Des ballons et des bombes
La victoire des footballeurs dans la Coupe d’Asie des nations est un exploit. La mort de cinquante supporteurs dans des attentats, à Bagdad, une sinistre routine.
Publié le 6 août 2007 Lecture : 3 minutes.
1-0, c’est la plus courte des victoires. Mais elle suffit au bonheur de tout un peuple, occupé, humilié, meurtri et déchiré par les violences interconfessionnelles. En venant à bout de leurs voisins et rivaux saoudiens grâce à un coup de tête rageur de Younis Mahmoud Khalaf, leur attaquant kurde, et en s’adjugeant du même coup leur première Coupe d’Asie des nations, les footballeurs irakiens ont réalisé un authentique exploit.
Pour d’évidentes raisons de sécurité, la sélection prise en main il y a deux mois par le coach brésilien Jorvan Vieira s’était préparée à Dubaï, avant de mettre le cap sur l’Indonésie. Pour se hisser en finale, les valeureux Irakiens ont notamment battu les Australiens (huitièmes de finalistes de la dernière Coupe du monde), les modestes Vietnamiens en quart, puis les favoris sud-coréens en demi (0-0, et 4 tirs au but à 3). Ce sacre inattendu à un goût de renaissance. Dominatrice au début des années 1980, la sélection irakienne était parvenue à se qualifier, en 1986, pour la phase finale du Mundial mexicain. Ensuite, plus rien. Une éclipse de vingt ans.
Peu spectaculaires et pratiquant un jeu hyperdéfensif, les nouveaux champions d’Asie n’ont perdu aucune de leurs six rencontres, mais n’ont marqué que sept buts, dont quatre grâce à Younis Mahmoud. Sur un plan strictement sportif, leur épopée victorieuse n’est pas sans rappeler celle des Grecs lors de l’Euro 2004, que ces derniers avaient remportée, à la surprise générale, en battant successivement la France, tenante du titre, la République tchèque et le Portugal.
S’agissant de l’esprit et du symbole, difficile, en revanche, de ne pas faire le parallèle avec la Côte d’Ivoire, finaliste de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN) et brillante représentante du continent lors du Mondial allemand, l’an dernier.
Venant d’un pays coupé en deux par la guerre civile depuis septembre 2002, les « Éléphants », comme on les surnomme, ont joué les ambassadeurs de la paix entre le Nord et le Sud. La meilleure illustration en a été la complicité unissant sur le terrain Didier Drogba, la star sudiste, et Aruna Dindane, le providentiel buteur nordiste. Le 2 juin dernier, en obtenant de faire disputer à Bouaké, fief et « capitale » de l’ex-rébellion, un match contre Madagascar qualificatif pour la CAN 2008, les Éléphants ont même donné un sacré coup de pouce à la réconciliation.
Si les factions ivoiriennes ont su entendre l’appel des virtuoses du ballon rond, tel n’a pas été le cas, hélas, des terroristes irakiens, qui n’ont vu dans les manifestations de liesse populaire consécutives aux victoires de l’équipe nationale que le prétexte à de nouvelles atrocités. Illustration de la tragique impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui ce pays, une cinquantaine de personnes ont été tuées, à Bagdad, par l’explosion de deux bombes déposées dans les quartiers de Mansour (à majorité sunnite) et de Ghadir (à majorité chiite), alors qu’elles fêtaient la victoire sur la Corée.
« Nous pensions avoir réalisé quelque chose de grand, avoir changé le cours de l’Histoire, s’est désolé l’entraîneur brésilien, qui va quitter son poste. Ces massacres sont insensés. Si nous perdons, des gens se font tuer. Et si nous gagnons, des gens se font tuer aussi. »
Ces drames ont-ils renforcé la détermination des Irakiens lors du coup d’envoi ? « Oui, explique Mahmoud, nous étions dans l’obligation de gagner, pour honorer les victimes innocentes. » Le héros de Jakarta, qui craint pour sa vie et reste sans nouvelles de l’un de ses amis, enlevé il y a un an, ne rentrera pas à Bagdad, et rejoindra directement son club d’El-Gharafa, au Qatar. En attendant, peut-être, un transfert dans une équipe plus huppée. Il intéresserait, dit-on, le Sunderland FC, nouveau promu en Premier League anglaise
