En attendant les grands projets

Confrontées à un marché local exigu, les entreprises hésitent à investir. Pour se développer malgré tout, elles recherchent de nouveaux clients à l’international. Une mission rendue difficile par la concurrence européenne.

Publié le 6 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

« Société experte dans le domaine des nouvelles technologies et de l’informatique, dont la mission est d’accompagner une société cliente. » Telle est la définition du mot, passé dans le langage courant des informaticiens, qui le prononcent « SS2I », et qui est l’acronyme de société de service et d’ingénierie informatique (SSII). En Tunisie, les SSII constituent un secteur que le ministère des Technologies de la communication définit ainsi : 750 sociétés, 6 500 emplois et un chiffre d’affaires de 80 millions de dinars (50 millions d’euros). « Mais il faut savoir ce que ces chiffres recouvrent : s’agit-il véritablement de services ou bien simplement de maintenance, voire de vente de matériel ? » tempère Moez Kamoun, senior manager du cabinet d’audit et de conseil PwC. Depuis son bureau des Berges du Lac, à Tunis, il poursuit son analyse : « De plus, comme le marché ne peut absorber tous les ingénieurs issus chaque année du système universitaire, beaucoup d’étudiants décident de monter leur entreprise, pour créer leur emploi. Les programmes gouvernementaux les y incitent. Il est vrai qu’en Tunisie, à partir du moment où on a un dossier solide, on est sûr de toujours trouver une oreille attentive. Du coup, les très petites entreprises, parfois constituées d’une ou deux personnes, se multiplient. Évidemment, il est difficile de déterminer celles qui ont une vraie valeur ajoutée. » La Chambre nationale syndicale des sociétés de services et d’ingénierie informatique (CNS-SSII) est plus catégorique. Selon elle, la définition stricto sensu de société de services et d’ingénierie informatique s’applique à 200 entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 34 millions de dinars (21 millions d’euros). Ces SSII emploient 700 ingénieurs ; 80 % d’entre elles sont localisées dans la région de Tunis ; 120 sont spécialistes du développement de logiciels et une cinquantaine seulement passe la barre des 10 employés.
Quel que soit l’angle choisi, ces chiffres témoignent d’un marché exigu, où les clients sont répartis entre de grandes entreprises et administrations, jugées encore trop timides dans le domaine, et une myriade de PME à qui l’on reproche de n’être pas suffisamment réceptives aux technologies de l’information. « Elles ont vraiment un problème de compréhension de l’immatériel. Pour être précis, c’est la notion d’investissement immatériel qu’elles ont du mal à saisir », observe Imed Ayadi, executive partner chez Oxia, l’une des grandes SSII tunisiennes qui, comme ses consoeurs, se trouve ainsi privée de précieux gisements de commandes. Parmi les remèdes avancés figure avant tout l’information des patrons de PME au moyen de colloques, de rencontres et d’opérations de communication. L’envergure que prend la préparation du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI, voir pp. 84-85) participe grandement à la diffusion de cette « culture informatique » qui fait défaut. En complément, pour motiver les grands donneurs d’ordre, les professionnels militent dans deux directions. Khaled Ben Jilani, senior manager IT au sein de la société de capital-risque Tuninvest Finance Group, préconise une évolution du cadre juridique et législatif, comprenant notamment une réforme du Code des marchés publics. Les SSII déplorent en effet que les cahiers des charges soient mal adaptés aux nouvelles technologies et, pour cette question, irréalisables. Quant à Behjet Boussafora, directeur du département intégration et systèmes de Systel, il veut « accélérer le rythme de la libéralisation et de la déréglementation afin d’inciter les grands comptes à mettre en oeuvre des projets informatiques ». Ce qui suppose en outre de trouver le moyen de garantir que la réalisation en sera confiée – au moins en partie – à des prestataires tunisiens, à l’image de ce que fait le Small Enterprise Act américain.
En attendant que les patrons de PME se familiarisent avec la culture de l’immatériel et que les grands comptes se décident à faire plus d’informatique ou à sous-traiter une part croissante de leurs activités dans ce domaine, les SSII ont su adapter leurs stratégies de développement. « Pour tenir en local, il faut être capable de vendre de la faible valeur ajoutée : installation, interconnexion et maintenance de réseaux. Et il faut réserver les activités de développement à l’export, vers l’Europe ou vers l’Afrique », commente Karim Ahres, fondateur et executive director de Netcom (voir encadré page 82). Fortement implantée localement, sa société réalise un quart de son chiffre d’affaires hors de Tunisie. Chez Oxia, spécialisé dans l’ingénierie logicielle et le traitement des données bancaires (affacturage, crédit-bail…), c’est la moitié de l’activité qui provient de l’étranger, avec des références au Burkina Faso, au Maroc, en Algérie, en Argentine, en France… Systel vient, pour sa part, de signer quelques beaux contrats. La société réalise notamment la partie logicielle des décodeurs pour la télévision par satellite des constructeurs Thomson (Europe, États-Unis), Philips (Pays-Bas) et Nagra (Brésil). Pour le compte de l’opérateur britannique BT, Systel a conçu un outil logiciel permettant le commerce en temps réel de trafic de télécommunications.
Au moment de l’élargissement de l’Union européenne, les SSII tunisiennes ont craint une baisse de leurs débouchés en Europe en raison de la concurrence accrue des nouveaux pays membres. Aujourd’hui, les avis sont partagés. Certains croient que la menace est durable alors que d’autres estiment que l’intégration des pays de l’Est contribuera inévitablement à faire monter leurs tarifs. Les sociétés de services tunisiennes sont en revanche unanimes à exprimer une dernière préoccupation, celle des ressources humaines. Moez Kamoun, de PwC, pense avoir identifié leur point faible : « Le système tunisien produit des ingénieurs d’un excellent niveau, mais tous ne sont pas suffisamment formés aux questions de management. Or c’est cela qui fait la différence, qui permet de trouver des contrats. » Une analyse qui rejoint celle d’Imed Ayadi, d’Oxia, qui note une grande difficulté à trouver des cadres ou des chefs de projet disposant de trois à six ans d’expérience : « Il y a une véritable surenchère sur ces profils. » Quant à Karim Ahres, de Netcom, il manque de responsables en marketing, notamment tournés vers l’export. Et il reconnaît que si trouver de bons développeurs ne pose pas de problèmes, les compétences plus pointues, notamment dans le domaine de la sécurité informatique, sont plus rares. « Les facs essaient de coller au marché en proposant des masters spécialisés. Mais quand nous ne trouvons pas ce que nous cherchons sur le marché de l’emploi, nous devons former en interne. » Dans son cas, les formations à la direction de projet, mais aussi à la communication avec le client et à la conduite de réunions lui coûtent entre 70 000 et 80 000 dinars par an.

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