Maroc : Mehdi Ben Barka, agent double ?
L’ancien opposant marocain disparu en 1965 aurait été, selon le quotidien britannique « The Guardian », un espion à la solde de la Tchécoslovaquie, voire un agent double. Des révélations intéressantes mais pas nouvelles.
S’agit-il d’un nouveau rebondissement dans l’affaire Ben Barka ? Par tout à fait, dans la mesure où le quotidien anglais The Guardian, dans son édition du 26 décembre, ne fait que reprendre les travaux de Jan Koura, professeur assistant à la Charles University de Prague.
Source « extrêmement précieuse »
Ce dernier a mis la main sur une multitude de documents déclassifiés par la République tchèque. Il a publié la conclusion de ses travaux en novembre 2020 dans la revue Intelligence and National Security, mais ceux-ci sont passés assez inaperçus. Koura avait alors qualifié Ben Barka d’ « opportuniste jouant à un jeu très dangereux ».
Ces nombreuses archives indiquent que l’opposant au régime de Hassan II aurait perçu des sommes d’argent en provenance du StB, la sûreté tchècoslovaque, elle-même liée au KGB.
En 2007 déjà, le journaliste tchèque Petr Zidek révélait en détail dans les colonnes de l’Express comment Mehdi Ben Barka avait été enrôlé par un agent de l’Est.
Selon le chercheur, les liens entre Ben Barka et le renseignement tchécoslovaque remontent à 1960, alors qu’il venait de quitter le Maroc pour Paris, où il y rencontre l’un des espions du StB. À l’époque, le Maroc a pris position dans la guerre froide en faveur de l’Occident, mais a néanmoins décidé de renforcer ses liens avec Moscou.
Les agents soviétiques espèrent donc pouvoir tirer profit à la fois du contexte et des convictions socialistes du charismatique leader politique marocain, dans le but d’obtenir des informations sur les dirigeants du monde arabe, et notamment celui de l’Égypte, Gamal Abdel Nasser.
Le StB sait par ailleurs que Ben Barka est en contact avec plusieurs des figures anticolonialistes et indépendantistes de son temps, comme Malcolm X, Che Guevara ou Nelson Mandela, et iront jusqu’à le qualifier de source « extrêmement précieuse », en lui donnant le nom de code « Cheikh ».
Le StB ne l’a jamais répertorié en tant qu’agent, mais comme un « contact confidentiel »
« Ben Barka n’a jamais admis avoir collaboré avec des services de renseignement, et le StB ne l’a jamais répertorié en tant qu’agent, mais comme un « contact confidentiel ». Mais il fournissait des informations en échange d’une rémunération », explique le professeur Jan Koura, interrogé par le Guardian.
Agent double ?
Bien que les liens entre Ben Barka et le StB semblent confirmés, de nombreuses zones d’ombre planent encore quant à la nature exacte des activités qu’il a menées pour le compte des services tchécoslovaques de renseignement.
Selon les documents déclassifiés, le StB aurait reçu plusieurs notes attestant que Ben Barka était en contact avec les États-Unis
Ces derniers ont eux-mêmes suspecté Ben Barka d’entretenir des connexions avec la CIA, qui appuyait toute initiative de réforme démocratique au Maroc. Selon les documents, le StB aurait reçu plusieurs notes indiquant que Ben Barka était en contact avec les États-Unis, ce qu’il aurait formellement nié lorsqu’il a été confronté à ces allégations. D’autres rapports font état de soupçons sur des financements chinois de l’opposant.
Les défenseurs de Ben Barka affirment que ce dernier a simplement accepté de dialoguer avec des représentants tchécoslovaques afin de plaider et de faire avancer sa cause, sans pour autant devenir un agent à part entière.
Son fils, Bachir Ben Barka, a ainsi déclaré au journal anglais que « les relations de son père [avec la Tchécoslovaquie] s’inscrivaient dans son engagement contre l’impérialisme et le colonialisme ». Il a également mis en cause la provenance des documents dont s’inspire Jan Koura, estimant qu’ils émanent directement des services tchécoslovaques, et peuvent à ce titre s’avérer « modifiés ou incomplets ».
Peu convaincu par cette thèse, Koura estime toutefois que le fondateur de l’Union nationale des forces populaires a fait preuve à la fois de pragmatisme et d’idéalisme. « La période de la guerre froide n’est pas toute blanche ou toute noire », nuance-t-il.
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