« Je » est un roman
Dans La Mauvaise Vie (éd. Laffont), Frédéric Mitterrand, neveu de l’ancien président français et l’une des figures du Tout-Paris médiatique, raconte sa quête d’amours homosexuelles, de Pigalle à Bangkok. Cette confession émouvante, saluée par les critiques pour la qualité de son écriture, se classe dans les meilleures ventes en librairie depuis plusieurs semaines. Dans le même palmarès, on retrouve d’ailleurs en bonne place Bouche cousue (Julliard), les souvenirs d’enfance de Mazarine Pingeot, la fille du même ex-chef de l’État français.
Ces deux livres appartiennent à un genre qui fait florès depuis quelques années : l’autofiction. Le néologisme a été créé en 1977 par l’écrivain Serge Doubrovsky pour désigner cette variante moderne de l’autobiographie romancée. Les anglophones, de leur côté, parlent de faction, terme formé par l’agrégation de fact et de fiction.
Le succès de ce type d’ouvrage tient pour beaucoup à la notoriété des auteurs et aux révélations plus ou moins sulfureuses que le lecteur en attend. C’est pourquoi le meilleur côtoie souvent le pire. On se souvient, et il s’agit d’un exemple parmi des dizaines d’autres, des « aveux » d’une vedette de la télé, Benjamin Castaldi, sur les supposées relations incestueuses entre sa mère, Catherine Allégret, et le beau-père de cette dernière, Yves Montand (Maintenant, il faudra tout se dire, Albin Michel, 2004). Mais de « vrais » écrivains ont fait de ce genre leur spécialité, notamment deux femmes, Christine Angot et Annie Ernaux. Drames familiaux, amours illicites et expériences sexuelles les plus variées, tout y passe chez ces dernières, dont le parti pris littéraire est de tout dire sur tout. C’est aussi le cas de l’Américaine Alice Sebold, qui, dans son dernier livre, Lucky (NiL éditions), évoque par le menu le viol qu’elle a subi à 19 ans. Encore qu’en matière d’impudeur ces auteures ne peuvent rivaliser avec Catherine Millet, dont La Vie sexuelle de Catherine M., publiée par Le Seuil en 2001, s’est vendu à plus de un million d’exemplaires. Si le public raffole de ces déballages intimes, il apprécie aussi un auteur plus classique comme Patrick Modiano, dont toute l’oeuvre est tournée vers l’exploration d’une enfance douloureuse. Un pedigree (Gallimard), son dernier roman, a été l’un des gros succès de la saison qui s’écoule.
Les esprits grincheux font remarquer que l’autofiction n’est jamais que le retour à la « littérature vécue ». Proust, Céline, Marguerite Duras, pour ne citer que des écrivains français, ne faisaient-ils pas de l’autofiction ? Certes, mais ce qui a changé, c’est la liberté, voire la crudité, avec laquelle les auteurs actuels se mettent en scène. Un raz-de-marée exhibitionniste qui n’est pas sans rappeler celui qui submerge les journaux et les chaînes de télévision. Autre temps, autres moeurs.
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