L’îlot de la discorde

Les présidents des deux pays ont décidé d’engager des négociations pour régler, avant la fin de l’année, leur litige frontalier.

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Le contentieux ne date pas d’aujourd’hui. Il empoisonne les relations entre Libreville et Malabo depuis plus de trente ans. Mais en 1999, il a pris une nouvelle dimension, lorsque le président équatoguinéen a réaffirmé par décret la souveraineté de son pays sur Mbanié : un îlot de 30 hectares situé dans la baie de Corisco, face à la province gabonaise de l’Estuaire, c’est-à-dire dans les eaux territoriales du Gabon. Depuis, le dossier est devenu brûlant, à tel point que le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a cru bon de rencontrer, le 27 février, à Genève, les présidents Teodoro Obiang Nguema et Omar Bongo Ondimba pour évoquer le sujet. Résultat de la rencontre : ouverture de pourparlers dès le 15 mars à Genève pour résoudre ce différend « avant la fin de l’année ».
C’est en 2003 que Kofi Annan a pris la mesure du risque que constitue le litige. Côté gabonais, le gouvernement se dit alors sûr de son droit. Il le clame d’ailleurs haut et fort. Le 26 février 2003, le ministre de la Défense (et fils du président), Ali Ben Bongo, effectue une visite très officielle sur cette langue de sable longtemps ignorée du monde. La réplique de Malabo est immédiate : prenant la parole à la télévision nationale, le Premier ministre de l’époque, Candido Muatetema Rivas, accuse le Gabon d’occupation illégale des îlots Mbanié, Conga et Cocotiers.
Alors que le ton monte, Kofi Annan aborde le sujet avec les deux chefs d’État en juillet 2003, à Maputo, en marge du sommet de l’Union africaine au Mozambique. Puis décide de confier le dossier à un médiateur patenté, l’avocat canadien Yves Fortier, ancien membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye et ex-ambassadeur de son pays auprès de l’ONU.
Mais il est difficile de statuer. Pour Libreville, la souveraineté gabonaise s’appuie sur un accord conclu au début du XXe siècle entre les deux puissances coloniales concernées, la France et l’Espagne. Le texte a d’ailleurs été confirmé en 1974 par Omar Bongo Ondimba et Macias Nguema, son homologue équatoguinéen de l’époque. À Malabo, en revanche, on rappelle que, lors de l’accession à l’indépendance, Madrid a pris soin de transférer au nouvel État la souveraineté sur les îles de Corisco, Elobey et sur « les îlots adjacents ».
Plutôt que de trancher dans le vif, Yves Fortier va concentrer ses efforts sur l’élaboration d’une solution de consensus. Il préconise la délimitation d’une zone d’exploitation conjointe (ZEC) pour une valorisation commune des ressources de l’îlot. Mais le compromis ne satisfait personne. Et a naturellement été rejeté à Genève.
Bongo Ondimba et Obiang Nguema ont donc décidé « de procéder immédiatement à la négociation de la délimitation définitive de leurs frontières maritimes et terrestres » et de résoudre, dans la foulée, la question de Mbanié. C’est pour établir un calendrier des discussions que les experts des deux pays se retrouveront à Genève le 15 mars prochain.
Cette option, soutenue par Kofi Annan, disqualifie complètement la médiation de Fortier, qui, après deux ans et demi de persévérance, n’a donné aucun résultat tangible. Quoi qu’il en soit, personne ne semble regretter l’avocat canadien. Alors que la délégation gabonaise le suspectait de parti pris en faveur de Malabo, certains délégués de Guinée équatoriale estiment simplement que « Fortier a échoué ».
Reste à savoir quelles sont les chances de succès du nouveau round de négociations. Les participants semblent tous satisfaits de repartir sur de nouvelles bases, mais le risque d’échec n’est pas exclu. Et si les pourparlers venaient à s’enliser, les deux parties auraient toujours la possibilité de porter l’affaire devant la Cour internationale de justice (CIJ).
Quant aux véritables motivations qui les conduisent à négocier pied à pied, elles sont loin de concerner la partie émergée de l’îlot, peuplé, pour l’essentiel, d’une forte colonie de crabes. Ni même les eaux qui entourent Mbanié, Conga et Cocotiers, que l’on dit « potentiellement riches en hydrocarbures », mais où aucune trace de pétrole n’a été décelée jusqu’à présent. C’est bien plutôt la perspective qu’offre Mbanié de contrôler la zone de haute mer située entre cet îlot et São Tomé – une zone les indices permettant d’établir la présence de brut sont, ici, beaucoup plus évidents – qui explique l’intérêt particulier que lui portent la Guinée équatoriale et le Gabon
Dans cette perspective, autant dire que les discussions pour sa possession seront âpres. Et qu’elles risquent de se prolonger à La Haye. Avec toute la patience que l’option juridique impose. Pour peu qu’on la saisisse, la CIJ aura besoin de cinq à dix ans pour rendre son avis.

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