Staline est mort

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

La disparition de Staline a certainement tourné une page : « cet homme disparu, le système [soviétique] a perdu quelque chose qui lui était essentiel » (François Furet). Mais cette mort n’a pas changé du jour au lendemain la face du monde. Il a fallu attendre le 9 novembre 1989 pour que la chute du mur de Berlin marque la fin de la guerre froide. Et le 25 décembre 1991 pour que Boris Eltsine prononce la dissolution de l’Union soviétique.
Le 22 mai 1953, la Pravda salue la disparition du « guide et maître » et du « plus grand chef de tous les temps et de tous les peuples ». Né le 9 décembre 1879 à Gori, en Géorgie, fils d’un cordonnier ivrogne, qui le battait, et d’une mère blanchisseuse, Joseph Vissarionovitch Djougachvili, surnommé Koba lors de son premier emprisonnement par la police tsariste en 1903, puis Staline – « l’homme d’acier » – pour ses faits d’armes vers 1913, a sûrement été, en effet, un génie politique. Héritier de Lénine en 1924, il a installé un régime qui lui a survécu près de quarante ans, gagné avec les Alliés la guerre contre Hitler et le nazisme, et donné à l’idée communiste un rayonnement sans précédent. Mais à quel prix…

À l’intérieur, « il est difficile de ne pas conclure, écrit l’historien américain Robert Conquest, que le tribut des années 1934-1953 [les procès de Moscou, la Grande Terreur] s’éleva à plus de dix millions de morts ; si l’on y ajoute les victimes de la famine de 1930-1933, des déportations de koulaks [leur « liquidation en tant que classe »] et des autres opérations lancées contre la paysannerie, c’est-à-dire dix millions de plus, on obtient effectivement un chiffre qui se situe dans la fourchette des Vingt Millions dont parlent les Russes d’aujourd’hui ».
Parmi eux, l’historien Roy Medvedev, qui rappelle qu’on avait recours « aux tortures et aux interrogatoires les plus cruels : la dignité humaine était totalement niée, tout était permis sitôt qu’il s’agissait des réprimés ».
À ces morts se sont ajoutés ceux de la Seconde Guerre mondiale, qui représentent 38 % des pertes totales : 21 300 400 victimes, dont 13 600 000 soldats et 7 700 000 civils. Outre les combats qui se sont déroulés sur le sol russe, ce pourcentage énorme s’explique en grande partie, selon les historiens russes Michel Heller et Aleksander Nekrich, par « la négligence criminelle des dirigeants… dans la préparation de la guerre » et « l’élimination, au cours de la Grande Terreur, de la quasi-totalité du commandement militaire », qui laissa l’armée entre les mains de chefs incapables.

la suite après cette publicité

Sur ses vieux jours, Staline ne consultait plus de médecins et croyait pouvoir se soigner tout seul. Il n’avait pourtant plus de dents, souffrait de rhumatismes, d’aigreurs d’estomac et d’hypertension. Le 28 février, il eut quand même un dîner bien arrosé dans sa datcha avec Khrouchtchev, Beria, Malenkov et Boulganine. Après leur départ, il eut une attaque, mais resta seul jusqu’en fin de journée le lendemain : ses gardes du corps n’osèrent pas forcer la porte garnie de plaques de fer qui menait à sa chambre et qui était fermée. Lorsqu’ils entrèrent enfin, ils l’allongèrent sur un canapé. Il y resta jusqu’à sa mort, très probablement due à une hémorragie cérébrale. Beria, Malenkov, Khrouchtchev vinrent de temps à autre le veiller. Dans la matinée du 2 mars, on fit venir sa fille Svetlana et son fils Vassili. Lequel était tellement ivre qu’on finit par le renvoyer chez lui.
L’ironie de l’Histoire est que dans les derniers mois de sa vie, tout en méprisant les soins médicaux, Staline s’appliquait à organiser ce qu’on a appelé le « complot des blouses blanches » : les médecins. L’objectif, semble-t-il, était double : à la fois faire diversion sur les échecs de la politique étrangère (Corée, Berlin, Yougoslavie) et se débarrasser de membres de la vieille garde qu’il jugeait dangereux – tous les anciens du Politburo, laissa même entendre Khrouchtchev. Méthode éprouvée : on attisait la discorde nationale et avant tout l’antisémitisme. Les « médecins-assassins » étaient accusés de travailler « en liaison avec l’organisation juive internationale Joint », financée par les services secrets américains. Beaucoup de médecins juifs furent ainsi chassés des hôpitaux, mais la mort frappa Staline avant la déportation massive qui se préparait.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires