Guinée : Moussa Dadis Camara, libre en toute impunité

L’ex-chef de la junte militaire a effectué un court séjour au pays, alors qu’il est toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt. Preuve que seule une aide internationale pourrait permettre à la justice guinéenne de juger les responsables des crimes du 28 septembre 2009.

Le capitaine Moussa Dadis Camara, le 30 septembre 2009 à Conakry. © SEYLLOU DIALLO/AFP

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Publié le 27 janvier 2022 Lecture : 4 minutes.

Le 22 décembre 2021, le capitaine Moussa Dadis Camara était de retour en Guinée. « Dadis », comme l’appellent les Guinéens, est revenu au pays après plus de douze ans d’absence. En décembre 2009, le chef de la junte alors au pouvoir, le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), quittait la Guinée dans un avion médicalisé en direction du Maroc. Il venait de recevoir une balle dans la tête tirée par son aide de camp et adjoint, le lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité, dit « Toumba ».

À peine arrivé à Conakry, Dadis a été reçu par le colonel Mamady Doumbouya à la présidence. Un geste apprécié par celui qui rêve, après un long exil au Maroc puis au Burkina Faso, d’une réhabilitation. La rencontre a aussi été l’occasion pour le colonel Doumbouya, nouveau maître des lieux après un coup d’État réussi le 5 septembre 2021, de montrer que, à la différence d’Alpha Condé, il sait dialoguer avec tous et œuvrer à la réconciliation des Guinéens. Mais le séjour guinéen de Dadis s’est achevé avant même la fin de l’année par un retour précipité à Ouagadougou. Une tournée en Guinée forestière était pourtant prévue. Elle a été annulée, sans doute sur les conseils de ses avocats. Car son retour au pays n’a pas plu à tous, et surtout pas aux victimes du stade du 28-Septembre, qui envisageaient de saisir la justice pour demander son incarcération.

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Rappelons que, le 28 septembre 2009, un meeting de l’opposition a tourné au massacre dans la capitale guinéenne. Alors qu’une foule d’opposants s’était réunie dans le stade pour manifester contre la candidature à l’élection présidentielle de Dadis, les forces de sécurité qu’il dirigeait avaient réprimé brutalement le rassemblement.
Au cours de ces évènements, au moins 156 personnes ont été tuées, 109 femmes ont été victimes de viols et d’autres violences sexuelles, y compris de mutilations sexuelles, tandis que des centaines de personnes ont subi des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pendant plusieurs jours, des arrestations et des détentions arbitraires ainsi que des actes de pillage ont également été pratiqués.

Un procès toujours attendu

Qui sont les auteurs de ces violations ? Une enquête pénale a été ouverte et conduite par trois juges d’instruction guinéens entre 2012 et 2017. Au total, treize personnes ont été mises en examen et renvoyées devant le tribunal criminel de Dixinn. Selon l’ordonnance des juges, elles sont renvoyées pour des faits d’assassinats, meurtres, coups et blessures volontaires, viols et autres violences sexuelles, pillages, séquestrations et actes de torture. La procédure a été validée par la Cour suprême en 2019, mais depuis, le procès est toujours attendu… sans doute faute d’instructions claires de la part des autorités politiques, dans un pays peu connu pour l’indépendance de sa magistrature.

N’est-il pas urgent qu’un juge décide si Dadis Camara doit rester libre ou non avant son procès ?

On trouve Dadis dans la liste des treize prévenus, mais aussi plusieurs de ses ministres ainsi que des membres de son entourage et de la garde présidentielle. Certains (les colonels Claude Pivi ou Moussa Tiegboro Camara) ont évité la prison du fait du soutien qu’Alpha Condé leur apportait. Mais nombre d’entre eux sont en détention pour ces faits, et ce, depuis plusieurs années. Tel est le cas du lieutenant Toumba et du sous-lieutenant Marcel Guilavogui, chef adjoint de la garde présidentielle. Sont également détenus l’adjudant Cécé Raphaël Haba, garde du corps de Dadis, le sergent Paul Mansa Guilavogui et les gendarmes Mamadou Aliou Keita, Alpha Amadou Baldé et Ibrahima Camara. Pourquoi leur chef est-il libre et peut-il passer les frontières ? Un mandat d’arrêt avait été émis contre Dadis par les juges d’instruction : est-il toujours en vigueur ? Si oui, pourquoi n’a-t-il pas été exécuté ? N’est-il pas urgent qu’un juge décide si Dadis doit rester libre ou non avant son procès ? L’intéressé encourt la réclusion criminelle à perpétuité et sa responsabilité pénale ne fait guère de doute.

Une justice en piteux état

À Conakry, parmi les victimes et les associations de défense des droits humains, personne ne comprend pourquoi les subordonnés de Dadis, exécutants de ses basses œuvres, sont emprisonnés à la maison centrale, alors que le premier responsable demeure libre et voyage à sa guise. Peut-on encore espérer une réaction des autorités judiciaires ?

Les quelques tentatives d’affirmation d’indépendance de la justice sont invariablement brisées

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Rien n’en est moins sûr. Car la justice guinéenne se trouve dans un piteux état. Depuis 1958, elle n’a jamais réussi à faire juger des violations des droits humains dans un pays qui en a pourtant connu d’innombrables. Elle s’est en revanche toujours montrée intraitable à l’égard des membres de la société civile qui défendaient les libertés, y compris récemment contre les leaders du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) qui militaient contre le troisième mandat d’Alpha Condé. Ses quelques tentatives d’affirmation d’indépendance sont invariablement brisées. Comme le montre la démission forcée, le 31 décembre dernier, de la ministre de la Justice, Fatoumata Yarie Soumah, pour avoir osé rappeler au secrétaire général de la présidence que seuls le garde des sceaux et le Conseil supérieur de la magistrature ont autorité sur les magistrats. Plus que jamais, il apparaît que, sans une aide régionale et internationale, la justice guinéenne ne parviendra pas à trouver la force de juger les auteurs des crimes du 28 septembre 2009.

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