Au cur des ténèbres

Le Prix Goncourt 2004 s’essaie avec bonheur au récit court avec Dans la nuit Mozambique.

Publié le 6 août 2007 Lecture : 2 minutes.

Laurent Gaudé s’est fait connaître en 2004 en remportant le prix Goncourt pour son roman Le Soleil des Scorta. Malgré cette célébrité, l’oeuvre de ce jeune auteur français est loin de faire l’unanimité parmi les critiques, qui lui reprochent de faire de la littérature « bienpensante ». C’est sans doute parce que le romancier puise la matière de sa fiction principalement dans les souffrances des outre-mondes et dans les heurs et malheurs des boat people d’Asie et d’Afrique qui viennent échouer sur les plages de l’Occident repu de luxe, calme et volupté.
Alors que la mode à Paris est à l’autofiction et au parisianisme exacerbé, la prose de Gaudé s’emploie à dire et à redire la réalité de l’autre, à rappeler la dette française envers « ces nègres et autres peuplades » qui ont sacrifié leur vie dans les champs de bataille de la Somme et de Garigliano pour préserver la liberté de leurs maîtres coloniaux, à montrer du doigt le scandale de l’inégalité croissante entre les riches et les pauvres du monde. Cette liberté prise avec la mode explique peut-être qu’Eldorado, le très beau dernier roman de Laurent Gaudé, qui s’inspirait du courage surhumain des Soleiman, des Boubakar et autres émigrants prenant d’assaut les océans, les murs et les barbelés pour s’arracher à la misère, est passé quasiment inaperçu lors de sa parution il y a un an.
Pour « bien-pensante » qu’elle soit, la narration de l’auteur n’est pourtant pas dénuée d’art, comme en témoigne son dernier livre, Dans la nuit Mozambique. Les quatre nouvelles qui composent ce recueil racontent l’amour, la folie, l’horreur et la mort. Trois des quatre récits se déroulent en Afrique, continent qui semble hanter l’imaginaire gaudéen. Les protagonistes, essentiellement des Européens, sont des antihéros conradiens qui, au contact des ténèbres de la traite et de la colonisation, s’enfoncent dans la folie ou le désespoir. C’est, par exemple, le cas du personnage principal de la nouvelle « Le colonel Barbaque ». Sauvé pendant la Première Guerre mondiale par un artilleur africain que son régiment laisse ensuite mourir sans soins ni reconnaissance, l’homme balade en Afrique sa mauvaise conscience et prend résolument le parti des colonisés, participant à leurs guerres de résistance.
Affublé par ses compagnons de lutte du surnom guerrier de « colonel Barbaque », il est le « soldat fou qui tue les Français [], assaille les comptoirs, pille les forts et met en pièces les régiments ». À la fois pathétiques et puissants, ces récits sont portés par une parole en convulsion, incantatrice, qui est devenue au fil des livres la marque de fabrique de cet écrivain exceptionnel.

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