Feu vert pour la présidentielle

La réunion, à Yamoussoukro, le 28 février, des cinq principaux protagonistes de la crise n’a pas débouché sur le clash redouté. Bien au contraire

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Charles Konan Banny ne pouvait rêver mieux. Pour célébrer ses cent jours à la primature (où il a été nommé le 4 décembre 2005), le chef du gouvernement ivoirien de transition s’est offert un cadeau à la mesure de ses ambitions. Le mardi 28 février à Yamoussoukro, il est parvenu à réunir dans la bien nommée Fondation Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix les quatre principaux protagonistes de la crise qui secoue son pays depuis septembre 2002. C’était la première fois que le président Laurent Gbagbo, l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié, l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara et Guillaume Soro, le chef de file des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion), se retrouvaient en terre ivoirienne, autour d’une table. Sans aucune présence étrangère, sans intermédiaire et sans même leurs principaux collaborateurs, relégués dans une salle annexe (à l’exception de ceux du chef de l’État).
Il ne s’agissait pas de signer un nouvel accord mais de s’approprier le dernier en date, qui reprend et réaffirme l’essentiel des précédents : la feuille de route de Konan Banny, censée ramener la paix par la voix des urnes le 30 octobre au plus tard. L’enjeu était tellement important – et les échecs précédents si nombreux – que beaucoup d’Ivoiriens redoutaient que les « en haut d’en haut » se laissent aller à leurs habituelles querelles. Il n’en a rien été. L’affrontement attendu entre Gbagbo et Soro – l’un brandissant le désarmement des rebelles, l’autre le processus d’identification des populations – n’a pas eu lieu. De l’avis de tous les participants, le huis clos a été « convivial », « fraternel ». Une belle photo de famille, en somme. La veille, lundi 27 février, un face-à-face tendu avait pourtant mis aux prises certains éléments des Forces ivoiriennes de défense et de sécurité (FDS) et des hommes du contingent français Licorne. La marmite n’a pas explosé et, le lendemain, un confrère ivoirien pouvait saluer ce qu’il appelle un « mardi d’espoir »
Les sourires crispés et les poignées de main pleines de défiance ont vite fait place au dialogue détendu. Bédié s’est dit « content » du déroulement du conclave, qu’il juge « positif », Ouattara et Soro ont trouvé Gbagbo « parfait ». Il est vrai que le chef de l’État, qui a eu un aparté avec l’ancien Premier ministre juste avant le début de la réunion, n’a pas son pareil pour mettre un peu d’ambiance. Ainsi, alors que Soro se lançait dans un long développement sur le processus du DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion), Gbagbo l’a interpellé d’un ton presque badin : « Je vous ai formé, mais vous êtes devenu un mauvais élève. Vous faites l’école buissonnière ! »
L’intéressé s’est offusqué de « cette façon de chercher à l’infantiliser ». Sans plus. Les deux hommes se connaissent de longue date et, en dépit des vicissitudes de la crise et de déclarations incendiaires surtout destinées à leurs clientèles respectives, ils ont maintenu entre eux un contact suivi. Par téléphone ou par l’intermédiaire d’amis communs. Konan Banny ne l’ignore pas. Bédié et Ouattara, non plus. La discussion s’est poursuivie sans anicroche. Le consensus sur la nécessité de tenir la présidentielle dans les délais est acquis. Gbagbo semble même pressé d’y arriver le plus tôt possible. « Je veux la paix, dit-il. Il ne faut pas avoir peur des élections. » Lui que certains de ses adversaires appellent, depuis la fin de son mandat (le 30 octobre 2005), « l’ex-président » redoute-t-il l’après-30 octobre 2006 ?
En tout cas, moyennant une quatrième vice-présidence pour ses camarades du Front populaire ivoirien (FPI), il a accepté d’entériner la composition du bureau de la Commission électorale indépendante (CEI), dont il ne voulait, jusqu’ici, pas entendre parler. Après avoir obtenu que le règlement intérieur de la CEI soit réaménagé, il a réclamé que son mode de prise de décisions soit revu, l’estimant par trop défavorable au FPI. Bref, la guérilla continue, à charge pour Konan Banny d’y mettre un terme. Celui-ci va négocier ce qui doit l’être avec le FPI. En fait, le Premier ministre et ses invités du jour semblent décidés à tenir compte des rapports de force entre Gbagbo et ses partisans. Ils ont compris qu’il ne faut pas le laisser seul au front, mais lui donner des gages et, surtout, éviter de l’humilier.
Les choses paraissent bien engagées pour Konan Banny, qui s’efforce à la fois d’apparaître comme l’initiateur de la table ronde, comme celui qui va au charbon et comme l’incontournable médiateur entre les quatre « frères ennemis ». Il en faudra davantage sur la question de l’identification, même s’il a obtenu que celle-ci soit menée en même temps que le recensement électoral. Le dialogue entre FDS et FN va reprendre au niveau des états-majors. Et le calendrier du DDR et du démantèlement des milices va être réactualisé. Dans l’esprit de Konan Banny, il s’agit in fine d’aboutir à un état-major intégré. Les incidents qui ont opposé des éléments de Licorne à ceux des FDS, qui l’ont contraint à reporter de vingt-quatre heures la rencontre, n’ont fait que le conforter dans cet objectif. D’autant qu’il reste persuadé qu’il y aura d’autres couacs et d’autres clashs. Et pas nécessairement là où on les attend.
Mais il a gagné son pari : réunir tous les protagonistes (qui sont d’ailleurs convenus de renouveler l’expérience) pendant près de cinq heures, sans le moindre éclat de voix, et instaurer un esprit d’apaisement. Y compris sur la question de l’Assemblée nationale – dont le mandat est arrivé à expiration à la mi-décembre -, que la table ronde de Yamoussoukro n’a pas abordée. L’Assemblée ne sera pas dissoute, mais le Premier ministre n’y prononcera pas son discours de politique générale, et aucun ministre n’y viendra défendre un projet de loi. Elle ne sera pas davantage autorisée à légiférer. La feuille de route de Konan Banny lui sert autant d’arme que d’armure. Il n’est tenu par aucune contrainte partisane, à la différence des candidats au fauteuil présidentiel. Lesquels sont tous désormais en campagne. À commencer par la « galaxie Gbagbo », depuis longtemps mobilisée pour son champion, et Bédié, que sa formation, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), investira officiellement le 11 mars à Abidjan.

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