L’Afrique hisse pavillon à Venise

Jusqu’au 21 novembre 2007, la Cité des doges accueille la 52e Biennale d’art contemporain sur les rives de sa célèbre lagune.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 5 minutes.

Sous la houlette du peintre et critique d’art américain Robert Storr, une centaine d’artistes venus du monde entier sont présentés cette année dans l’exposition internationale et presque autant dans les 76 pavillons nationaux répartis entre les Giardini, l’Arsenal et le centre historique de la Sérénissime. Pour la première fois depuis sa création, en 1895, il y a donc plus d’un siècle, la Biennale met l’Afrique à l’honneur en lui dédiant un pavillon spécial et en récompensant l’un des siens, le photographe malien Malick Sidibé, par un Lion d’or (voir J.A. n° 2422).
Quelles qu’aient été les raisons de cette soudaine attention, la qualité de Check-list-Luanda Pop, l’exposition présentée dans le pavillon africain, a fait l’unanimité. Sélectionnées par les deux commissaires, l’écrivain d’origine camerounaise Simon Njami et l’artiste angolais Fernando Alvim, dans la collection de l’homme d’affaires Sindika Dokolo, les oeuvres des 30 artistes exposés offrent un contrepoint subtil aux standards parfois pesants de l’exposition. Pour mieux comprendre la dynamique qui a animé cette première expérience africaine à Venise, nous avons rencontré Simon Njami à son domicile parisien. Entretien.

Jeune Afrique : Un pavillon africain ? Il y a donc une réalité africaine ?
Simon Njami : Je suis de ceux qui pensent qu’il y a une unité africaine. Non pas tant du point de vue d’une spécificité culturelle que d’une position dans le monde. L’Afrique contemporaine s’est forgée dans le postcolonialisme. Tous les pays africains ont peu ou prou cela en commun.

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Vous vous inscrivez dans la logique de ces penseurs africains qui parlent aujourd’hui de dépasser le fait national au profit d’une intégration régionale
En art, comme dans beaucoup d’autres domaines, il est un fait que les pays africains n’ont aucun intérêt à fonctionner seuls. La balkanisation de l’Afrique était d’ailleurs une des craintes de Senghor. Quel intérêt pour un pays africain d’investir quatre fois son budget culturel dans la location d’un espace à la Biennale de Venise ? Et puis, l’idée d’un pavillon africain permet la confrontation des dynamiques de création à l’échelle du continent, ce que ne permettent pas les expositions internationales habituelles, qui ont fini par inclure régulièrement des artistes africains. Là, il s’agit de poser un regard endogène sur les interactions, les échanges entre la diaspora et le continent, de faire le point sur ce qui se passe d’intéressant dans la création africaine. C’est aussi le sens du titre donné à l’exposition Checklist- Luanda Pop.

Quel est le sens exact de cette stratification de noms : pavillon africain, Check-list, Luanda Pop ?
Le pavillon africain est un lieu, rien de plus. Il fallait donc lui donner un sens, l’habiter. Check-list, c’est l’idée de faire le point sur ce qui a déjà été fait depuis la fin des années 1980, d’Ethnicolor (1987) à Africa remix (2005) en passant par des expositions plus controversées comme les Magiciens de la Terre ou à d’autres encore, comme Seven Stories ou Short Century. Luanda Pop, outre le clin d’oeil au pop’art, est une référence aux feria populare de l’Afrique lusophone. C’est le dynamisme déjà évoqué, le rapport autonome de l’Afrique à sa création et donc à son avenir.

Et pourtant on y trouve aussi des non-Africains ; Barceló, Basquiat, Warhol
Puisqu’on parle d’immigration choisie, pourquoi l’Afrique ne choisirait-elle pas d’intégrer elle aussi ? Qu’est-ce qu’un artiste africain ? Celui qui vit en Afrique ? Dirait-on au premier coup d’oeil que Kentridge1 est africain ? Un journaliste semblait surpris par la présence d’un Égyptien Ces oeuvres ont toutes un rapport à l’Afrique parce que leurs auteurs y ont intégré cette dimension. Je ne suis pas pour les définitions essentialistes. Il y a les Africains et ceux que l’Afrique a inspirés.

Dans vos textes émerge l’idée d’une autonomie de l’art africain, au sens où l’Afrique a quelque chose à dire sur la création contemporaine. La genèse² du pavillon africain ne pose-t-elle pas un problème du point de vue de cette autonomie revendiquée ?
Il est indéniable qu’il y a eu une volonté de captation. Robert Storr a beaucoup communiqué sur son choix de créer ce premier pavillon consacré à l’Afrique – rarement sur ceux qui l’ont réalisé. Mais c’est presque normal qu’il y ait ce mouvement. Ce qui est plus étrange, en revanche, c’est la manière dont les choses se sont passées. Et c’est cela qui participe de ce regard exogène dont je parle souvent, fait de commisération, de craintes, de soupçons. Je connais plusieurs commissaires d’exposition africains qui ont une expérience solide de ce type de projet. Pourquoi ne pas s’être adressé directement à eux plutôt que de lancer une sorte d’appel d’offres international ? Imagine-t-on un instant que l’exposition du pavillon français ou britannique soit soumise à la décision d’un jury international ? J’ai même un ami autrichien qui a envoyé un dossier Je suis sûr qu’il était excellent Notre dossier étant lui aussi très bon, je pense que l’idée d’un commissaire africain pour le pavillon africain a quand même fini par s’imposer. Cela dit, l’expérience est positive. D’abord, parce que le pavillon africain existe. Il est là aujourd’hui, il sera là dans deux ans, quatre ans La présence africaine est donc devenue pérenne. Elle est positive aussi par la qualité du projet. Un projet pensé, construit, et complètement financé par des Africains.

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On a entendu quelques polémiques autour de ce financement
Encore ce fameux regard extérieur. Je ne dis pas qu’on ne doit pas se poser de questions mais pourquoi ne se les pose-t-on qu’à propos du financement du pavillon africain ? Lorsqu’on a appris que notre dossier a été choisi, il nous restait à peine trois mois pour monter le projet Nous aurions pu nous tourner vers les circuits de financements habituels, liés à la coopération culturelle européenne. Mais, nous avons refusé cela pour construire un projet 100 % africain. L’investissement personnel de Sindika Dokolo dans l’art contemporain africain est indéniable. Il possède la plus importante collection privée d’Afrique, a soutenu la Triennale de Luanda et maintenant le pavillon africain à Venise. Ceux qui ne savent ou ne veulent pas parler de création africaine trouveront toujours de creuses polémiques à soulever.

L’attribution du Lion d’or à Malick Sidibé fait-elle aussi partie de ce regard exogène que vous dénoncez ?
Absolument. Malick est un excellent photographe et un ami. Mais sa pratique de la photographie n’a rien à voir avec la création contemporaine. Là encore, Il s’agit d’imposer une image de l’art africain en complet décalage avec la réalité, une image tirée des années 1950-1960, presque une image d’Épinal. Il y a là un mélange des genres entre bonnes intentions et condescendance qui rappelle la grande époque du colonialisme triomphant.

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1. Artiste sud-africain issu d’une famille de la bourgeoisie blanche.
2. Le comité directeur de la Biennale a lancé un appel à projets après avoir décidé d’octroyer un espace officiel à l’Afrique sous la forme d’un pavillon « national ». Outre que le choix s’est fait dans la plus parfaite opacité, il n’a été rendu public que quatre mois avant l’ouverture de la Biennale.

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