Jean-Marie Bockel « Le président, l’ouverture, l’Afrique et moi »

Socialiste libéral en délicatesse avec son parti, il a accepté le poste de secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie dans le gouvernement de François Fillon. « Oui, j’ai encore des choses à découvrir, admet-il, mais je travaille beaucoup et

Publié le 6 août 2007 Lecture : 9 minutes.

La voix est forte, la poignée de main ferme et le port altier. Jean-Marie Bockel, 57 ans, le secrétaire d’État français à la Coopération et la Francophonie, est militant de gauche depuis les années post-1968 et maire socialiste de Mulhouse depuis bientôt vingt ans. Il fait partie des « hommes de l’ouverture » du président Nicolas Sarkozy – ou des « traîtres », comme on voudra. Plus que les autres, il va lui falloir faire ses preuves rapidement, sous peine de voir sa longue carrière politique (il fut député à 31 ans, secrétaire d’État à 34 ans) sérieusement compromise au premier désaveu du prince.
Ce n’est donc pas sans volontarisme que Bockel, qui a mis pour la première fois les pieds sur le continent africain, en Tunisie, à l’âge de 18 ans, lors d’« un camp scout », prend ses marques dans l’hôtel particulier de la rue Monsieur. Peu au fait des détails et des enjeux de la politique française d’aide au développement – même s’il est, depuis longtemps, l’initiateur de projets de coopération décentralisée entre sa ville alsacienne et l’Afrique -, il ne veut surtout pas être tenu à l’écart du gouvernement. Il est là, bien là, et veut le faire savoir.
Lorsqu’il nous a rendu visite au siège de Jeune Afrique, il rentrait tout juste de la tournée africaine du chef de l’État – au cours de laquelle, il l’avoue en riant, il a joué des coudes avec d’autres membres de la délégation pour apparaître le plus souvent possible sur les photos au côté de Sarkozy. Il est grand, bronzé et affiche une belle forme physique, entretenue par la natation et la marche à pied.
Est-ce le courage des désespérés qui le fait aujourd’hui affronter crânement les critiques acerbes de ses ex-amis de gauche et la déception de ses proches (son épouse et trois de ses enfants sont des socialistes de toujours) ? Ou l’audace héritée de sa foi catholique ? Ou un sens de l’abnégation tout militaire (il est colonel de réserve) ?
La vérité est que ce social-libéral bon teint, fils d’un notaire et conseiller municipal (MRP, puis UDF) d’une petite ville alsacienne (Thann), n’a jamais eu la moindre affinité avec l’extrême gauche. Et que, depuis dix ans, il se trouvait quelque peu marginalisé au PS. Son mentor, c’est Jean-Pierre Chevènement Lui-même est avocat et père de cinq enfants. Il est de gauche, bien sûr, mais sur des terres qui ne l’ont jamais été. Il s’était rapproché de Sarkozy sur les questions sécuritaires, très sensibles à Mulhouse. Même s’il a soutenu Ségolène Royal pendant la campagne présidentielle, Jean-Marie Bockel était l’un des premiers visés par « l’ouverture ». Il le savait depuis longtemps et s’y était préparé.
À propos de la Coopération, le portefeuille dont il a finalement hérité, il admet avoir « des choses à apprendre ». Mais, dit-il, « je travaille beaucoup et j’apprends vite ». Pour la première fois dans Jeune Afrique, il évoque ces « dossiers africains » dont il a désormais la charge.

Jeune Afrique : Que pensez-vous du discours du président Sarkozy à Dakar ?
Jean-Marie Bockel : C’était un bon discours. Certains passages ont suscité des critiques, mais il faut bien voir qu’il ne s’agit là que d’un point de départ, qui sera, à l’avenir, décliné sous diverses formes [voir aussi pp. 40-48]. Car ce n’est pas le dernier voyage du président en Afrique ! Il y a eu de très beaux passages, notamment quand il a expliqué que la colonisation, même dans ce qu’elle a eu de plus regrettable, fait partie de notre patrimoine commun. Certaines choses devaient être rappelées avant de parler d’avenir.

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Approuvez-vous son opposition entre « l’homme africain » et « la modernité » ?
Le fait que le président ait présenté avec franchise sa vision du continent, et de ce qui lui paraît constituer des freins à son développement, est intéressant. Ce n’est pas nous qui allons permettre à l’Afrique de prendre son avenir en main, c’est à elle de le faire. Voilà le sens du discours, tel que je l’ai perçu. Des propos convenus qui n’auraient fait aucune vague, comme on a pu en entendre dans le passé, auraient constitué un rendez-vous manqué. Ce discours est fondateur. Il est porteur d’une vision du monde et de principes d’action.

Après avoir promis une « rupture » dans les relations franco-africaines, était-il opportun de se rendre au Gabon dès cette première tournée subsaharienne ?
Depuis ma prise de fonction, je tente de maintenir un équilibre entre notre volonté réformatrice, qui est notre feuille de route, et la réalité. Il est bien de critiquer, fût-ce avec fermeté, à condition de ne pas oublier que les hommes et les femmes en place sont nos interlocuteurs. Nous ne pouvons fixer, seuls, les règles du jeu. Ce serait de l’arrogance Dans l’histoire de nos relations avec l’Afrique, la réalité a été parfois niée, et cela a conduit à des déceptions. Et puis, si la France décidait de punir tel ou tel pays, d’autres prendraient aussitôt sa place ! J’estime qu’il y aurait eu davantage d’inconvénients à ne pas aller au Gabon que l’inverse. Je vous donne rendez-vous dans six mois : vous ferez alors le bilan des déplacements en Afrique des membres du gouvernement.

Vous insistez beaucoup sur l’importance de la bonne gouvernance. La France va-t-elle conditionner son aide au respect de ce critère ?
Au-delà des principes moraux, il importe de ne pas oublier que l’efficacité de l’aide peut être faible, voire nulle, quand la bonne gouvernance n’est pas au rendez-vous. Alors oui, nous allons émettre des signaux en ce sens. Dans certains pays, nous ferons plus et mieux. Dans d’autres, nous serons présents différemment, en soutenant certaines ONG, par exemple. Nous n’allons sûrement pas dresser une « liste noire », mais nous nous montrerons très attentifs à cette question, même dans le cas de pays avec lesquels nous entretenons de bonnes relations ou qui ont une importance stratégique. Nous userons de tous les leviers à notre disposition, mais, je le répète, sans arrogance. Dans un premier temps, l’idéal serait de démontrer, à partir de deux ou trois exemples, qu’il est possible de faire mieux, d’être plus efficace. Ce serait le meilleur moyen de faire comprendre notre politique, sans forcément tout bouleverser.

Jacques Chirac s’était engagé à affecter, d’ici à 2012, 0,7 % du revenu national brut de la France à l’aide publique au développement (APD). Apparemment, l’échéance a été repoussée à 2015. Comment prétendre maîtriser les flux migratoires en réduisant les promesses d’aide ?
Nous maintenons l’objectif des 0,7 %, car c’est un engagement international de la France, mais il y a un gros travail à faire sur ce qu’on entend par APD. Avant de songer à atteindre cet objectif, assurons-nous que les moyens financiers déjà débloqués sont bien utilisés. Par ailleurs, lier les budgets APD à la question migratoire est un grave contresens. Le but des politiques de développement n’est pas seulement la maîtrise de l’émigration, c’est aussi la solidarité, la paix et les droits de l’homme. Mais si l’aide incite les gens à rester chez eux, ou à y retourner, c’est très bien.

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Comment vous êtes-vous ?partagé les rôles avec Brice Hortefeux, le ministre de l’Immigration et du Codéveloppement ?
Les discussions se poursuivent, mais je tiens à dire que je suis en phase avec l’objectif du gouvernement de maîtriser les flux migratoires. La gauche aurait dû se positionner plus fortement, et depuis fort longtemps, sur cette question. Pour le partage des rôles, le codéveloppement ne pourra être intelligemment mis en uvre que si les outils de la coopération sont mis à contribution. D’autre part, les accords de codéveloppement liés à la régulation des flux migratoires n’auront vraiment de contenu que s’ils ne se limitent pas à la seule compétence de Brice Hortefeux. Nous devons travailler ensemble, dans un souci de cohérence. Je ne me considère pas comme une citadelle assiégée.

Mais qui sera le pilote ?
Le pilote des accords de codéveloppement, c’est Brice Hortefeux. Le pilote de la politique d’aide publique au développement, sous l’autorité de Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères, c’est moi. Cette dualité pourrait être source de tensions si nous étions en désaccord sur les objectifs, ce qui n’est pas le cas.

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L’hôtel particulier qui abrite les services du ministère de la Coopération va être vendu. Les Chinois semblent intéressés
J’ai cru comprendre que j’étais rue Monsieur pour quelque temps encore, deux ans au minimum. Je ne parle naturellement pas de moi, mais des services du secrétariat d’État. Quant au projet de la Chine d’y installer ses bureaux Afrique, symboliquement, c’est en effet une vraie question.

Les dirigeants africains sont de plus en plus fréquemment l’objet d’actions en justice, en France. Est-ce de nature à nuire aux relations diplomatiques ?
Je n’ai aucune raison d’être gêné par ces enquêtes et ne préjuge d’ailleurs pas de leur issue. Tout le monde, nos partenaires comme nous-mêmes, va devoir apprendre à vivre avec ça. L’État de droit ne se divise pas. À mes yeux, les interférences entre les considérations diplomatiques et la justice sont de l’histoire ancienne. Le « pré carré » n’existe plus !

Bernard Kouchner vient d’être invité au Rwanda. Le rétablissement des relations dépend-il d’une révision du rôle de la France dans le génocide de 1994 ?
Je n’ai pas de commentaire à faire.

Et sur l’évolution de la situation en Cote d’Ivoire ?
C’est un dossier traité au plus haut niveau.

L’envoi de troupes françaises dans l’est du Tchad, même sous la bannière européenne, n’est-il pas une légitimation de fait de la présence militaire française ?
Dans des crises aussi graves, nous sommes obligés de hiérarchiser nos priorités. La première d’entre elles est d’être présent sur le terrain afin de protéger les populations. Nos relations avec tel ou tel pays ne viennent qu’ensuite.

La France s’était engagée à financer le déménagement de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), afin de créer une Maison de la Francophonie, dans de nouveaux locaux. Or les parlementaires n’ont pas voté le budget, le coût de l’opération dépassant largement les prévisions
L’engagement doit être tenu, car c’est une bonne idée de réunir en un même lieu les bureaux, jusqu’ici disséminés, de l’OIF. Mais les solutions initialement envisagées vont devoir être expertisées pour tenir compte du surcoût occasionné notamment par le désamiantage qu’il va falloir entreprendre. Il faut également savoir si le ministère de l’Environnement a vocation à utiliser une partie de ces vastes locaux. Si la réponse est non et que l’OIF ne peut les utiliser seule, il faudra envisager d’autres solutions, mais sans traîner.

Comment s’est déroulée votre nomination ?
On m’avait également proposé le ministère de l’Emploi, mais la Coopération a été mon dernier choix. Je n’avais pas fait acte de candidature, mais j’avais des contacts avec, notamment, Brice Hortefeux. Ceci étant dit, j’ai été loyal jusqu’au bout de la campagne de Ségolène Royal

Avez-vous hésité ?
Non, car je savais que cela risquait d’arriver. J’étais prêt à dire oui. Si j’avais estimé que cette ouverture n’avait pas de sens, j’aurais décliné.

Regrettez-vous d’avoir quitté le Parti socialiste et de ne pouvoir participer à sa rénovation ?
C’est l’une des questions que je me suis posées avant de franchir le pas. Ayant tenté de promouvoir cette rénovation pendant dix ans, j’ai eu le sentiment que, si elle devait enfin s’engager, ce ne serait plus mon histoire. Les idées sociales-libérales que j’ai tenté de défendre au PS n’y ont pas encore trouvé leur place. Il y a trop de pesanteurs
En 2002, si Dominique Strauss-Kahn m’avait écouté, on aurait réussi à faire bouger les lignes et l’on aurait sans doute eu un autre candidat à l’élection présidentielle. Il y a eu un manque d’audace, c’est certain. J’étais trop seul. À présent, la rénovation qui s’annonce semble assez classique, générationnelle et sociale-démocrate. Trente ans après tout le monde ! En France, mes idées ont été captées par la droite et Nicolas Sarkozy. J’avais le choix entre rester l’ultraminoritaire de service ou accepter la main tendue.

Ne craignez-vous pas d’être « l’alibi de l’ouverture » ?
En tant que membre du gouvernement, j’ai le droit et le devoir de m’exprimer en interne si j’estime que j’ai des choses à dire sur certains sujets. Pour le reste, j’ai un devoir de solidarité et, pour le moment, ce n’est pas très difficile, car je suis d’accord avec l’essentiel.

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