Dominique de Villepin, de l’Inde à l’Afrique
En 1989, alors que j’étais depuis deux ans ambassadeur de France en Inde, le Quai d’Orsay me proposa comme adjoint un conseiller venu de Washington, où il était responsable depuis plusieurs années de la presse et de l’information à l’ambassade. Je donnai mon accord avec enthousiasme, tant la réputation de Dominique de Villepin était déjà excellente. Ce fut le début d’une collaboration qui dura deux années, jusqu’à mon départ de New Delhi, et d’une amitié qui dure encore.
Le Villepin d’aujourd’hui perçait déjà sous celui d’alors. Curieux de tout, avide de découvrir en Inde une culture ancienne et diverse, infatigable travailleur et pourtant toujours disponible, collègue agréable et prévenant, conseiller avisé et interlocuteur apprécié des Indiens, il impressionnait tout le monde par sa rapidité, sa connaissance des dossiers, la pénétration de ses analyses, sa maîtrise parfaite de l’anglais (mais son espagnol est tout aussi excellent). Son goût de la poésie et de l’épopée trouvait en Inde d’amples sources d’inspiration, et la majesté de l’histoire indienne métissée par la greffe britannique donnait à son sens de la grandeur de magnifiques sujets de réflexion.
Son épouse Marie-Laure et son aînée, Marie, s’étaient vite intégrées à l’équipe de l’ambassade et à la vie en Inde. Son fils Arthur pleurait beaucoup la nuit, mais Dominique retrouvait la forme en faisant du sport au petit matin. Et ils voulurent que leur fille Victoire (quel prénom !) naisse dans une maternité de Delhi.
Quelques années plus tard, il fut nommé directeur de cabinet d’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, avant de devenir, en mai 1995 (il y a tout juste dix ans), secrétaire général de Jacques Chirac à l’Élysée. Dans son bureau, où le président faisait souvent une apparition inopinée, il avait exposé de belles sculptures tribales indiennes, mais surtout de l’art africain, et en particulier de magnifiques peintures éthiopiennes.
Dominique ne cachait pas sa dilection pour l’Afrique. Il avait à deux reprises, au Quai d’Orsay, planché sur les affaires de ce continent. Dès qu’il fut nommé ministre des Affaires étrangères, en 2002, il y fit en trois mois autant de visites que son prédécesseur en cinq ans. Il se consacra, avec son dynamisme habituel, au règlement de la crise ivoirienne, et se rendit à plusieurs reprises sur le terrain.
Le 3 janvier 2003, alors qu’il nous avait invités à un dîner amical au Quai d’Orsay, nous hésitions à nous mettre à table lorsque le téléphone de son épouse sonna ; de son portable, il lui demanda de l’excuser auprès de ses hôtes : il ne pouvait se joindre à nous pour le dîner, car il était retenu par la foule des manifestants à l’intérieur du palais présidentiel d’Abidjan. À la fin du mois, il contribua fortement à faire aboutir les accords de Marcoussis, dont la teneur reste largement à la base des solutions adoptées par la suite dans le seul cadre africain ; finalement, leur principal défaut fut d’avoir été discutés et adoptés en France…
L’un des temps forts de ses années à la tête de la diplomatie française reste la séance du Conseil de sécurité du 14 février 2003, où il prononça, contre le projet de guerre américaine en Irak, un discours qui – fait rarissime – fut applaudi par la quasi-totalité des délégués et du public présents. Le compositeur Arnaud Fleurent-Didier l’a même mis en musique sous le titre « Un monde meilleur », tant il est lyrique et d’inspiration élevée : il exprimait une certaine vision de la France, une certaine idée de l’Europe, une certaine éthique universelle. Face à son éloquence, le secrétaire d’État américain Colin Powell ne pouvait que brandir d’improbables preuves sur les armes de destruction massive disséminées en Irak. Il y a quelques semaines, alors que je me trouvais à Washington, j’eus une conversation avec Colin Powell. Pour me présenter à lui, et en prenant quelques précautions, je lui dis que j’étais un ami de Villepin. « Oh, how is Dominique ? » demanda-t-il aussitôt, me confiant – mais il n’était plus en fonctions auprès de George W. Bush – qu’au-delà de cette confrontation d’un moment, il avait pour Dominique de Villepin une grande estime, beaucoup d’admiration et une réelle amitié. Je lui dis que le bruit courait qu’il serait un jour chef du gouvernement de la France. « Ce sera aussi un grand jour pour ses amis, parmi lesquels je me compte », ajouta Colin Powell.
Je me compte également parmi eux. Et Dominique de Villepin, même s’il a évidemment beaucoup d’amis, est aussi un ami d’une fidélité exemplaire.
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