Bras de fer sénégalais

La multinationale indienne et une filiale du groupe sud-africain revendiquent les mêmes droits sur les mines de la Falémé. Retour sur un imbroglio juridico-économique.

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 4 minutes.

Deux géants mondiaux de l’industrie se disputent le fer de la Falémé, une région du sud-est du Sénégal. D’une part, le sud-africain Kumba Resources, filiale du groupe Anglo-American, arrivé dans le pays en juillet 2004. De l’autre, la multinationale indienne de droit néerlandais, Mittal Steel, qui s’est jetée dans la bataille en novembre 2005.
Le 15 février 2006, à la surprise générale, le dernier arrivé déclare avoir signé un contrat d’exploitation avec la Société des mines de fer du Sénégal oriental (Miferso), l’établissement public agissant au nom de l’État. Une annonce curieuse qui coïncide avec la publication, dans le quotidien Le Soleil, d’un communiqué dans lequel Kumba Resources se félicite de l’extraction des premières tonnes de minerai de fer après plusieurs mois de prospection. Deux jours plus tard, le directeur général de la Miferso adresse au même journal une « mise au point » dans laquelle il précise que le sud-africain n’a pas été choisi comme partenaire pour l’exploitation de la mine. Comment en est-on arrivé à ce cafouillage ? Pourquoi les deux groupes concurrents réclament-ils simultanément les mêmes droits sur le fer sénégalais ?
Tout a commencé le 7 juillet 2004, lorsque Kumba Resources et la Miferso signent un « accord préalable » régissant la recherche sur la mine. Trois mois plus tard, le sud-africain démarre les travaux préliminaires de géophysique. Il investit 20 millions de dollars dans la prospection, utilise son personnel qualifié, déploie des équipements et une technologie de pointe. Les résultats suivent : 6 tonnes de minerai sont extraites sur la partie sud du gisement en janvier 2005, puis 6 autres tonnes en février 2006. Kumba Resources est désormais convaincu que le site est rentable.
Mais deux événements inattendus se produisent entre les deux découvertes. En novembre 2005, Mittal Steel entre dans la danse, approche les autorités sénégalaises et fait une offre qui rencontre leur adhésion. Il promet d’injecter 980 milliards de F CFA au minimum dans l’exploitation du minerai, de construire 311 km de voies ferrées pour relier la mine à Tambacounda, de renforcer les 430 km de voies existantes entre cette dernière ville et Bargny, où il compte bâtir un port minéralier pour exporter le minerai. Le groupe s’engage, en outre, à créer 16 000 emplois, dont 4 000 directs, à construire des infrastructures de base (écoles, hôpitaux) dans le voisinage du site, à affecter 10 % d’actions gratuites et des royalties conséquentes à l’État Pourquoi Mittal s’est-il risqué à cette offre généreuse, sans même commettre une étude de faisabilité ? Sans doute parce que, à quelques jours de sa tentative d’OPA sur le géant européen de l’acier Arcelor, le groupe du milliardaire indien Lakshmi Mittal avait besoin d’ajouter une ligne à ses performances : détenir le fer sénégalais, un minerai de bonne qualité, situé à moins d’une semaine de bateau des principaux ports européens. Seulement voilà, Mittal n’a jamais développé d’aciérie ni géré une opération intégrée mine-chemin de fer-port. Les autorités se laissent toutefois convaincre, d’autant que Mittal s’engage à démarrer sans délai les études complémentaires et la construction des infrastructures avant 2007.
À la fin de novembre 2005, le ministre des Mines et de l’Énergie, Madické Niang, annonce aux responsables de Kumba Resources que « l’option du gouvernement, c’est de travailler avec Mittal ». Dans une lettre datée du 30 décembre 2005, la Miferso enfonce le clou et informe Kumba que le contrat du 7 juillet 2004 est résilié. Motif : l’entreprise sud-africaine n’aurait pas respecté les délais fixés entre l’exploration et la mise en exploitation. Ce que conteste Kumba Resources, qui juge l’initiative de rupture abusive et refuse l’offre qui lui est faite par l’État de rester dans le projet dans une position minoritaire. Sur le conseil de ses avocats, il maintient ses équipes et ses activités sur le site. Il estime techniquement impossible d’aller plus vite qu’il ne l’a fait. Et ajoute qu’il lui fallait effectuer les deux premières extractions avant de pouvoir déterminer les procédés industriels de production du minerai à compter de début 2007. Arguant des fonds et du temps qu’il a déjà investis dans le projet, Kumba maintient son offre de consacrer l’année prochaine quelque 700 milliards à l’exploitation, de relier par les rails la zone de la mine à Tambacounda et de réaliser un terminal minéralier à Bargny. Mais aussi de créer 2 500 emplois directs, 16 000 emplois indirects, ainsi que des infrastructures sanitaires, éducatives et socioculturelles. Devant l’inflexibilité de l’État, les deux parties pourraient s’acheminer vers un procès qui s’annonce long et coûteux. Mais aussi préjudiciable à tous les protagonistes, y compris Mittal, vu que l’exploitation de la mine a toutes les chances d’être suspendue jusqu’au dénouement judiciaire de l’affaire.
La guerre du fer sénégalais fait rage, avec des protagonistes aussi déterminés que puissants. Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle. Du fait de sa bonne qualité, le fer de la Falémé, dont les réserves sont estimées à 250 millions de tonnes, représente une véritable aubaine. Nul doute que « le roi de l’acier », Lakshmi Mittal, troisième homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 25 milliards de dollars, mettra tout son poids dans la balance pour l’emporter. Il s’est d’ailleurs empressé d’envoyer ses techniciens sur le site dès qu’il a signé le contrat avec les autorités sénégalaises. En face, Kumba Resources utilisera la puissance de frappe de son groupe, Anglo-American, fort de son chiffre d’affaires annuel de 40 milliards d’euros, de sa capitalisation boursière de 60 milliards d’euros, de ses 200 000 employés répartis dans plus de 65 pays et de ses filiales de choc comme le numéro un mondial du diamant De Beers et AngloGold. L’État du Sénégal, lui, joue gros, car il risque de voir son image écornée par un procès qui s’annonce âpre et long. À moins d’une entente à l’amiable.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires