Libérées et tabagiques

Nouvelle cible des fabricants de cigarettes : les jeunes femmes, branchées de préférence.

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

« Fine Slims » (en français : « Mince et bien ») : tel est le nom de la marque de cigarettes que la Régie des tabacs-Altadis a cru bon de lancer sur le marché marocain le 7 mars 2005, à la veille de la Journée internationale de la femme. Le message sous-jacent était parfaitement clair : la cigarette libère la femme, l’aide à s’émanciper et la rend plus belle L’argument peut paraître choquant, mais il est le fruit d’une étude réalisée par la Régie en 2004. Parmi les fumeuses marocaines interrogées, certaines auraient exprimé « l’envie d’affirmer leur féminité à travers le choix d’une marque de cigarettes ».
En 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait tenté d’alerter les femmes des pays émergents : « Pour séduire les femmes, les sociétés productrices de tabac dépeignent un monde fictif où les gens sont en bonne santé et en pleine forme physique, beaux, sveltes et débarrassés du stress. » S’y ajoute un message social bien plus pernicieux : « Les produits du tabac sont préconisés comme un moyen de parvenir à la maturité, d’avoir confiance en soi, d’être attirant sexuellement et de maîtriser son destin – exploitant efficacement le combat des femmes pour l’égalité. » Alors, la cigarette, flambeau des femmes libérées ? Ne souriez pas, cela s’est déjà vu. En d’autres temps et sous d’autres latitudes.
Pour Nadia Collot, auteur du documentaire Tabac, la conspiration, qui sortira dans les salles françaises au mois d’avril, il ne s’agit là que d’un mauvais remake. « Aujourd’hui, en France, explique-t-elle, si de plus en plus de femmes meurent de cancers liés au tabagisme, c’est le résultat de la propagande des années 1960-1970, qui a surfé sur la vague de la libération des femmes. C’est exactement le même schéma qui est aujourd’hui appliqué en Afrique. Au Maroc, en particulier, les industriels spéculent sur la volonté d’émancipation des femmes et présentent la cigarette comme l’un des accessoires de leur liberté nouvelle. » Bref, les cigarettiers perdant partout du terrain dans les pays développés, où de strictes lois antitabac ont été adoptées, ils s’efforcent d’en regagner ailleurs.
Selon le ministère de la Santé, les fumeuses ne représentent encore qu’une infime partie de la population âgée de plus de 20 ans : 34 % des Marocains fument, contre 1 % des Marocaines. Selon l’étude de la Régie des tabacs-Altadis, elles seraient en réalité plus de 3 %, dont la moitié âgée de moins de 35 ans. Fatima-Zahra a dépassé la trentaine et fume depuis plus de quinze ans. Pharmacienne à Casablanca, elle a grillé sa première cigarette sur les bancs du lycée. « C’était grisant, on devait se cacher, c’était presque un jeu. Depuis, je suis devenu accro. Mais j’ai l’impression que ce n’est plus la même chose aujourd’hui. Quand j’étais adolescente, on fumait dans certains cafés, généralement les plus huppés, mais sûrement pas dans les lieux publics ou dans la rue. Désormais, à Casa, les filles fument partout sans problème. C’est à croire que la cigarette est devenue l’accessoire obligatoire de la Marocaine branchée. »
Une tendance que confirme Lalla Aïcha Naïni, secrétaire générale d’une association d’enseignants qui s’efforce (notamment) de prévenir le tabagisme chez les jeunes. À la sortie de son lycée, elle constate tous les jours que fumer n’est plus un tabou, mais presque une fierté : les jeunes ont l’illusion de braver un interdit. « Ils ne se rendent pas compte que le tabac est une drogue, et qu’il tue, constate l’enseignante. Au Maroc, 90 % des cancers du poumon et 80 % des cancers de la gorge touchent des fumeurs. » Les Marocains, hommes et femmes, fument de plus en plus et de plus en plus tôt, 10-11 ans parfois. En 2004, plus d’un tiers des lycéens étaient dans ce cas. Il est vrai qu’à la sortie des établissements, des vendeurs ambulants proposent bonbons, chewing-gums et cigarettes au détail.
Le Maroc a adopté, il y a dix ans, une loi antitabac qui interdit d’en faire la promotion ou de fumer dans les lieux publics. Pour le Pr Mohammed Bartal, l’une des grandes figures de la lutte antitabac depuis plus de vingt ans, « cette loi est un point de départ très important, mais il aurait fallu aller plus loin en ratifiant la Convention cadre antitabac de l’OMS. » Cette Convention, le Maroc l’a pourtant signée, avec 167 autres pays, en 2004. Mais à la fin de 2005, il s’est abstenu de la ratifier, imité en cela par l’Algérie et la Tunisie. Seuls 124 pays signataires ont franchi le pas, parmi lesquels la Mauritanie, la Libye et l’Égypte.

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