Quand le pouvoir s’écrit au féminin

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 7 minutes.

« Plus de pouvoir pour les femmes, c’est plus de pouvoir pour l’humanité tout entière. » Il y a dix ans, ces paroles prononcées à Pékin par Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général des Nations unies, à l’occasion de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, apparaissaient comme un vu pieux. Une promesse de plus dans une grand-messe dont les retombées concrètes apparaissaient plus qu’incertaines. Une décennie plus tard, onze femmes sont, dans le monde entier, présidentes ou chefs de gouvernement. Un record ! Et, bonne surprise, en dépit de fortes disparités régionales, l’Afrique n’est pas à la traîne.
Élue à la présidence du Liberia en novembre 2005, Ellen Johnson-Sirleaf, 67 ans, devient la première femme à diriger un État africain. Une apothéose après deux années fastes : en Tanzanie, le nouveau président Jakaya Kikwete a nommé sept femmes à des postes ministériels, dont ceux des Finances, de la Justice et de l’Éducation. Élu à la tête du Mozambique, Armando Guebuza s’est pour sa part entouré de huit femmes ministres et a reconduit à la primature Luisa Diogo, 47 ans, classée en 2004 par le magazine américain Forbes parmi les cent femmes les plus puissantes du monde. Ancienne dirigeante de la Banque centrale de São Tomé e Príncipe, Maria do Carmo Silveira, 44 ans, a été nommée Premier ministre en juin 2005, tandis qu’au Soudan cinq femmes faisaient leur entrée dans le nouveau gouvernement chargé de mettre en uvre les accords de paix. Si l’on ajoute que la Kényane Wangari Maathai a été en 2004 la première Africaine à recevoir le prix Nobel de la paix, il n’est plus possible d’en douter : les femmes du continent ont bel et bien investi le champ politique. Ni surs, ni épouses, ni « filles de », les nouvelles dirigeantes sont toutes de fortes personnalités qui ont gagné de haute lutte leur place au sommet.

Simple mimétisme occidental ? Pas sûr. L’Afrique du Sud, le Mozambique, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie comptent par exemple plus de 30 % de députés femmes, soit beaucoup plus que la moyenne européenne (19 %). Si l’on excepte les pays scandinaves, depuis longtemps fers de lance de la parité, l’Europe (16,9 %) fait à peine mieux que l’Afrique subsaharienne (16,4 %). Sur les cinquante Parlements où les femmes sont les mieux représentées, onze sont en Afrique.
Une arrivée en force qui surprend. Faut-il voir, comme le font certains analystes, dans cette soudaine montée en puissance des femmes le fruit d’une décennie de frustrations ? Après les espoirs de démocratisation des années 1990, les Africains ont constaté que « rien n’avait vraiment changé en matière de corruption, explique la sociologue norvégienne Gisela Geisler. Du coup, ils placent davantage d’espoirs dans les femmes. » C’est d’ailleurs sur le front des finances ou de la diplomatie (elles bénéficient d’une meilleure image) qu’elles sont le plus nombreuses : Diogo a passé cinq ans à la tête du ministère de l’Économie avant d’être nommée Premier ministre ; Johnson-Sirleaf sera jugée sur sa capacité à gérer les fonds affectés à la reconstruction du Liberia ; la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala a la lourde tâche de faire le ménage dans les finances publiques d’un des pays les plus corrompus au monde ; en Algérie, c’est encore une femme, Fatiha Mentouri, qui est chargée du ministère de la Réforme financière. Au Rwanda, en Afrique du Sud, au Niger, en Tanzanie, les chefs de la diplomatie sont des femmes.

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Autre conséquence de la crise politique et économique des années 1990 : la présidentialisation accrue des pouvoirs, dont les « premières dames » ont elles aussi bénéficié. Leur influence va désormais bien au-delà des « bonnes uvres » auxquelles elles étaient traditionnellement assignées (voir encadré p. 32).
Pourtant, la route a été longue et semée d’embûches depuis le temps des indépendances, quand aucune femme n’était au pouvoir sur le continent. Même celles qui ont participé aux luttes de libération, parfois les armes à la main, sont sacrifiées sur l’autel du développement, qui passe bien avant le « petit droit des femmes ». En Algérie, dix mille combattantes du Front de libération nationale (FLN) n’obtiennent même pas, en 1962, le statut de citoyenne à part entière. Seul signe encourageant : le droit des femmes progresse là où se mettent en place des régimes d’inspiration socialiste : en Tanzanie, au Mozambique, en Angola, au Cap-Vert, au Zimbabwe, en Afrique du Sud – où, onze ans après la fin de l’apartheid, des Sud-Africaines occupent de hautes responsabilités au sein de l’État.

L’influence internationale et le volontarisme affiché des Nations unies ont également joué un rôle capital. C’est à partir de 1975, déclarée Année internationale de la femme par l’ONU, qu’apparaissent les premières ministres africaines. Jugée « farfelue » par les hommes, l’initiative onusienne de déclarer la décennie 1975-1985 celle des femmes permettra pourtant aux Africaines de commencer à s’interroger sur leur rôle dans le développement. Elles en ont profité pour remettre peu à peu en cause les schémas du pouvoir patriarcal et pour profiter des possibilités de carrière offertes par les agences internationales, où les candidatures féminines sont officiellement encouragées. Johnson-Sirleaf, Diogo, Okonjo-Iweala sont toutes de « purs produits » de la Banque mondiale. Un atout indéniable, alors que l’essentiel de la politique des pays en développement est aujourd’hui une affaire de gros sous et de négociations avec les bailleurs de fonds.

Les pays francophones font pâle figure face aux progrès spectaculaires de l’Afrique australe et orientale. Difficile d’y trouver des femmes ministres hors de ces traditionnels domaines réservés que sont la Culture, la Famille et la Condition féminine. Avec Mame Madior Boye, le Sénégal a connu en 2001 sa « première » Premier ministre, mais cette nomination ne traduit guère un bouleversement de fond. Si quelques personnalités sortent du lot comme Aminata Traoré, l’ancienne ministre malienne de la Culture, ou l’Ivoirienne Henriette Diabaté, secrétaire générale du Rassemblement des républicains (RDR), tous les verrous n’ont pas sauté. Quelle que soit leur couleur politique, les partis ont du mal à liquider leur héritage phallocrate. D’autant que la barrière de la langue a longtemps freiné la pénétration du féminisme. Hormis quelques exceptions (celle de Simone de Beauvoir par exemple), c’est en anglais que se sont développées les théories émancipatrices à partir des années 1970.
Le dynamisme associatif et la libéralisation des médias au début des années 1990 ont néanmoins permis aux femmes francophones de lutter pour leurs droits. Le Niger ne compte qu’une députée et deux ministres femmes, mais les Nigériennes ont grignoté des espaces de parole à la télévision et dans les radios privées. La Marocaine Nadia Yassine, fille du leader islamiste Cheikh Yassine, a bâti sa réputation sulfureuse de « féministe islamiste » grâce aux médias. Dans des pays musulmans où le fait qu’une femme prenne la parole en public est difficilement accepté, elles ont gagné du terrain. Malgré des situations contrastées : cinq Algériennes siègent au gouvernement, mais le code de la famille amendé en 2005 ne leur donne pas encore toutes les libertés.

La cause de ces disparités flagrantes ? La volonté politique. En Tunisie, le code de la famille de 1957 et les textes ultérieurs ont fait des Tunisiennes les femmes les plus émancipées du Maghreb, voire du monde arabe. Elles sont notamment très nombreuses dans les entreprises et la magistrature. Le pouvoir souhaite imposer d’ici à 2009 un quota de 30 % de femmes pour tous les postes de décision. Au Maroc, l’arrivée de Mohammed VI s’est traduite en 2004 par une réforme du code de la famille. « Dans ce processus de démocratisation, la voix des femmes compte de plus en plus », explique l’universitaire Fatima Sadiqi. Le Parti socialiste marocain, qui fut le premier à nommer quatre femmes au gouvernement en 1997, impose aujourd’hui la présence de 20 % de femmes sur ses listes électorales. Le procédé fait tache d’huile. Le pouvoir militaire mauritanien n’exclut pas de mettre en place un système de quotas pour les prochaines législatives.
Ce volontarisme est désormais la norme dans toutes les nouvelles organisations panafricaines. Lors de sa création en 2003, l’Union africaine a d’emblée instauré la parité : la moitié des postes de commissaires sont systématiquement attribués à des femmes. Même chose au Parlement panafricain mis en place en 2004, dont le président est la Tanzanienne Gertrude Mongela. Sans compter que l’accession des femmes au pouvoir a aussi eu un effet multiplicateur : Johnson-Sirleaf a déjà nommé quatre femmes à des postes clés de son gouvernement.
C’est sur leurs résultats que ces nouvelles actrices de la politique devront être jugées. « Il n’est pas sûr qu’elles soient moins corrompues que les hommes. Simplement, elles n’ont jusqu’ici pas été soumises à la tentation », souligne Gisela Geisler. En nommant l’ancienne présidente de la Commission électorale à la tête du ministère de la Justice, la présidente libérienne suscite déjà la polémique. Ses adversaires l’accusent de « récompenser » celle qui a validé sa victoire. Mais peut-être est-ce la meilleure preuve que la véritable égalité des sexes est en marche

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