Un « sauvage » égaré chez les mondains

Publié le 6 juin 2005 Lecture : 2 minutes.

C’était en 1996, juste avant d’aller servir trois ans au Sénégal aux côtés d’André Lewin. Je connaissais très mal l’Afrique, je n’y avais jamais vécu et, malgré l’expérience d’André, j’avais cette sorte d’inquiétude que donne l’ignorance, une profonde ignorance.
Un jour, à l’Élysée, dont il était le secrétaire général, je demandai à Dominique de me parler de l’Afrique, parce qu’il l’aime. Comme ça, sans réfléchir. Et je dis « Dominique » de la même façon, sans réfléchir, comme on le dit d’un ami avec lequel on a passé deux ans à l’autre bout du monde.
Le visage de Dominique se métamorphosa. Ses traits étaient traversés d’une houle passionnée, et ses grandes « pattes » pétrissaient dans l’air une motte de terre invisible. Il se mit à parler avec du feu dans les yeux. L’Afrique ? C’est la vérité vraie. Directe, sans artifices, haine ou amour, l’un basculant dans l’autre mais sans apprêts, loin des affèteries parisiennes qu’il déteste. Sa parole était poétique, violente, éruptive, car c’est ainsi qu’il parle au naturel. L’Afrique de Dominique n’était pas apaisante, mais il avait raison : elle ne l’est pas. Comme le visage du poète, elle était traversée de houles imprévisibles, mais il avait raison : ces houles, je les ai vues. L’Afrique de Dominique était, il le clamait, la véritable vie, le sang du monde, et il avait raison. Ensuite, j’ai découvert qu’il était impossible d’expliquer à ceux qui ne la connaissent pas, aux raisonnables, aux raisonneurs, la passion de l’Afrique. Impossible ? Non. Deux hommes m’ont parlé de cette Afrique-là. André, pour qui l’on ne fait pas entièrement partie de l’humanité si on ne connaît pas l’Afrique, et celui qui vient de devenir le Premier ministre de mon pays.
Il ne faut pas s’y tromper : ce poète, cet élégant énarque, ce beau gosse aux cheveux argentés, cet intellectuel raffiné est un visionnaire à l’état brut, un « sauvage » égaré chez les mondains – dans ma bouche, rien n’est plus élevé que cette « sauvagerie » dont Claude Lévi-Strauss a démontré la grandeur de pensée. Parce qu’il est aristocrate ? Oui ! Déchus de leurs privilèges, les « aristos » font les meilleurs républicains. Ayant passé avec Dominique de Villepin l’année du bicentenaire de la Révolution française à discuter de ce qu’était la France, je sais quelle image il en a, et comment, déjà à cette époque, il rêvait de la rassembler. Il le peut. Contrairement à d’autres, il n’a pas d’ambitions étroites réservées à sa seule personne, à son couple. L’utopie qui l’anime pour la France est d’une autre nature : idéale, idéaliste, à la recherche d’une véritable vie.

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