Coup de pioche dans le « pré carré »

La hausse des cours de l’uranium fait monter la tension entre le pays et le groupe français Areva. Sous le regard intéressé des Chinois et des rebelles touaregs.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 5 minutes.

Des rebelles touaregs, des prospecteurs chinois, un officier français à la retraite et un ancien conseiller de François Mitterrand L’affaire qui oppose l’État du Niger au groupe nucléaire français Areva pourrait faire un bon scénario. Mais surtout, elle montre que, dans leur « pré carré », les Français doivent compter désormais avec les Chinois. Peut-être pour le plus grand bénéfice de certains États miniers.
Au départ, il y a une situation de monopole. En 1971, la France commence à exploiter la mine d’uranium d’Arlit, dans l’extrême nord du Niger. Pour les Français, ce site est stratégique. Son uranium à haute teneur est indispensable à leur programme électronucléaire et à leur production d’armement. D’ailleurs, Nicolas Sarkozy le reconnaît. Le 27 juillet à Libreville, il déclare avec une certaine franchise : « Le Niger est un pays important pour nous, puisque ce sont les principaux producteurs d’uranium militaire, d’où la présence d’Areva sur place. » Tout est dit. La nouveauté aujourd’hui, c’est que de nouvelles compagnies étrangères prospectent le sous-sol nigérien. Des compagnies canadiennes et australiennes, mais surtout la China Nuclear Engineering and Construction Corporation (CNEC). L’an dernier, celle-ci décroche un permis sur le site de Teguidan Tessoumt. Réserves estimées : 12 000 tonnes d’uranium. Début de l’exploitation prévu en 2010. La compagnie française Areva n’est pas en reste. Sur son nouveau site d’Imouraren, les réserves sont d’environ 80 000 tonnes. Mais elle n’est plus seule au Niger. Qui plus est, la convention pluriannuelle qui la lie à l’État nigérien expire le 31 décembre prochain. Depuis l’an dernier, Niamey veut renégocier le prix de vente de son minerai à la hausse. Normal. Comme le monde s’intéresse à nouveau à l’énergie nucléaire civile, le cours de l’uranium s’est envolé.

C’est dans ce contexte que la rébellion touarègue éclate en février dernier. Le 19 avril, le site d’Imouraren est attaqué par les rebelles du Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ). Deux gardes sont tués et six véhicules volés. Pour sécuriser cette mine, Areva fait appel à un ancien officier français, le colonel de Namur. Celui-ci connaît bien le Niger. Au temps de la première rébellion touarègue, dans les années 1990, il était attaché de défense à l’ambassade de France à Niamey. Comme beaucoup d’autres militaires français, il est séduit par les « hommes bleus » du désert. Il noue avec eux des relations d’amitié. Pour protéger le site d’Imouraren, Areva passe aussi contrat avec le capitaine Agidar Mohamed, des Forces nationales d’intervention et de sécurité (Fnis). Cet ancien rebelle touareg avait intégré l’armée nigérienne après l’accord de paix de 1995.
Le problème, c’est qu’à la fin juin Agidar passe à la rébellion avec ses quarante-deux hommes et emporte la paie avec lui. Comme dit le secrétaire d’État français à la Coopération Jean-Marie Bockel, « du point de vue d’Areva, c’est un peu pas de chance ». Mais du point de vue de Niamey, c’est un camouflet. Le colonel de Namur doit faire ses valises. Puis, le 25 juillet, le directeur d’Areva au Niger, Dominique Pin, est expulsé. Motif : l’ancien numéro deux de la cellule africaine de François Mitterrand aurait financé la rébellion. La présidente d’Areva, Anne Lauvergeon, elle aussi ancienne sherpa de François Mitterrand, a beau protester, rien n’y fait.

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Les Nigériens croient-ils eux-mêmes à leurs accusations ? Pas sûr. Certes, dans l’entourage du chef de l’État, Mamadou Tandja, certains soupçonnent Areva de manipuler les rebelles du MNJ pour effrayer la concurrence chinoise. La preuve, disent-ils, un cadre chinois de la CNEC a été capturé par les rebelles le 6 juillet, puis libéré neuf jours plus tard. Mais Areva rappelle que l’une de ses mines a aussi essuyé une attaque du MNJ. Par ailleurs, on voit mal ce fleuron du capitalisme d’État à la française se lancer dans une aventure militaire. Qui plus est au moment précis où il décide d’investir 1 milliard d’euros sur le site très prometteur d’Imouraren. La vraie raison du raidissement nigérien est sans doute ailleurs. Le 31 juillet, le nouveau Premier ministre, Seini Oumarou, se lance dans une attaque en règle contre les prix pratiqués par les Français. « Nous vendons notre uranium à Areva à 27 300 F CFA le kilo à travers une convention qui court jusqu’à la fin de l’année. Or, aujourd’hui, le kilo se vend à 122 000 F CFA sur le marché international. » Seini Oumarou omet de préciser que, dans le monde, seulement 10 % de la production d’uranium se vend sur le marché international, dit « marché spot ». Le reste est négocié dans le cadre de contrats de gré à gré d’une durée moyenne de six ans.

Mais le message est clair. Sans attendre le 1er janvier 2008, le Niger veut un meilleur prix. Sinon, les futurs permis d’exploration seront réservés aux Chinois. « Il est tout à fait normal que le Niger soit aujourd’hui une fille choyée », dit joliment le chef du gouvernement nigérien. Et une fille choyée, il n’y a pas qu’un seul homme qui l’aime. Chaque homme aimerait l’obtenir »
Depuis le regain d’intérêt pour le nucléaire civil dans le monde, il est vrai que la mariée est devenue belle. Alors l’amant chinois va-t-il ravir l’épouse nigérienne au mari français ? Le 31 juillet, Nicolas Sarkozy et Mamadou Tandja se sont téléphoné. « La conversation a été extrêmement amicale et chaleureuse », dit-on à Paris. Le lendemain, le président Tandja a déclaré que le Niger n’avait « nullement l’intention de chasser » Areva, mais voulait seulement que « chacun trouve son compte dans l’exploitation de l’uranium ». Le 4 août, Jean-Marie Bockel devait se rendre à Niamey pour rétablir « la confiance » entre le Niger et la France.
Aujourd’hui, la confiance se mesure au nombre de permis d’exploration. Sur la vingtaine en négociation, les Chinois en auraient obtenu la moitié. Les Français espèrent en arracher quatre ou cinq Cela dit, Paris n’est pas qu’un partenaire commercial. Comme en 1995, la France, aux côtés de l’Algérie et du Burkina, peut exercer une certaine influence sur les rebelles pour les ramener à la raison. Et comme dit un proche du dossier à Paris, « avec Tandja, il faut remettre les choses au carré, et nous l’aiderons ».

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