L’abécédaire de Soro
Gbagbo, Eyadéma, Bongo Ondimba, Kufuor, Obasanjo, Mbeki, Wade, Bédié, Ouattara, Villepin… Acteurs ou médiateurs, la plupart de ceux qui se sont impliqués dans la crise qui secoue son pays figurent dans l’album du chef de l’ex-rébellion.
Dans son premier ouvrage, Comment je suis devenu un rebelle*, Guillaume Soro, secrétaire général des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) trace à grands traits son parcours : de ses tribulations de l’enfance à l’éclatement de l’insurrection armée, en passant par le petit séminaire et l’université d’Abidjan, sans oublier le militantisme estudiantin… Tout y est, même si c’est un survol du personnage qu’offre ce pensum de 170 pages, résultat de longues conversations avec le journaliste Serge Daniel, correspondant de RFI à Bamako et fin connaisseur de la rébellion et de ses arcanes. Le projet de l’éditeur Hachette était de présenter un jeune acteur (33 ans) de la vie politique ivoirienne qui a fait irruption dans les affaires françaises. L’idée a été perçue par ses collaborateurs comme une bonne opportunité d’« informer » le grand public.
L’ouvrage a mis cinq mois à voir le jour, car Soro tient rarement en place. Si on attendait des révélations fracassantes sur la naissance, l’évolution de la rébellion ainsi que ses luttes intestines, on restera sur sa faim. Soro ne s’y dévoile qu’un peu seulement, se promettant, « quand tout cela sera terminé », d’écrire la véritable histoire du mouvement qu’il dirige aujourd’hui. En attendant, pour Jeune Afrique/ l’intelligent, le chef de l’ex-rébellion revient par le menu sur les enjeux, les acteurs et les médiateurs de la crise ivoirienne, dont il esquisse les portraits.
B comme Bédié Les souvenirs que je garde du régime d’Henri Konan Bédié sont l’ivoirité et la prison. Notre alliance d’aujourd’hui ne doit pas faire oublier l’Histoire. Je suis de ceux qui ont combattu son régime. Mais en avril à Pretoria, en présence de Thabo Mbeki [médiateur de l’Union africaine dans la crise ivoirienne, NDLR], il a évolué. Il a reconnu que l’exclusion était née sous sa présidence. Il a affirmé qu’Alassane Ouattara devait être candidat à l’élection présidentielle prévue en octobre prochain. Je suis heureux de voir que les deux hommes, qui hier encore étaient des frères ennemis, se sont réunis au sein d’une plate-forme. En politique, on ne rumine pas la rancoeur. Si Bédié est élu à l’issue du scrutin d’octobre, j’irai le féliciter, parce que ce sera le choix des Ivoiriens.
B comme Blé Goudé Ses miliciens qui déambulent dans les rues d’Abidjan font beaucoup de mal à la Côte d’Ivoire. Il n’y a rien de pire que faire la promotion de l’ivoirité et appeler au meurtre des étrangers. Je ne sais pas s’il est une marionnette, s’il est réellement dangereux. Mais ce sont ses miliciens qui séquestrent et enlèvent, et au nom de son prétendu patriotisme que Jean Hélène est mort d’une balle en pleine tête.
B comme Bongo Ondimba Il aime beaucoup la Côte d’Ivoire, en raison des relations qu’il avait nouées avec Houphouët-Boigny. C’est vraiment un papa. J’ai de très bons rapports avec lui. Nous avons demandé qu’il intervienne pour faire avancer le processus. Il l’a fait volontiers et généreusement. Il est venu à Accra, même si c’était la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] qui était concernée. Il connaît bien les dirigeants ivoiriens.
D comme Diarra C’est un technicien, il est là pour remplir une mission. Je l’ai rencontré pour la première fois à Marcoussis [en janvier 2003]. Je ne le connais pas bien.
E comme Élections Depuis la mort d’Houphouët-Boigny, les Ivoiriens ne se sont jamais choisi de leader. Bédié, Gbagbo et Ouattara disent tous qu’ils sont majoritaires en Côte d’Ivoire. Mais laissez au peuple dire qui l’est véritablement ! La démocratie a des principes universels qui peuvent s’appliquer en Chine, en Afrique. Il ne faut pas dire que l’Afrique n’est pas mûre.
E comme Eyadéma Au début, il a fait une grave erreur de jugement, qui a été préjudiciable à la conduite de sa médiation. Quand nous sommes arrivés à Lomé pour la première fois, à la fin d’octobre 2002, Eyadéma nous a dit : « Il s’agit d’une simple mutinerie. Combien sont les mutins ? Combien d’argent veulent-ils ? On le leur donne, on les intègre dans l’armée et c’est terminé. » On lui a répondu que le problème était plus complexe. Mais il ne voulait rien entendre. « Non, non, expliquait-il. Ici, il n’y a pas de politique. » C’était un peu réducteur. À la fin de sa vie, il avait enfin compris.
Le 3 novembre 2004, je suis allé à Lomé parce que Gbagbo lui avait demandé de me recevoir pour faire bouger le dossier. Eyadéma me dit : « Guillaume, la situation est bloquée, il faut faire quelque chose ». J’accepte. Il est heureux d’obtenir que les FN s’inscrivent dans son plan. Il appelle Gbagbo, qui lui confie : « Doyen, vous avez fait du bon travail. » Le lendemain, je suis le premier à appeler Eyadéma, à 7 heures du matin, pour lui apprendre que Bouaké était bombardé. Il me fait venir au palais vers 10 heures J’ai vu un Eyadéma effondré. « Tu avais raison pendant tout ce temps. Je n’ai jamais voulu écouter. Aujourd’hui, Gbagbo m’a trahi. Qu’est-ce que les gens vont penser ? Que je vous ai fait venir de Bouaké pour permettre les attaques ? Je suis déçu. » Vers 14 heures, il me rappelle pour me dire qu’il a parlé à Gbagbo qui promet d’arrêter les bombardements. Le 5 novembre, alors que ceux-ci continuent, Eyadéma tente de téléphoner de nouveau à Gbagbo, qui ne daignera plus répondre. À partir de ce moment-là, j’ai été accueilli comme un prince à Lomé. La dernière fois que j’ai vu Eyadéma, c’était en janvier, un mois avant sa mort. On avait d’excellentes relations.
F comme Faure Gnassingbé Je ne le connais pas bien. Le fils n’est pas le père. Eyadéma me l’avait présenté pendant les premières négociations d’octobre-novembre 2002. Il m’a dit : « Voilà mon fils. Il est né le 6 du 6e mois de 1966. » C’était tout. J’ai revu Faure aux obsèques de son père, il m’a reçu. Mais on n’a pas beaucoup discuté. Je pense qu’il a suffisamment de problèmes dans son pays, on ne veut pas l’embarrasser. J’espère que le Togo ne sombrera pas. Ce serait une catastrophe pour nous.
F comme Forces nouvelles Nous ne voulons pas devenir un parti politique avant les élections. On ne veut pas faire la même erreur que Robert Gueï. Il est venu pour balayer la maison, organiser des élections transparentes. Plus la date des élections approchait, moins il résistait à la tentation de dominer dans la maison. Et vous savez où il dort aujourd’hui – à la morgue d’Abidjan. Les FN ne succomberont pas à cette tentation. Nous serons les arbitres des élections.
F comme France Je me demande bien ce que la France cherche dans nos pays, en Côte d’Ivoire, au Togo. Nous avons douloureusement ressenti l’interposition française sans mandat de l’ONU, le 19 septembre 2002. La France n’a pas cherché à éteindre le feu. Elle a offert à Gbagbo la logistique pour écraser la rébellion. Quand la France agit ainsi, à courte vue, elle fait des erreurs. En revanche, quand la France intervient dans le cadre de l’ONU, qu’elle parraine les accords de Marcoussis, quand elle veut régler le problème de fond, alors c’est positif. Mais je ne veux en aucun cas tenir le discours des « Jeunes patriotes » et dénoncer la recolonisation française. Au contraire, c’est Gbagbo qui continue de donner des contrats aux entreprises françaises, qui met un de ses avions à la disposition du député Didier Julia pour aller sauver deux journalistes français, Georges Malbrunot et Christian Chesnot, retenus en otages en Irak. Le véritable problème, c’est la postérité de la diplomatie française en Afrique.
G comme Gbagbo J’ai été d’autant plus déçu par Gbagbo, qui me fut proche, qu’il était porteur d’espoir. Il est devenu très porté sur la religion ; c’est dangereux. Notre rupture date du 27 décembre 1998. J’étais secrétaire général de la Fesci [Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire], ami de Gbagbo. Un membre de mon bureau, Charles Blé Goudé, me fait savoir que c’est au tour des Bétés de diriger la Fesci. Gbagbo l’a soutenu. C’est la rupture. À l’époque, le FPI [Front populaire ivoirien, le parti de Gbagbo] est en alliance avec le RDR [Rassemblement des républicains]. Mais quelques mois plus tard, il se retrouvera autour d’une table avec le PDCI de Bédié, prêt à entrer dans son gouvernement. Voilà ce qui nous a fait comprendre que les anciens amis passaient de l’autre côté de la barrière et qu’il fallait qu’on s’assume. C’est ainsi que beaucoup d’entre nous l’ont ressenti. Et surtout Louis Dacoury Tabley, un militant du FPI de la première heure. Aujourd’hui, je suis inquiet. Gbagbo n’est pas en train d’aller dans le sens de la transparence des élections. Tant qu’il n’aura pas admis qu’il peut perdre les élections, on n’est à l’abri de rien.
H comme Houphouétistes Je ne suis pas houphouétiste. Mais je ne suis pas en marge de leur réconciliation. Au-delà des clivages idéologiques, il faut constituer un camp de démocrates, une opposition unie.
I comme « IB » Il est toujours difficile de parler de la trahison d’un ami. Nous ne sommes plus des enfants. Ibrahim Coulibaly, dit « IB », dit à la radio qu’il veut discuter avec moi, et, le lendemain, à Korhogo, il envoie des gens attaquer nos casernes. Moi, je ne réponds pas à un frère d’armes à la radio. S’il y avait une réelle volonté de réconciliation, elle aurait eu lieu parce que nous nous battons pour la même cause. La rébellion va au-delà d’un individu. Quand il dit être le père de la rébellion, il fait preuve de trop d’égocentrisme. Aujourd’hui, j’incarne effectivement la rébellion, mais si je ne suis plus là, Dacoury Tabley ou d’autres vont continuer. L’erreur que nos rébellions contre les pouvoirs africains ont faite, c’est de caporaliser les organisations et de ne pas les démocratiser pour les rendre pérennes.
K comme Kufuor Le président ghanéen est un homme affable. Kufuor s’est beaucoup impliqué dans la crise en Côte d’Ivoire. Il a joué à fond son mandat à la tête de la Cedeao. J’entretiens de très bons rapports avec lui. Chaque fois que je passe à Accra, il me reçoit.
L comme Le Lidec L’ambassadeur de France est allé trop loin dans ses prises de position. Il n’a rien compris à la Côte d’Ivoire. Il a voulu jouer les baby-sitters de Gbagbo en ignorant le nord du pays, au moment où la Côte d’Ivoire avait besoin d’une meilleure orientation de la diplomatie française. Le Lidec s’alignait sur les positions d’un camp, alors qu’il était dans le comité de suivi international. Il se sent plus redevable vis-à-vis de Gbagbo qu’envers moi. C’est normal : l’État pouvait demander son départ.
M comme Mbeki Il a hérité du dossier dans un contexte désespéré. Aucun autre chef d’État ne voulait plus écouter Gbagbo. Mais, derrière Mbeki, il y a aussi une puissance, et le bâton du Conseil de sécurité. Il a été très clair. Il a rappelé que personne n’est à l’abri des sanctions. Moi, on n’a pas besoin de me le dire, je le sais. Mais Gbagbo a compris que c’était sa dernière chance. Il savait qu’il n’avait pas intérêt à ruser. Et puis Mbeki a bien compris la crise interne à la Côte d’Ivoire. Il a toujours dénoncé les conditions de l’élection de Gbagbo. Pour lui, la situation ne pourra être résolue que par des élections irréprochables. J’aime bien Mbeki. Il est venu à Bouaké, il a été bien reçu. Il est très chaleureux. On a de bons rapports, je l’ai régulièrement au téléphone. Il est très intelligent et il a beaucoup de pouvoir.
O comme Obasanjo Je l’appelle mon oncle. Au début, il n’était pas sur les mêmes positions que nous, et avait proposé à Gbagbo de lui envoyer ses Alpha-Jet pour mater la rébellion. Il faisait partie de ceux qui n’étaient pas d’accord que la crise ivoirienne trouve sa solution en France. Quand nous sommes rentrés de Marcoussis, nous l’avons rencontré à Dakar. On a alors compris que c’était quelqu’un d’engagé. Quand il comprend une logique et l’accepte, il la suit sans réserve. C’est un monsieur entier que j’ai appris à apprécier. Il m’a fait l’honneur de plusieurs déjeuners à Abuja. D’ailleurs, en partant de Paris, à la mi-mai, je me suis rendu à Abuja. Obasanjo joue un rôle très important, car c’est sous sa houlette que le dossier Côte d’Ivoire a avancé.
O comme Ouattara Je discute beaucoup avec Ouattara, que j’apprécie. Je le vois à chaque fois que je le souhaite. La question n’est pas de savoir si Soro est le directeur de campagne de Ouattara, ou si Soro est un inféodé à Ouattara. Je mérite quand même plus de considération. Le problème en Côte d’Ivoire, c’est qu’on a vite fait de vous faire passer pour un étranger parce que vous avez pris l’avion pour Ouagadougou ou Bamako. Mais je n’ai aucune illusion sur les oppositions africaines : on a vu un Laurent Gbagbo arriver en 1990 en Côte d’Ivoire et tenir le langage du changement, parler des valeurs généreuses du socialisme. Puis, du jour au lendemain, on a retrouvé le même homme dans l’extrême droite.
S comme Soro À chaque jour suffit sa peine. Je ne me préoccupe pas d’être ministre. Je veux juste que grâce à notre action des élections justes en Côte d’Ivoire fassent figure de modèle en Afrique de l’Ouest. Un bond qualitatif dans la démocratie, ça me suffit. Je peux prendre ma retraite avec ça [rires]. Ce n’est pas parce que Guillaume Soro a dirigé la rébellion et contrôle 60 % du territoire qu’il doit être président de la République. Toute ambition démesurée sans compétence est criminelle. Si je peux aider les acteurs politiques à réussir leur programme, je le ferai sans hésiter. Si, demain, Bédié est président, et s’il considère que Guillaume Soro peut jouer un rôle, j’apporterai ma contribution.
V comme Villepin Je ne cache pas que j’apprécie beaucoup Dominique de Villepin. C’était l’un des rares dans le gouvernement français à se sentir proche de la Côte d’Ivoire et à être déterminé à résoudre notre problème. Il a osé Marcoussis (c’est son initiative). Il est allé à Abidjan, même quand on a craché sur lui. Il est allé à Bouaké. Il a été formidable.
W comme Wade Il m’appelle le petit, et, pour lui, je ne serai toujours que le petit. J’ai de très bons rapports avec lui. Il a eu des positions claires et nettes. Sur la Côte d’Ivoire, il a été irréprochable et courageux.
* Comment je suis devenu un rebelle. La Côte d’Ivoire au bord du gouffre, Hachette Littératures, avril 2005, 174 pages, 15 euros.
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