Tunis à l’heure d’Internet

Ordinateurs, téléphones, kiosques et commerces spécialisés témoignent que les technologies de l’information s’installent progressivement dans le quotidien. Et suscitent l’inventivité de jeunes entrepreneurs.

Publié le 6 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Tout commence par le billet d’avion émis par Tunisair. Commandé à Paris, mis à disposition à Marseille, il réserve une surprise : en lieu et place de l’habituel mille-feuille de papier carbone, un rectangle de carton, au dos duquel une bande magnétique contient les informations nécessaires au voyage. Côté face, les horaires du vol. « Et ici, indique un employé de Tunisair en pointant son stylo sur le ticket, votre numéro de passeport. C’est tout ce dont nous aurions besoin pour renouveler votre billet, au cas où vous le perdriez. » Voilà le « billet électronique », un bout de papier et une piste magnétique pour franchir la Méditerranée en une heure et quarante minutes de vol. Premier symbole de la Tunisie à l’heure des nouvelles technologies.
L’arrivée à l’aéroport de Tunis reste dans le ton. Un peu partout, des affiches rappellent que le pays organise bientôt le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI, voir pp. 84-85). À peine descendus d’avion, Tunisiens et touristes dégainent leur téléphone portable pour prévenir famille et amis. Dans le hall, des kiosques permettent à ceux qui sont à court de crédit de communication d’acheter des cartes téléphoniques. Pour les autres, des rangées de téléphones publics – à pièces et à carte – sont à disposition. Devant les taxis, un groupe d’hommes d’affaires français. Tous font partie de la délégation qui participe à la Journée mondiale des télécommunications qui se tient le lendemain. Ils pourront notamment suivre en vidéoconférence les discours prononcés à Tokyo à l’occasion du 140e anniversaire de l’Union internationale des télécommunications (UIT). Parmi eux, le directeur de Marseille Innovation, importante pépinière d’entreprises de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), et un conseiller régional. Visiblement, les lieux leur sont familiers. Un peu comme si traverser la Méditerranée jusqu’à Tunis était aussi banal pour eux que de passer la Loire pour se rendre à Paris.
Sur l’autoroute nord qui conduit au centre de la ville, le chauffeur de taxi indique la direction de l’Ariana. C’est dans ce quartier que se trouve El Ghazala, technopôle désormais célèbre : son inauguration en 1999 a révélé l’engagement de la Tunisie dans les technologies de pointe. Les raisons sont bien connues. Pour maintenir le rythme de son développement économique, le pays devait trouver une alternative aux industries qui, à l’instar du textile, arrivaient en fin de cycle. D’où la décision d’investir dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, les fameuses TIC. Enseignement, recherche, infrastructures, tarification, incitations fiscales, aide pour l’équipement des ménages et des entreprises : l’État a multiplié les programmes afin de créer les conditions de cette mutation. El Ghazala en est l’emblème.
Avant d’aller visiter la cité technologique, une prise de contact avec l’un des 305 points d’accès public à Internet s’impose pour mesurer les effets de cette politique sur l’homme de la rue. Le premier Publinet rencontré se trouve en plein centre-ville, place du 7-Novembre, juste à côté d’une agence de l’Amen Bank, première du pays à proposer à ses clients la gestion de leurs comptes sur Internet. Pour 1,5 dinar de l’heure (environ 1 euro), le Publinet offre les joies du surf. La vitesse d’affichage des pages Web est un peu lente, mais tout à fait satisfaisante pour consulter sa messagerie électronique ou visiter des sites sans trop d’images ou d’animations. Dans cette salle, tout comme dans un autre Publinet, situé du côté du Belvédère, à deux pas de l’avenue Taïeb-Mhiri, ambiance et décoration sont austères, voire spartiates. Mais la dizaine d’ordinateurs et les internautes affairés sur leurs claviers, tout comme leurs mimiques significatives, rappellent que l’intérêt est surtout de l’autre côté de l’écran. La déco, finalement…
Une visite chez Carrefour, dans le nord de la ville, donne une idée du prix des PC, ces outils indispensables pour l’accès à Internet. Dans ce centre commercial, en tout point semblable à ses pairs de l’autre rive de la Méditerranée, un ordinateur de bureau Packard Bell Imedia 3350 est présenté à 1 200 dinars (740 euros) et un portable Acer à 1 500 dinars. Compte tenu du revenu mensuel moyen (350 dinars), la facture paraît élevée. Mais la parité professionnelle est de mise, ici. Les ménages tunisiens disposent souvent de deux salaires, ce qui rend possible l’investissement informatique. Pour les revenus plus modestes, le programme « ordinateur familial » du gouvernement a permis à 40 000 familles de s’équiper à crédit. Sa reconduite promet un doublement du taux d’équipement en PC des foyers, pour le porter à 10 % l’an prochain.
Côté fournisseurs d’accès à Internet (FAI), le pays en compte une douzaine, dont sept publics (ATI, Tunisie Telecom…) et cinq privés (Planet, 3S Global Net, HexaByte, Tunet, Topnet). Planet, le mieux placé d’entre eux, s’est récemment allié avec le français Wanadoo, filiale de France Télécom, un important gage de qualité. Quant aux tarifs, s’ils sont raisonnables pour la vitesse de connexion la plus courante (56 kbits/s), ils restent assez onéreux pour l’accès au haut débit (ADSL). Dans le premier cas sont proposés des forfaits de 5 à 17 dinars pour 5 à 20 heures d’utilisation. Dans le second, il faut débourser 50 à 85 dinars (128 ou 256 kbits/s), et le ticket est encore plus élevé pour un usage professionnel (100 dinars par mois). C’est cher, mais si le jeu de la concurrence se déroule normalement entre les douze FAI, les prix devraient baisser et le nombre d’abonnés (17 000 aujourd’hui) continuer d’augmenter.
Téléphone fixe et portable, Internet, ADSL, ordinateur… et une classe moyenne tunisienne en plein essor, les nouvelles technologies sont donc partie intégrante de la société de consommation. Elles constituent également une activité économique à part entière. En 2001, les recettes du secteur représentaient 3,3 % du PIB. Cette proportion devrait passer à 6 % ou 8 % en 2006 et contribuer à la création de 30 000 emplois supplémentaires. Il suffit d’ailleurs de se promener dans Tunis pour vérifier la réalité de l’activité liée aux TIC. En haut de l’avenue Bourguiba, une borne interactive à écran tactile donne des informations sur la vie culturelle de la capitale. Un peu partout, des magasins vendent ou réparent des téléphones portables. De nombreuses échoppes commercialisent des cartes GSM. Des enseignes un peu plus discrètes proposent la gravure de CD et DVD. Au numéro 9 de la rue de Marseille, perpendiculaire à l’avenue Habib-Bourguiba, une pancarte attire l’attention : « Global Technologie Informatique, la plus haute performance, les plus bas prix ». Allons voir. Au troisième étage, au-dessus d’un club d’aïkido, Ramzi Anene, 23 ans à peine, accueille le visiteur. Plein d’entrain, il raconte comment lui et ses trois copains de fac ont décidé de réunir leurs économies pour monter ce magasin d’informatique et de prestations de services, inauguré en avril dernier (voir encadré p. 70). Surtout, il raconte pourquoi : « On voulait être autonomes. On avait envie de monter notre entreprise, de prendre des risques, de gagner de l’argent. On avait envie… de faire quelque chose de grand ! » Et ils se sont lancés.

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