Zarqaoui promet le pire
Dans un communiqué lu sur Internet, le chef d’al-Qaïda en Mésopotamie annonce à Oussama Ben Laden la mise en uvre d’un nouveau plan de guérilla.
La dernière semaine du mois de mai a été marquée par l’annonce, le démenti, puis la confirmation par le gouvernement irakien de la blessure d’Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d’al-Qaïda en Mésopotamie, Bilad er-Rafidain dans le texte, l’homme dont la tête est mise à prix 25 millions de dollars par les Américains. Cela n’a pas empêché ce même mois de mai d’être l’un des plus sanglants depuis la chute du régime de Saddam Hussein. Selon les chiffres officiels, le bilan des violences depuis l’intronisation, le 28 avril, de l’exécutif de transition s’élève à 678 morts, dont deux tiers de civils. Sur les quelque 150 attentats-suicides recensés, une trentaine seulement ont été revendiqués par al-Qaïda. La « modestie » de cette participation au carnage serait-elle due au feuilleton de la vraie fausse blessure de Zarqaoui ? Rien n’est moins sûr.
Le signataire du communiqué en date du 25 mai annonçant la blessure du Jordanien le plus célèbre de la planète est le chef du département Information d’al-Qaïda en Mésopotamie. Il exhorte la Oumma, la communauté musulmane, à prier pour que Dieu assiste Zarqaoui dans son combat contre la mort. Une démarche qui ne ressemble guère aux pratiques de la salafiya, doctrine motrice des djihadistes. Le lendemain, un nouveau communiqué est diffusé par le même site Internet. Il est signé cette fois par un quasi inconnu : Abou Doujana al-Tounissi (« le Tunisien »). Il affirme que la gravité de la blessure du « lion du Djihad » nécessite son remplacement provisoire pour diriger les opérations, le choix s’étant porté sur le Somalien Abou Hafs al-Qarni. L’armée américaine s’abstient de tout commentaire. Pas le gouvernement irakien. Son ministre de l’Intérieur, Bayane Baqer Soulagh, affirme que ses services disposent d’informations : Zarqaoui a été atteint par balles à la poitrine à bord d’un véhicule suspect lors d’une course-poursuite. Après un traitement à l’hôpital de Ramadi, il a été évacué vers l’Iran. Démenti catégorique de Téhéran : Zarqaoui n’est pas sur le territoire de la République islamique. Une autre source gouvernementale donne une version différente : « Zarqaoui a été blessé par des éclats d’obus lors de l’opération de l’armée américaine à Al-Qaïm [non loin de la frontière syrienne] ». Le 27 mai, Abou Doujana atténue son premier communiqué : « Malgré ses blessures, le cheikh Abou Moussab al-Zarqaoui dirige le djihad à l’heure même où ce communiqué est rédigé. »
Lundi 30 mai, Abou Maïssara al-Iraki, du département Information d’al-Qaïda en Mésopotamie, annonce sur Internet une prochaine intervention « du cheikh Abou Moussab al-Zarqaoui pour mettre fin à toutes les spéculations ». Quelques heures plus tard, le Jordanien lit, sur un site Internet, la « lettre d’un soldat sur la ligne de feu à son commandant ». Le message sonore est adressé à Oussama Ben Laden : « Les informations diffusées sur mon état de santé sont totalement infondées. Légèrement touché, je n’ai jamais été soigné à l’hôpital de Ramadi. Je me trouve maintenant au milieu de mes frères de combat et participe à leurs côtés au djihad contre les croisés et les ennemis de la religion. » La voix du chef islamiste a été authentifiée par les services spécialisés du FBI. La suite du message n’augure rien de bon. Zarqaoui évoque la mise en oeuvre d’un nouveau plan de guérilla. « Je pense que le plan établi vous est parvenu ou qu’il est en cours d’acheminement. […] S’il suit son cours tel qu’il a été conçu, ses conséquences apporteront des moments de bonheur aux musulmans et feront trembler l’ennemi qui vit ses pires heures en terre de Mésopotamie. » L’ennemi, selon Zarqaoui, ne se limite pas aux seuls coalisés. Les chiites sont qualifiés de rawafadh, terme que l’on pourrait traduire par « hérétiques » ou « déserteurs ». Même l’ayatollah Ali Sistani, traité d’« imam mécréant », en a eu pour son grade. Sa lettre est signée « votre petit frère », comme un renouvellement d’allégeance.
Zarqaoui rend compte à Ben Laden de la bataille d’Al-Qaïm, « l’une des plus grandioses, où les forces occupantes ont connu une véritable défaite ». Pour rappel, l’armée américaine a fait état d’une opération ayant duré une semaine au début du mois écoulé. Le bilan qu’elle en a donné est de 14 rebelles et 2 marines tués et plusieurs insurgés arrêtés.
Premier enseignement de cette guerre des communiqués : Zarqaoui n’est pas aussi indispensable à l’organisation djihadiste qu’on le dit. Son remplacement ne poserait aucun problème en cas de capture ou de disparition. Son « absence » ou son « empêchement », réels ou feints, n’ont pas contribué à ralentir le recrutement de candidats kamikazes. Même si l’on n’attribue à al-Qaïda que le cinquième des 150 attentats-suicides de mai, la « performance » prouve l’efficacité de l’organigramme. Mieux : en définissant une nouvelle stratégie et en la communiquant à Ben Laden, caché à plus de 2 000 kilomètres du théâtre des opérations, le chef djihadiste inflige un cinglant camouflet aux Américains et à leurs supplétifs, recrutés en majorité au sein de la brigade Badr, branche militaire du Conseil suprême de la Révolution islamique en Irak (CSRII d’Abdelaziz al-Hakim, principale force politique chiite au pouvoir). Non seulement leur traque est infructueuse, mais les deux fugitifs les plus recherchés de la planète parviennent à communiquer entre eux.
Autre enseignement : la confirmation de l’internationalisation d’al-Qaïda en Mésopotamie. Cet épisode a eu pour acteurs un Tunisien, un Somalien et un Irakien, en sus du Jordanien et du Saoudien déchu. La doctrine Zarqaoui inquiète plus d’une capitale arabe. La récente polémique n’a fait qu’alimenter la légende d’un sous-chef terroriste qui, la longévité aidant, fascine de plus en plus de jeunes Arabes séduits par le djihad, comme l’ont été, durant les années 1980, les volontaires pour la guerre sainte en Afghanistan après l’invasion de Kaboul par les T-72 de l’Armée rouge.
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