Grandes manuvres dans la petite lucarne

Face à l’offensive des télévisions moyen-orientales au Maghreb, les chaînes locales n’entendent pas se laisser distancer. Et organisent la riposte.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 4 minutes.

Nouvelles chaînes de télévision privées, audimat en hausse et explosion du marché publicitaire, qui devrait croître de plus de 130 % entre 2006 et 2009 : le paysage audiovisuel maghrébin (PAM) est en pleine mutation. Profitant du net recul des chaînes françaises au Maghreb (- 28,5 % de téléspectateurs entre 2004 et 2006), les télévisions de la région cherchent à investir cet espace à tout prix. Et pour cause : la conquête de quelque 80 millions de téléspectateurs, aujourd’hui, et de plus de 100 millions à l’horizon 2050, est en jeu Autant dire une manne, à condition d’écarter la concurrence moyen-orientale, qui lorgne, elle aussi, ce vaste marché.

Depuis quelques années, en effet, Al-Arabia, MBC, LBC, Future TV, Rotana et bien d’autres chaînes encore du Machrek et de la péninsule Arabique affichent des taux de pénétration (également appelés taux d’audience journalier) remarquables au Maghreb : 69 % en Tunisie, 40,8 % en Algérie et 63,2 % au Maroc. « Les chaînes tout info nous livrent des news rapides, de bonnes analyses et, surtout, des débats très libres, ce qui est tout à fait inconcevable sur nos chaînes nationales », explique un téléspectateur algérien.

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Al-Jazira fournit sans doute l’exemple le plus abouti du succès des chaînes satellitaires arabes en Afrique du Nord. Depuis sa création en 1996, la télévision qatarie s’est imposée, à travers tout le monde arabe, comme « le » contrepoids aux armes de « conviction massive » occidentales incarnées par CNN et la BBC. Même si les chaînes musicales et islamiques tirent également leur épingle du jeu
Les clips des stars de la chanson arabe comme les Libanaises Nancy Ajram, Majda Erroumi et Haïfa Wahbi et les prêches de jeunes prédicateurs au look résolument moderne qu’elles diffusent remportent effectivement un franc succès. En quelques années, les programmes religieux proposés par Iqraa et Arrissala (Arabie saoudite), qui exploitent à fond le témoignage des vedettes récemment converties au voile ou à la charia, ont su séduire un public de plus en plus large. Les téléspectateurs ont la sensation d’y trouver des réponses simples aux questions qu’ils se posent dans leur vie quotidienne. D’autres chaînes, plus conservatrices, comme Al-Majd, Al-Fajr ou Al-Anwar, ne sont pas en reste non plus. Dédiée à la récitation du Coran, la saoudienne Ennass bénéficie déjà, par exemple, d’un taux d’audience de l’ordre de 2,5 % en Algérie, au Maroc et en Tunisie, soit l’équivalent de 1,5 million de téléspectateurs quotidiens dans les trois pays, un peu plus de six mois seulement après son lancement.
Au total, c’est plus de 1 500 chaînes, dont près de 250 en arabe, que peut recevoir le téléspectateur maghrébin grâce au satellite Une offre, certes pléthorique, qui n’empêche pourtant pas les télévisions nord-africaines de résister, peu ou proue, à l’envahisseur. Publiques ou privées, la Tunisie et l’Algérie en comptent trois chacune, et le Maroc sept – quatre généralistes et trois spécialisées dans le sport, l’éducation et la religion.

Selon une étude réalisée en mai dernier par Sigma Conseil, leurs performances restent même très flatteuses. Si l’on en croit les résultats de l’enquête, les chaînes tunisiennes et algériennes ont respectivement réalisé 42,7 % et 30,1 % de parts d’audience en 2007, ce qui les place en deuxième position derrière les chaînes moyen-orientales. Les marocaines font encore mieux puisque, avec 52,9 % de parts d’audience, elles ont réussi à rester en première position. Autant de résultats qui conduisent les entrepreneurs maghrébins à continuer d’investir dans le secteur : récemment deux nouvelles chaînes, volontairement panmaghrébines, ont vu le jour dans la région. Nessma TV, conçue par les frères tunisiens Karoui, est consacrée aux émissions de divertissement, tandis que Médi1Sat, la première télévision privée du royaume chérifien née d’un investissement franco-marocain, réserve, elle, une large place à l’information.

Pour endiguer la percée de leurs confrères du Moyen-Orient, les professionnels maghrébins ont su adapter leurs programmes, à l’instar de 2M au Maroc et Hannibal TV en Tunisie : exit les sempiternels documentaires sur la reproduction des mammifères marins en Méditerranée, place aux sitcoms, feuilletons soap, pièces de théâtre et émissions culturelles. « Ce n’est pas compliqué, si les chaînes répondent aux attentes du téléspectateur, l’audience sera au rendez-vous », affirme un professeur de l’université de Tunis. Le constat ne souffre aucune ambiguïté : le temps où toute la famille se réunissait au salon pour regarder ensemble un programme télé est définitivement révolu. Aujourd’hui, chacun regarde dans son coin ses émissions préférées, qui plaisent rarement à tout le monde en même temps.
De son côté, le Maroc a également décidé de laisser libre cours à l’initiative privée. En juillet 2004, le royaume a adopté un projet de loi relatif à l’audiovisuel, qui a conduit à la libéralisation du secteur. Résultat : les nouvelles chaînes se multiplient et la production d’émissions est en constante progression dans le pays.
Reste que les chaînes arabes n’ont pas dit leur dernier mot. Pour défendre leur leadership en Afrique du Nord, les « majors » du Golfe contre-attaquent en créant des programmes spécialement dédiés au public maghrébin. En novembre 2006, Al-Jazira a, par exemple, lancé un « Journal du Maghreb », qui couvre uniquement l’actualité de l’Algérie, de la Mauritanie, du Maroc, de la Tunisie et de la Libye. Le combat s’annonce serré !

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