Sanvi Panou, sur tous les plans

Comédien, réalisateur, producteur, distributeur, le patron d’Images d’Ailleurs est aussi un homme engagé.

Publié le 6 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Sanvi Panou a plusieurs casquettes : comédien de théâtre et de cinéma, réalisateur, producteur, distributeur de films et directeur de salle de cinéma… Pour simplifier les choses, ce solide Togolais au large sourire préfère porter un béret sombre qui ne le quitte quasiment jamais. « C’est un béret qui contient toutes mes casquettes ! » plaisante-t-il.
Né à Lomé, où il effectue ses études secondaires, Sanvi Panou arrive en France en 1963 pour se former au métier d’acteur et de metteur en scène. Il sait déjà qu’il veut être comédien : il a attrapé le virus du théâtre en montant des pièces à l’école. Pour payer ses études au cours René Simon, à Paris, il multiplie les petits boulots. En 1966, à 20 ans, il est le premier Africain à obtenir un prix dramatique français (le prix François-Perrier), il est aussi le seul Noir de sa promotion.
Il commence à jouer dans des pièces (Césaire, Brecht, adaptation de textes de Frantz Fanon ou de poètes nord-américains) et des téléfilms. Et sera le premier acteur noir à tourner avec Godard, dans Week-End, en 1967. Il a la chance de travailler avec des metteurs en scène et des réalisateurs qui ne se focalisent pas sur sa couleur. « J’ai même joué un Breton, ce qui pourrait surprendre encore aujourd’hui ! Ces rencontres ont été déterminantes et ont tracé mon parcours. Quelqu’un comme René Simon m’a confirmé dans mon choix de faire du théâtre. »
En 1968, en pleine révolution estudiantine, Sanvi Panou est sensible à l’engagement des Black Panthers de l’autre côté de l’Atlantique. En 1969, il crée son premier spectacle avec sa troupe, le Théâtre de Combat – qui deviendra le Théâtre Témoin puis l’association Images d’Ailleurs, qui donnera son nom à la salle de cinéma parisienne qu’il dirige depuis 1990. En 1969 encore, il est le premier à monter une pièce dénonçant l’apartheid en Afrique du Sud. « J’ai toujours été dans un processus d’engagement et de militantisme culturel », explique-t-il. Ainsi met-il en scène des textes de dramaturges congolais, ivoiriens, de poètes noirs-américains ou d’Aimé Césaire. « Mes choix ont souvent dérangé les médias. Ce n’est pas grave si je ne suis pas très connu. L’important, c’est que j’agisse tous les jours. Mes engagements sont à la fois esthétiques, politiques et poétiques. »
Un bel optimisme qui résiste aux problèmes rencontrés pour monter certains projets. « En France, il y a un manque d’enthousiasme et d’intérêt pour les initiatives culturelles de la diaspora noire, il n’y a que la musique africaine qui marche », regrette-t-il. Pour surmonter ces obstacles, Sanvi Panou applique l’adage « on n’est jamais mieux servi que par soi-même »… En 1990, il ouvre donc le cinéma Images d’Ailleurs, la seule salle parisienne dédiée aux cinémas noirs. « Je me suis rendu compte que les réalisateurs africains mettaient quatre à cinq ans pour faire des films qui n’étaient presque pas diffusés et ne pouvaient donc pas rencontrer leur public potentiel. Il fallait que la diaspora dispose d’un lieu permanent de diffusion et un lieu d’action autour du cinéma. »
Il reprend alors La Clef, au coeur du Quartier latin, qui, après avoir été le fief de la nouvelle vague française, deviendra le lieu d’une vague cinématographique africaine ! Il y programme « des films des cultures noires et d’ailleurs ». Membre du jury au dernier Fespaco, il affirme que « les Africains font de plus en plus de films » mais qu’ils se heurtent à des problèmes de distribution et de diffusion.
En 1995, Sanvi Panou crée Orisha Distribution, qui a distribué dix films à ce jour, et il vient de lancer Orisha Production. Cette dernière a produit le documentaire de Serge Bilé Noirs dans les camps nazis. « C’était une volonté de boucler la boucle en devenant complètement indépendants. » Noirs dans les camps nazis a été présenté lors du festival annuel de la salle qui s’est tenu du 13 au 19 avril. Thème de cette quinzième édition : « Les soldats noirs dans les guerres françaises ». On ne peut plus d’actualité. « Nous sommes fiers d’avoir mis en relief cette thématique, et c’est l’un de nos festivals les plus réussis, indique Sanvi Panou. Nous avons projeté trente films, enregistré une participation massive de la communauté noire et vécu un vrai moment de partage des images et de la parole. Modestement, nous faisons un travail pour la génération actuelle et à venir. Il faut réhabiliter notre histoire et la raconter : les Français, comme les Africains, ont été élevés dans l’ignorance. Les Français qui sont venus voir les films ont été bouleversés parce qu’ils ont vu. Il faut remettre en lumière ce passé sordide pour aider à la réconciliation des peuples. »
Engagé artistiquement, Sanvi Panou l’est aussi socialement et politiquement. Lui qui se souvient être entré en France dans les années 1960 sans qu’on lui demande sa carte d’identité soutient aujourd’hui la lutte des sans-papiers. Il évoque, en citant l’exemple des pensions aux anciens combattants, la « situation d’ingratitude et de mépris de l’État français » à l’égard des peuples africains. Mais il est aussi très préoccupé par la situation chaotique qui prévaut en ce moment au Togo. Il se dit « inquiet » pour l’avenir de son pays natal qu’il considère comme une « poudrière ». Au lendemain du « coup d’État constitutionnel » de Faure Gnassingbé, il a créé avec des amis le Comité de vigilance pour la démocratie au Togo, qui se veut « un mouvement d’action et un observatoire de la démocratie et du respect des droits de l’homme ».
Sanvi Panou a également été élu président de l’antenne française du Mouvement international pour les réparations (Mipr). « Un mouvement né pour faire le bilan de l’histoire des peuples noirs et de l’Occident, qui va de l’esclavagisme au néocolonialisme. Ce n’est pas un coup de gueule pour avoir un chèque. Il s’agit de traiter, secteur par secteur, les épisodes qui ont mené à l’affaiblissement du peuple noir. L’un des chantiers à entreprendre, par exemple, est la réparation de l’injustice envers les anciens combattants africains. »
Cet engagement n’empêche pas Sanvi Panou de continuer à programmer dans sa salle entre quinze et vingt films par semaine, avec trois à quatre diffusions pour chacun d’entre eux, « afin d’aider un maximum de films en difficulté ». Dans un sourire, il explique : « Nous n’avons aucune pression pour programmer ou déprogrammer les films. Le documentaire Mobutu, roi du Zaïre de Thierry Michel est resté deux ans à l’affiche. C’est un paradoxe heureux : certains films sont diffusés pendant deux ou trois mois, ce qui n’est même pas permis aux films américains à gros budgets ! »

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