés de n’avoir plus rien à perdre, nombreux sont les Ivoiriens qui se disent que la meilleure solution, c’est encore de jouer le jeu. « Cette cérémonie, c’est pour les journalistes, les étrangers, lance Charles, homme d’affaires. Les Ivoiriens, ils en ont marre, c’est tout, c’est pour ça qu’ils sont là. » Si le moment de la « Flamme de la paix » a été bien choisi, ce n’est finalement pas pour coïncider avec telle ou telle date du calendrier, mais parce qu’il apaise la lassitude de la population. « Si rien ne change d’ici à 2008, ce sont des sacs de riz que le PAM [Programme alimentaire mondial, NDLR] va lâcher », prophétise Amérikin.
En clair, l’accord de Ouagadougou est différent des autres. Il est la dernière bouée. « C’est une paix mise au point par les Ivoiriens eux-mêmes, explique le chanteur. L’accord de Marcoussis a été tracé par la France de A à Z. À Ouaga, nous sommes devenus matures, nous nous sommes entendus. » Une solution africaine à une crise africaine : Laurent Gbagbo, qui n’a jamais fait mystère de sa défiance vis-à-vis de Paris et de la mission des Nations unies pour la Côte d’Ivoire (Onuci), a rarement manqué d’en vanter les mérites. La méthode ivoirienne doit être un « exemple » pour le reste du continent. Pour un peu, lui et ses compatriotes en oublieraient les prochaines étapes du processus. Et qu’il n’a pas suffi de se retrouver pour étouffer la discorde. Il a aussi fallu faire des concessions qui rendent l’édifice d’autant plus précaire. Laurent Gbagbo a dû accepter que Guillaume Soro ne soit pas un simple Premier ministre de consensus comme l’ont peu ou prou été ses deux prédécesseurs, Seydou Elimane Diarra et Charles Konan Banny, mais un véritable acteur politique, à l’habileté déjà reconnue, susceptible de tirer la couverture à lui.
Du côté de Guillaume Soro, le calcul était également risqué : Diarra et Banny ont tous deux été phagocytés par son nouvel allié, alors, pourquoi pas lui ? Finalement, chacun a bien compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de cet attelage improbable : pour Soro, une stature politique et une légitimité auprès des populations qui recevront leur carte d’identité ; pour Gbagbo, l’aura du pacificateur et un allié de poids face à l’opposition lors de la présidentielle. Aujourd’hui, les intérêts convergent, mais demain ?

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Dans le pays, la méfiance ne s’est pas subitement dissipée avec le lâcher de colombes. Le 30 juillet, à l’approche du stade de Bouaké, Diakité, venu d’Abidjan au volant de sa voiture, n’a pu s’empêcher de jeter un il suspicieux sur les militaires en faction : « Eux, ce sont des rebelles, regarde comme ils sont bien armés. Ils ont toujours le contrôle », prévient-il. Quelques heures auparavant, apercevant une femme enceinte postée devant une voiture en panne le long de la route, le vieil homme ne s’arrête pas pour lui venir en aide. « Un traquenard de coupeurs de route », assure-t-il. Malgré toute sa bonne volonté et son lyrisme d’artiste, Amérikin, lui aussi, est sur ses gardes : « On attendait beaucoup du 30 juillet, mais quand on est arrivé, on a regardé les habitants de Bouaké avec crainte. Le démon est toujours tapi dans l’ombre, nous devons être prudents. »
Avec la gouaille d’un prédicateur évangélique et son enthousiasme contagieux, Gbagbo a beau clamer « au peuple de Côte d’Ivoire » que « la guerre est finie » et qu’il faut aller aux élections « vite, vite, vite », ce sont les faits qui décideront. Pour le moment, lui et son Premier ministre semblent si pressés qu’ils donnent l’impression de brûler les étapes. De jeter symboliquement les armes au feu, le 30 juillet à Bouaké, n’est pas tout à fait la même chose que de retirer aux ex-rebelles leur arsenal. De même, le démantèlement des milices, prévu par l’accord de Ouagadougou et expédié le temps d’une cérémonie le 19 mai à Guiglo (Ouest), en présence du chef de l’État, n’est pas synonyme de désarmement. Alors que le document de Ouaga prévoyait deux semaines, il est apparu aux yeux de tous qu’il était raisonnablement impossible de collecter l’artillerie en vingt-quatre heures.
Principale revendication du camp Soro, les audiences foraines, qui doivent permettre l’identification des populations et la mise à jour des listes électorales, n’ont toujours pas commencé. Le redéploiement de l’administration, s’il a débuté, tâtonne. Et la présidentielle dans un délai de dix mois à compter du 4 mars 2007, faut-il y croire ? « Sur les lèvres, Gbagbo est pressé d’aller aux élections, estime Germain, employé dans un hôtel de Bouaké. Mais dans le cur, il ne l’est pas. » Pour lui, le chef de l’État a tout intérêt à repousser l’heure de vérité – l’identification des populations, qui donnera des indications sur son poids électoral réel – pour être sûr de rester à son poste. Mais sous les fines ondées de la fin du mois de juillet, il veut croire qu’en dépit des inévitables calculs politiques « la paix est irréversible ».

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