Duel de titans

La première est mieux partie, la seconde progresse à toute allure. Laquelle des deux prendra le meilleur sur l’autre à l’horizon 2015 ?

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Après une bonne décennie de célébration ininterrompue du « miracle chinois », on est en train de découvrir depuis peu, en Occident comme ailleurs, l’essor économique impressionnant de l’autre géant asiatique, l’Inde. À tel point que, les modes étant versatiles, il est même devenu in de prédire que l’avenir appartient plus, à long terme, à New Delhi qu’à Pékin. Ou, en tout cas, que son développement, sur bien des plans, serait plus prometteur et se révélera plus solide. Une bonne partie des écrits récents sur la Chine – c’est le cas de la quasi-totalité des livres qui lui sont consacrés – soulignent d’ailleurs surtout ces derniers temps les problèmes que doit affronter l’empire du Milieu, dont l’expansion spectaculaire du PIB cacherait mal le nombre et l’importance des handicaps.
La directrice du très renommé McKinsey Global Institute a elle-même réalisé quelques calculs et proposé quelques prévisions qui vont dans ce sens et auxquels nous allons nous référer ci-après. Ils viennent à l’appui de sa conviction que les deux grands « modèles » asiatiques vont connaître des destins différents. L’Inde serait-elle donc vraiment partie pour l’emporter face à son rival du Nord comme cette économiste le pense ainsi que tant de commentateurs ?
Il y aurait au moins une bonne raison de penser le contraire. Ainsi que le montre le graphique, les performances de la Chine en matière de PIB annuel moyen par habitant – considéré généralement comme l’indicateur numéro un du développement – sont incomparablement supérieures à celles de l’Inde. Non seulement la Chine, ayant résolument opéré son tournant « capitaliste » dans les années 1980, contrairement à son voisin du Sud, a pris de l’avance dès le départ, mais cette avance n’a fait que croître jusqu’à aujourd’hui. Et même si le taux de croissance annuel de l’Inde est aujourd’hui presque équivalent à celui de la Chine (8 % environ en 2005, contre 10 %), l’écart, du fait même des positions actuelles, va mécaniquement continuer à s’agrandir en valeur absolue. Les chiffres du graphique renvoient au PIB par tête calculé suivant la méthode de la parité de pouvoir d’achat, mais il faut savoir que les résultats relatifs ne seraient pas foncièrement différents si l’on avait calculé le niveau de ce même indicateur de richesse moyenne selon la méthode classique, sans correctif.
Si l’on regarde ensuite les statistiques qui mesurent l’équipement des ménages dans les deux pays, la différence à l’avantage de la Chine semble se confirmer. Alors qu’un foyer du pays de Hu Jintao possède en moyenne au moins un téléviseur couleur (plus de 1,2 poste par ménage en moyenne), à peine plus de 40 % des Indiens sont dans le même cas. L’écart est du même ordre pour les machines à laver et même beaucoup plus important pour les appareils à air conditionné et surtout les téléphones mobiles. Il n’y a qu’en matière d’automobiles que l’Inde a pris l’avantage, et de loin. Mais quand on connaît le rythme de croissance de l’industrie automobile dans l’empire du Milieu, on peut conjecturer que les routes chinoises seront bientôt aussi encombrées que celles de la péninsule.
L’optimisme des supporteurs du modèle indien s’appuie donc sur d’autres statistiques, très parlantes elles aussi. Diana Farell a calculé ou estimé l’évolution comparée du taux de croissance de l’activité dans divers secteurs « stratégiques » dans le passé récent (1981-2003) et dans l’avenir prévisible (2003-2015). Et l’on comprend alors – il suffit de comparer les pentes des courbes mesurant ces évolutions – pourquoi elle croit plus en l’avenir de l’Inde qu’en celui de la Chine. L’industrie chinoise – laquelle, on le sait, perd des emplois depuis une bonne décennie – a peut-être en effet déjà connu ses années les plus fastes et va voir son essor si spectaculaire se ralentir. Idem dans le secteur du bâtiment. Le cas de la chute du taux de croissance, extraordinaire il est vrai, de la construction d’ordinateurs est à cet égard frappant. Mais même du côté des services le ralentissement est constant. L’Inde, pour sa part, ne bénéficie pas encore d’un rythme de croissance aussi élevé dans la plupart de ses activités. Mais dans sa spécialité, celle des services, où la valeur ajoutée est souvent supérieure, elle rivalise déjà avec son voisin et, surtout, elle se développe sans risquer un quelconque ralentissement (exemple : les services médicaux) et même parfois de plus en plus vite – par exemple en matière de technologies de la communication et de services aux entreprises.
L’un des domaines essentiels, peut-être même le plus crucial, si l’on s’intéresse à l’avenir, c’est évidemment l’éducation et la formation des futurs cadres, techniciens, chercheurs et membres des professions libérales. Si l’on se réfère aux prévisions à l’horizon 2008, on s’aperçoit que l’Inde, en la matière, malgré un léger retard pour les ingénieurs, domine nettement la Chine. Cet avantage serait de surcroît plus important que ne le laissent penser les statistiques : les cadres ou chercheurs indiens, en effet, seraient non seulement plus nombreux mais également mieux formés, plus « employables » selon le vocabulaire en vogue dans les pays anglo-saxons, à en croire les spécialistes du recrutement des entreprises multinationales.
Le match Chine-Inde, à l’horizon de quelques décennies, est donc peut-être moins joué d’avance, à l’avantage de la première, qu’on ne le croyait encore il y a quelques années. Surtout si l’on parle autant de « qualité » du développement que de « quantité » en ne se référant plus au seul taux de croissance global de l’économie mais à d’autres indicateurs (ceux évoqués ci-dessus mais également bien d’autres, notamment démographiques ou politiques). Il convient cependant de ne pas trop vite passer d’un favori à l’autre dans la course au développement en se rappelant que les pronostics se voulaient tout aussi assurés il y a peu en concluant en sens inverse. Et il faut garder à l’esprit aussi que, s’agissant de développement, le match le plus important qui se déroule aujourd’hui n’oppose peut-être pas ces deux pays entre eux, mais les deux ensembles au reste du monde. Et pour l’instant, le vainqueur, dans cette compétition, c’est incontestablement la « Chindia », autrement dit l’ensemble Chine-Inde, tel que le nomment les Anglo-Saxons, qui rattrape à vive allure tous ses concurrents.

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