Algérie, printemps-été 1962

Publié le 6 août 2007 Lecture : 3 minutes.

Le dernier film de Mehdi Charef, cinéaste révélé dès 1984 avec l’adaptation très réussie pour le grand écran de son livre Le Thé au harem d’Archimède, est une coproduction franco-algérienne dans tous les sens du terme. Au sens propre : ses producteurs – Salem Brahimi et Michèle Ray-Gavras, l’épouse de Costa-Gavras – sont originaires des deux côtés de la Méditerranée, tout comme le financement du film – qui a bénéficié de l’appui du ministère algérien de la Culture. Mais le réalisateur, le sujet du film et la façon dont ce dernier est présenté sont également très franco-algériens. Il pourrait s’agir d’un handicap, pour un long-métrage évoquant une histoire se passant pendant la guerre d’Algérie, thème peu propice aux compromis historiques comme artistiques. C’est incontestablement, en fin de compte, une qualité pour cette oeuvre à la fois forte et tendre, grave et légère.
Cartouches gauloises, c’est une chronique, à travers les yeux d’Ali, un enfant algérien de 11 ans, des derniers mois de la guerre d’Algérie, du printemps au début de l’été 1962, dans une petite ville de l’ouest du pays, qui ressemble fort à Maghnia, près de Tlemcen. Fils d’un moudjahid secrètement parti au maquis et qu’il croit ouvrier en Métropole, ayant pour meilleur ami son camarade de classe Nico, qui appartient à une famille pied-noire très Algérie française, et avec lequel il a construit sa cabane-refuge sous un pont de chemin de fer, Ali peut fréquenter tous les milieux, ceux des deux camps, grâce à son petit boulot de vendeur de journaux. Il est donc le complice, le souffre-douleur ou le protégé aussi bien de colons, de petits Blancs ou d’un harki que de militants FLN ou d’autres Algériens moins engagés dans la lutte. Et il est autant le témoin de l’amour que les habitants du lieu portent à leur sol natal que des horreurs de la guerre.
Rien ne lui est épargné. Ni les exactions des « forces de l’ordre » ou des ultras pieds-noirs côté colonisateur : un enfant jeté d’un hélicoptère, des scènes de torture, des exécutions sommaires de simples gens qui n’ont eu que le tort de dépasser l’horaire du couvre-feu de quelques minutes Ni celles des Algériens côté indépendantiste : la famille entière d’une camarade de jeu assassinée, les poseurs de bombes, les règlements de comptes Mais une fois qu’il a dû se rendre à l’évidence et qu’il a compris que la guerre touche à sa fin, le principal tourment d’Ali, c’est, malgré la joie que lui procure l’arrivée de l’indépendance, de devoir accepter que plus rien ne sera comme avant, que ses amis d’enfance et leur famille vont partir à jamais.
Cette déchirure, Mehdi Charef, enfant de Maghnia, l’a vécue lui-même au début des années 1960. Quand il a vu partir ses copains outre-Méditerranée, et quand, peu après l’indépendance, il a pris lui-même le bateau pour aller retrouver son père, qui travaillait en métropole. En puisant dans ses souvenirs, ce qu’il n’a pu faire de son propre aveu qu’après plusieurs décennies tant sa mémoire était douloureuse, il a recréé un « décor » sans doute assez réaliste. Mais surtout un univers qui laisse au spectateur une impression de vérité absolue. Sans sensationnalisme, sans complaisance pour l’horreur qu’il ne cache pas, sans manichéisme – les bons et les méchants ne sont pas d’un seul côté – et avec une grande sensibilité. Avec aussi et surtout ce regard franc, malicieux et direct, dénué de toute hypocrisie, qu’on attribue volontiers aux enfants. Au risque sinon de la mièvrerie du moins d’un certain simplisme et d’un soupçon d’académisme pour évoquer une situation des plus complexes ? Le risque, pas toujours évité, méritait pourtant d’être couru. Il nous vaut ce beau film nostalgique sans véritable équivalent – du moins si l’on parle de fiction – sur une période délicate et passionnante de l’histoire de l’Algérie.

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