El Hadj Habib Bumaya

Le ministre de la Fonction publique évoque les conséquences de la décentralisation sur l’administration territoriale

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Pour avoir fondé le Parti démocratique islamique (PDI), il incarne depuis la fin des années 1980 la minorité musulmane du Rwanda. El Hadj Habib Bumaya, 50 ans, titulaire du maroquin de la Fonction publique, a participé à la reconfiguration de l’administration, étape incontournable vers la décentralisation.

Jeune Afrique : Le choix de la décentralisation implique de nombreuses conséquences sur la fonction publique. Où en est-on aujourd’hui ?
El Hadj Habib Bumaya : Le processus de réformes a débuté en 1999, quand la décentralisation a été retenue comme stratégie de bonne gouvernance. Trois ans plus tard, nous avons achevé la première phase qui a consisté à l’élaboration de nouveaux organigrammes pour l’administration centrale et les institutions nationales, tels le Parlement, la Cour suprême ou le parquet général. En 2003, nous avons entamé l’harmonisation entre l’organisation de la fonction publique et la politique de décentralisation. L’évaluation périodique nous a amenés à revoir les effectifs et leur répartition sur les provinces, les districts et les secteurs.
Est-ce à dire que la fonction publique a subi une sérieuse compression d’effectifs ?
Le principe de la décentralisation implique une nette diminution des prérogatives de l’administration. Celle-ci se concentre désormais sur la conception des politiques, la coordination de leur mise en uvre et l’élaboration des projets de lois. À titre d’exemple, le ministère de la fonction publique disposait d’un effectif de 110 agents avant la réforme. Nous ne sommes plus que 35 aujourd’hui. La nouvelle répartition des tâches imposait un dégraissage et une mise à disposition de cadres pour les districts et pour les secteurs aux pouvoirs élargis. Au 31 décembre 2004, près de 40 % des agents de l’État ont été mis à la retraite pour certains, licenciés avec indemnités pour les autres. Cette opération a coûté au budget de l’État plus de 600 millions de francs rwandais, un peu plus de 1 million de dollars.
Cette opération a-t-elle provoqué des remous sur le plan social ?
Il n’y a pas eu d’embrasement sur le front social pour la simple raison que les licenciements ont été accompagnés par des mesures efficaces. Tous les agents qui en ont exprimé le désir peuvent bénéficier d’un recyclage universitaire, pour peu qu’ils puissent justifier d’un diplôme leur permettant de reprendre leur cursus. Cette éventualité leur ouvre la possibilité de se faire recruter par les nouvelles autorités locales qui auront besoin de cadres. D’autres agents ont souhaité créer des entreprises. L’État a mis à leur disposition des bourses d’études en gestion et en management. En outre, la Banque centrale a créé un fonds de garantie pour qu’ils puissent accéder au financement de leur projet via les banques commerciales.
Quelle a été la catégorie de fonctionnaires la plus touchée ?
Celle des agents non qualifiés ou au cursus universitaire inachevé. L’administration centrale gardant les cadres capables de concevoir des politiques et élaborer une planification, tous les autres devaient être recyclés et mis à la disposition des entités de proximité qui ont désormais la charge de servir le citoyen.
Vous avez l’ambition d’intéresser l’élite à la gestion locale. Que lui proposez-vous pour la convaincre de quitter Kigali ou les grands centres urbains ?
Une sérieuse revalorisation salariale. Pour ce faire, la loi de finances de 2006 prévoit un accroissement de la masse salariale de 7 milliards de francs rwandais (environ 12 millions de dollars). La révision du barème devrait inciter les futurs lauréats des universités rwandaises à opter pour la fonction publique au niveau des gouvernements et parlements locaux.
En augmentant les salaires, ne redoutez-vous pas la colère des institutions financières internationales ?
Pas du tout ! Nous ne faisons rien en catimini et tout cela a été négocié avant adoption par le Conseil des ministres. Cela dit, l’augmentation des salaires n’obéit pas à des critères rigides. Certains secteurs de la fonction publique restent libres d’appliquer ces nouvelles orientations. L’éducation, l’armée ou la police ont bénéficié d’une sorte de dispense du barème national pour que la redistribution des augmentations n’engendre pas de frustrations. La revalorisation touchera essentiellement l’encadrement, en dehors des cadres supérieurs. Certains de mes collaborateurs ont vu leur salaire tripler depuis le 1er janvier 2006. En revanche, certaines aberrations contenues dans l’ancien barème ont été corrigées. Ainsi les salaires de cadres des entreprises parapubliques ont été gelés, voire réduits dans certains cas. On ne pouvait continuer d’accorder à un directeur d’une entreprise publique un salaire trois fois supérieur à celui de son ministre de tutelle.
Quelle est la taille de la nouvelle fonction publique ?
Environ de 90 000 personnes, réparties essentiellement dans l’armée et l’éducation (30 000 agents chacune). Les effectifs de la police ont été maintenus à 8 000 hommes. À l’issue de cette réforme, les effectifs et les salaires de la fonction publique ne seront plus de notre ressort mais de celui des autorités locales, désormais autonomes en matière budgétaire. Libre à elles de recruter ou de se séparer de leurs agents. Pour les recrutements, nous avons mis en place une commission de la fonction publique qui assistera les districts et secteurs en quête de cadres.
Faute d’activités, vous allez finir par vous ennuyer dans votre bureau !
Le ministère poursuivra sa mission de supervision pour proposer des ajustements. Je ne vais pas m’ennuyer, car la décentralisation n’exclut pas pour autant le débat politique.
À propos de politique, les élections locales se sont tenues sans aucune référence partisane. Comment réagit le chef de parti que vous êtes ?
Il s’agit d’un compromis entre l’ensemble de la classe politique rwandaise. Notre histoire et le douloureux épisode du génocide rendent difficile aujourd’hui une compétition électorale engageant des partis à un niveau local. Le manque de conscience politique et la fragilité de la paix dans les collines pourraient compromettre le processus d’unité et de réconciliation. La population n’est toujours pas à l’abri d’un discours divisionniste. Les huit formations qui composent le paysage politique au Rwanda sont organisées au sein d’un forum. Chacune y est représentée par quatre membres et les décisions prises sont obligatoirement consensuelles. Il n’y a aucune hégémonie, et chaque parti pèse autant que les autres. Les décisions qui engagent le devenir du pays y sont discutées en toute sérénité. Tous les partis ont admis l’idée d’élections locales non partisanes pour favoriser l’émergence de compétences au service de la population. Une fois que le forum a retenu l’idée d’élections non partisanes, cela a été entériné par le gouvernement et adopté par le parlement. Cela est parfaitement compatible avec nos réalités. Mais il arrive que le chemin qui mène au consensus soit parsemé d’embûches.
Sur quelle question, par exemple ?
Il y a une interprétation et une lecture différentes à propos de l’obligation faite à l’État de financer les formations politiques. Quand le débat se trouve dans une impasse, il y a une période de concertation entre les 32 membres du forum. Si les divergences demeurent, la question est renvoyée à plus tard.

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