Ce qui attend le président

Privatisations au point mort, filière coton désorganisée la tâche est rude pour le successeur de Mathieu Kérékou, appelé à redresser une économie en berne.

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 5 minutes.

Le 7 avril, l’heureux élu qui s’installera dans le fauteuil présidentiel trouvera sur son bureau de nombreux dossiers en chantier. Héritier d’un bilan économique en demi-teinte, il devra rapidement mettre en uvre les réformes promises pendant la campagne électorale. Au moins pourra-t-il compter sur le soutien de la communauté internationale. Le Bénin, souvent cité en exemple pour sa stabilité et son processus démocratique, jouit encore d’une bonne réputation. Le déroulement somme toute paisible de l’élection est un gage supplémentaire pour les partenaires soucieux du respect de la bonne gouvernance. Conscients de détenir un « havre de paix dans la sous-région », les bailleurs de fonds témoignent d’ailleurs d’une réelle générosité. L’aide étrangère dépasse annuellement les 150 milliards de F CFA (228 millions d’euros). Les grandes puissances du G8 ont retenu en juillet 2005, l’ancien Dahomey parmi les 18 pays pauvres dont la dette multilatérale doit être annulée. À terme, plus de 70 % de l’ardoise totale, qui s’élève à 682 milliards de F CFA, doit être effacée. Le Fonds monétaire international (FMI) a accordé en août 2005 un nouveau programme de soutien à la croissance et de lutte contre la pauvreté. À la clé, des autorisations de crédits de 5 milliards de F CFA couvrant la période 2005-2008. Jalouse de sa position de premier partenaire, la France n’est pas en reste et a musclé sa coopération en accordant notamment des aides budgétaires.
En dépit de ses bonnes relations avec les bailleurs, le Bénin a récemment vu son économie plafonner. Si le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) a été de 5,25 % en moyenne, entre 1995 et 2003, son rythme a chuté à 2,7 % en 2004 et ne devrait pas dépasser les 3 % en 2005. En prenant en compte la baisse des échanges informels avec le Nigeria, « on peut parler de récession», estime Roland Riboux, PDG de l’entreprise Fluidor et président du Conseil des investisseurs privés du Bénin (CIPB) qui regroupe 31 sociétés.
Pour relancer une économie en berne, le futur chef de l’État devra donc s’attaquer de front à tous les pans de l’économie touchés par ce recul d’activité. À commencer par le port de Cotonou, en perte de vitesse dans un contexte de forte concurrence régionale. Désorganisation sur les quais, délais de manutention trop longs, installations insuffisantes, lourdeurs administratives, le Bénin n’a pas su convertir sa position géographique en atout économique, malgré les perturbations auxquelles est confronté le port d’Abidjan. « Il faut impérativement que le port soit attractif pour que le Bénin devienne véritablement un centre de redistribution régional », conclut un économiste en poste à Cotonou. En 2003, 90 % des échanges commerciaux transitaient par les infrastructures portuaires, dont les autorités engrangeaient 80 % des recettes douanières. Un record qui, depuis, est en baisse, l’État n’ayant pas réussi à gérer et pérenniser cette augmentation de fret. « Il y a deux ans, avec mes associés installés en Allemagne, je vendais jusqu’à 20 voitures par jour. Aujourd’hui, j’en écoule quelques-unes seulement par semaine, déplore Léopold, qui dénonce des taxes prohibitives, qui sont passées de 60 000 F CFA par véhicule dans les années 1990 à 430 000 F CFA en 2005. Comment voulez-vous que l’on s’en sorte dans ces conditions ? » s’interroge-t-il. Avec près de 300 000 véhicules d’occasion sortis des cales, Cotonou était même devenu la plaque tournante pour la sous-région, faisant vivre plus de 100 000 personnes. Ce n’est plus le cas, le marché ouest-africain étant saturé, et Abuja multiplie les mesures restrictives afin de limiter ses importations en provenance du Bénin.
Le secteur clé de l’agriculture, qui emploie 55 % de la population active, est sous-exploité. Les productions traditionnelles de maïs, de manioc et d’ignames assurent certes l’autosuffisance alimentaire dans les campagnes mais le palmier à huile ou l’amande de karité sont autant de filières injustement délaissées. Le Bénin importe de la viande et, malgré des ressources halieutiques avérées, la pêche industrielle reste peu développée. Après une longue période d’interdiction sanitaire, la fameuse crevette de lagune vient de reprendre le chemin de l’Union européenne.
Plus grave, les turbulences constatées dans la filière coton mettent en péril un secteur qui représente 14 % du PIB, 75 % des exportations et fait vivre, directement ou indirectement, près de 3 millions de personnes. La chute des cours internationaux est un fait mais les dysfonctionnements ont aggravé la situation. « La privatisation a été menée dans de mauvaises conditions et sans cohérence, selon un observateur qui fustige des comportements prédateurs. Des acheteurs privés ont spéculé à la baisse et n’ont pas payé les paysans. Il faut d’urgence remettre un peu d’ordre. » Cette année, les surfaces ensemencées ont chuté de 30 % pour une production attendue de 250 000 tonnes contre 300 000 initialement annoncées (428 000 tonnes en 2005). « Si rien n’est fait pour nous assurer des revenus, le coton cultivé au Bénin partira de plus en plus via les pays voisins », a averti en janvier Jérôme Wommagui, président de l’Association interprofessionnelle du coton au Bénin (AIC).
Du côté du secteur secondaire, l’industrie en est toujours au stade embryonnaire et les privatisations annoncées des compagnies de télécoms, de fourniture d’électricité et d’eau sont restées au point mort. Faute de volonté ou de transparence, plusieurs procédures ont été reportées. Dans les chancelleries occidentales, on exprime ouvertement un certain agacement. « Le bilan du dernier mandat de Mathieu Kérékou est mauvais. Il était temps que cela se finisse », ose un diplomate, qui a bien du mal à cacher son exaspération devant l’ « affairisme au cur de l’État, la corruption et la contrebande, devenue l’un des moteurs de l’économie nationale. On ne peut pas développer un pays sur de telles bases », conclut-il.
De fait, les autorités ont bien du mal à faire rentrer l’argent dans les caisses de l’État. Pour boucler les budgets, les agents des impôts sont partis en chasse, ces derniers mois. Les entrepreneurs dénoncent un harcèlement fiscal. « Les services des impôts se précipitent sur les entreprises. Certains redressements sont injustifiés », estime Roland Riboux, qui annonce être « passé à la moulinette » et cite le cas d’un distributeur de carburants à qui on demande 16 milliards de F CFA pour des produits en transit normalement exonérés de taxes. « Le redressement de l’économie du pays nécessite un assainissement et un changement de mentalité. »
Pour redorer son blason avant de partir, le Caméléon a fait un peu de ménage dans la maison. Le ministre des Affaires étrangères, Rogatien Biaou, a été limogé le 15 février dernier puis placé en garde à vue quarante-huit heures pour son implication dans une affaire immobilière à l’ambassade du Bénin aux États-Unis. Quelques jours plus tard, c’était au tour de trois officiers de police d’être interpellés pour des détournements de fonds avoisinant 2 milliards de F CFA. Trop peu et trop tard, jugent les Béninois.
Tous les candidats leur assurent l’arrivée d’un vent nouveau et des lendemains meilleurs. Mais, après le temps des promesses, viendra celui des réalités.

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