Que fait Idrissa Seck ?
Sorti de prison le 7 février, l’ancien Premier ministre profite de son séjour en France pour réfléchir à son avenir. Et préparer son retour à Dakar.
Idrissa Seck hume l’air de la liberté. Après l’harmattan, qui balaie Dakar en cette période de l’année, il savoure la brise de la Seine. Juste une semaine après sa sortie de la prison de Rebeuss, où il a séjourné six mois et dix-sept jours, tombé qu’il était sous le coup d’accusations de malversations et d’atteinte à la sûreté de l’État, l’ex-Premier ministre sénégalais débarque à Paris le 14 février au matin.
Le choix du jour de son arrivée dans la capitale française n’a rien de fortuit. À entendre ses proches, il a tenu à passer la Saint-Valentin (« la fête des amoureux ») avec son épouse, Ndèye Penda Tall, et ses quatre enfants, mis au vert en France depuis le début de juillet 2005, quelques jours avant son incarcération.
Alors que ses partisans dans l’Hexagone s’organisaient pour lui réserver un accueil triomphal, Seck est arrivé sans s’annoncer. À l’aéroport de Roissy, seuls l’attendent donc son fils aîné, Abdoulaye (qui porte le prénom du chef de l’État sénégalais), et Ndèye Amy Niang, la fille de son cousin Alioune Badara Niang, compagnon de quarante ans du président. Ils mettent le cap sur une petite ville au nord de Paris, où la famille Seck a loué un appartement, dans lequel elle réside depuis son arrivée en France.
Durant les premiers jours de son séjour, Seck se coupe du monde pour se consacrer entièrement aux siens et remet à plus tard une rencontre avec ses sympathisants en Europe qui expriment bruyamment leur impatience, y compris sur leurs sites Internet. Le 17 février, il prend le train pour une station de sports d’hiver dans les Alpes. Le jour même où Abdoulaye Wade débarque à Paris. Quitte à voyager avant sa famille, qui le rejoindra quarante-huit heures plus tard, l’ex-Premier ministre préfère s’éloigner. Pour faire taire les rumeurs persistantes sur d’éventuelles retrouvailles françaises avec le chef de l’État ? Ont-ils eu des entretiens téléphoniques, comme beaucoup de leurs proches le supputent ? Communiqué par émissaires interposés, comme d’autres le font entendre ? Mystère.
Après une semaine de vacances loin du tourbillon parisien, Seck réapparaît dans l’après-midi du 26 février, au Pavillon Dauphine, dans le 16e arrondissement de la capitale française. À l’invitation du Collectif africain contre les violences politiques (CACVP), de l’Initiative de la diaspora en faveur d’Idrissa Seck (IDI) et du Mouvement de soutien à Idrissa Seck (MSIS), quelque 700 Sénégalais installés en France ou en provenance du Benelux, de l’Italie, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, du Canada, des États-Unis retrouvent leur mentor. Idy (comme le surnomment ses compatriotes), accompagné d’Oumar Sarr et d’Awa Guéye Kébé – deux de ses fidèles venus spécialement de Dakar -, prononce un discours qui laisse l’assistance sur sa faim. Alors que ses partisans s’attendent à ce qu’il indique la nouvelle direction politique à suivre, il livre un message académique qui emprunte des citations à Napoléon, Péguy, Ernest Domingo, Georges Pompidou Bref, digne des devoirs qu’il rendait à Sciences-Po dans les années 1980.
Ce discours se termine néanmoins par un passage un peu plus clair : « Que va faire Idrissa Seck ? Confronté à la même question, à peu près, l’ancien Premier ministre du général de Gaulle, Georges Pompidou, avait une réponse. Il disait qu’il n’avait pas un avenir politique, mais qu’il avait un passé politique. Moi aussi j’ai un passé politique, mais je ne sais pas si j’aurai un avenir politique. Peut-être qu’avec le soutien du peuple sénégalais, j’arriverai à avoir un jour en main les destinées de notre nation. » Va-t-il s’allier de nouveau avec Wade ? Lancer au contraire sa propre formation politique ? La réponse attendra, malgré les sollicitations insistantes des journalistes parisiens. Seck esquive les multiples demandes d’entretien et se réfugie dans le silence. « Je suis venu en France pour voir ma famille, mais je suis du Sénégal, rappelle-t-il. Après les hautes fonctions que j’ai occupées, je m’interdis de me prononcer depuis l’étranger sur des questions qui touchent à la vie politique de mon pays. Je ferai bientôt des choix fondamentaux. Mais je les annoncerai au Sénégal et nulle part ailleurs. »
En clair, Idrissa Seck prend le temps de la réflexion. Et c’est sans nul doute pour se donner le recul nécessaire qu’il partage son temps, depuis le 27 février, entre l’appartement qu’occupe sa famille et une suite au Saint-James. Dans ce joyau du XIXe siècle au cur d’un quartier chic de l’Ouest parisien, il se repose, réfléchit, s’adonne au sport et lit. À son chevet, Da Vinci Code, le roman à succès de l’écrivain américain Dan Brown, et Victor Hugo de l’historien français Max Gallo.
Sport, lecture, prière et méditation, l’ancien pensionnaire de Rebeuss profite également de son séjour parisien pour rencontrer du monde : des personnalités du milieu politique français, des Sénégalais et Africains de la diaspora, ainsi que des « amis de Sciences-Po ». Il garde sans doute un contact étroit avec des intellectuels français comme l’ancien directeur de la maison d’édition Albin Michel, Henri Bonnier, l’académicien et « africanophile » Erik Orsenna, le philosophe Bernard-Henri Lévy Lequel lui avait fait une proposition de rédaction d’un livre commun, après que Seck eut présenté une communication sur l’Islam au Festival des musiques sacrées de Fès, au Maroc, en mai 2003. Les vicissitudes de la vie politique sénégalaise ont jusqu’ici empêché la réalisation de ce projet.
Pour l’heure, l’ex-Premier ministre active ses nombreux réseaux, passe des messages de remerciements à tous ceux qui ont uvré à sa libération, consulte et prépare son retour au pays, qui devrait intervenir à la mi-mars. Il tient en effet à assister au « Magal » de Touba, le pèlerinage annuel des Mourides prévu pour le 19 mars. Une façon pour lui de témoigner sa reconnaissance au guide de cette puissante confrérie, Serigne Saliou Mbacké, qui l’a reçu avec tous les honneurs le 9 février, deux jours après sa sortie de prison.
S’il a lieu, le séjour au Sénégal de l’ex-Premier ministre risque d’être bref. Sur son agenda figure un déplacement aux États-Unis. En partie formé à l’université américaine de Princeton, il compte beaucoup d’amis dans ce pays. Il en profitera pour répondre à l’invitation de la section Amérique du Nord du mouvement Idi, celle-là même qui a organisé en septembre 2005 une marche devant le siège des Nations unies, à New York, pour réclamer sa libération.
Le voyage américain terminé, Seck se retrouvera face à la dure réalité du terrain dans son pays. Réussira-t-il à entretenir sa popularité – renforcée par son séjour en prison – pour se forger un destin national ? Ou finira-t-il dans l’estomac des crocodiles du marigot politique sénégalais ?
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