Biyouna, l’enfant chérie de l’Algérie

À la fois comédienne, chanteuse, star du petit écran, cette artiste inclassable est adulée dans son pays. Pour son talent, mais aussi son franc-parler.

Publié le 7 mars 2006 Lecture : 6 minutes.

On la croirait tout droit sortie d’un film d’Almodóvar, mais c’est du réalisateur Nadir Moknèche qu’elle est l’égérie. Elle était la Mariam du Harem de Madame Osmane, puis la Papicha de Viva Laldjérie. Et elle jouera le premier rôle de son prochain film, Délice Paloma.
Mais elle est avant tout l’enfant chérie de l’Algérie. D’ailleurs, Biyouna ne dit pas « mon public », mais « mon peuple ». À un journaliste qui s’en étonne un jour et lui demande si elle se prend pour une princesse, elle répond : « Bien sûr que, chez moi, je suis une princesse ! » C’est cet humour et ce franc-parler qui l’ont rendue si populaire.
Star du grand et du petit écran en Algérie, connue pour sa forte personnalité, ses rôles décalés, sa voix rauque inimitable, cette femme à la cinquantaine pétillante arrive toujours à surprendre. L’année dernière, elle faisait un tabac dans la troisième saison de Nass Mlah City, la sitcom la plus populaire du pays. Cette année, elle montera sur les planches parisiennes pour jouer Electre aux côtés de Florence Giorgetti et de Jane Birkin.
Le cinéma, la télévision, le théâtre, mais aussi la musique, puisque Biyouna l’inclassable prépare actuellement son deuxième album. Entretien avec une femme de caractère et une artiste d’exception.

Jeune Afrique : Vous jouez le rôle principal dans le prochain film de Nadir Moknèche. Que pouvez-vous en dire pour le moment ?
Biyouna : Écoutez, il y a eu le film Le Parrain, mais il n’y avait pas encore eu de « marraine ». Eh bien, c’est fait ! [Rire.] C’est un rôle très difficile, mais qui me va très bien, même s’il n’a rien à voir avec ce que j’ai pu jouer par le passé. Il va vous surprendre.
Entre Nadir Moknèche et vous, c’est une belle histoire
Ce qui est drôle, c’est que j’ai découvert qu’il était un fan de toujours Dans les années 1970, je jouais le personnage de Fatma dans Dar Sbitar (« La Grande Maison »), le feuilleton de Moustapha Badii, d’après un roman de Mohamed Dib. Ce feuilleton a marqué des générations d’Algériens. Nadir m’a raconté que, enfant, quand il faisait des bêtises, sa maman menaçait de le priver de BiyounaUn jour, il m’a téléphoné. C’était en 1998. On sortait tout juste des années du terrorisme. On s’est parlé pendant un an au téléphone sans jamais se voir. Il se préparait à tourner Le Harem de Madame Osmane avec Carmen Maura et me proposait un rôle. Je n’étais jamais sortie de mon pays avant 1999, c’est lui qui m’a ouvert de nouvelles perpectives.
Vous étiez très jeune dans Dar Sbitar. Le personnage que vous avez incarné a marqué les mémoires et vous a rendu tout de suite célèbre.
Je n’avais même pas 17 ans. J’étais danseuse depuis l’âge de 14 ans. Ma grande sur Faïza el-Jazairia était une chanteuse très connue. À l’époque, je la suivais partout. C’est comme ça qu’un jour je me suis retrouvée sur un plateau, en plein casting pour le rôle de Fatma. Je voyais le réalisateur s’arracher les cheveux parce qu’il ne trouvait pas ce qu’il voulait. J’ai lancé à Hamid Hannachi, qui était alors régisseur : « Elles sont nulles ! C’est facile, pourtant ! » Le réalisateur s’est tourné vers moi, furieux, et m’a dit « Eh ! toi, la grande gueule, montre-nous ce que tu sais faire ! » Comme je n’avais pas froid aux yeux, j’y suis allée. Il a aimé, mais je me suis dégonflée. J’étais danseuse, pas actrice. Il a fini par me convaincre et j’ai joué le rôle.
Pour ce tout premier rôle, vous jouiez une « bêcheuse » dont tous les Algériens se souviennent. Depuis, on vous attribue toujours des personnages à fort caractère. Ce n’est pas un hasard
C’est vrai que je ne mâche pas mes mots. Je suis une femme qui dit tout ce qu’elle pense. C’est pour ça, je crois, qu’on m’aime. Mais cela ne m’a pas toujours servie. À un moment, j’étais sous « embargo » dans la profession. Un jour, un ancien responsable de la télévision algérienne m’a dit : « Biyouna, si tu savais te taire, tu aurais tout ce que tu veux. » Désolée, la bouche est faite pour dire ce qu’on a sur le cur. C’est ce que je pense, et le temps m’a donné raison.
Vous n’êtes pas seulement une « grande gueule », comme vous dites. Vous avez montré que vous étiez courageuse, vous avez fait de la résistance pendant les années noires
Et comment ! Je jouais un one woman show dans lequel je descendais les barbus. J’ai rempli des stades entiers. Je me disais : « Après tout, ils ne sont que des hommes, à défaut d’être humains. » Vous savez, quand ils voient qu’on est prêt à se battre, c’est eux qui ont peur. Quand il y avait le couvre-feu à 22 heures, c’est là que je choisissais de sortir, et je ne rentrais qu’au petit matin ! Par contre, j’ai moins ri quand ils sont venus chez moi pour m’intimider. Ils me reprochaient d’amuser le peuple alors qu’eux voulaient le terroriser. Ça m’a donné envie d’en faire encore plus. Je suis allée à Médéa, dans les endroits les plus « chauds » à l’époque. Par la suite, beaucoup d’artistes m’ont suivie, ils se sont montrés très courageux. Les « autres » voulaient tuer la culture. Finalement, c’est la culture qui les a tués.
Vous n’aviez jamais quitté l’Algérie avant 1999 ?
Quand Nadir Moknèche m’a appelée, ça commençait à se calmer. Je n’avais pas voulu partir avant. Les Algériens m’avaient toujours soutenue pendant toute ma carrière. Je devais être avec eux dans les bons et les mauvais moments. Mais cela est de l’histoire ancienne. Tout va beaucoup mieux aujourd’hui, grâce à Dieu, même pour les artistes. Notre cinéma était dans le coma, aujourd’hui il est en convalescence. C’est grâce à des gens comme Nadir d’ailleurs. Il a été le premier à venir tourner chez nous. Il a travaillé au centre d’Alger dans les quartiers chauds. Ce fut une vraie bouffée d’oxygène pour les Algérois. D’autres l’ont suivi. Actuellement, il y a plusieurs cinéastes qui viennent tourner en Algérie, dont Costa Gavras, à qui je souhaite la bienvenue !
Il y a quatre ans, vous avez sorti un premier album, Raid Zone. Vous en préparez un deuxième. Comment êtes-vous arrivée à la musique ?
Dans Le Harem de Madame Osmane, on m’a demandé de chanter. Sur le tournage du film, il y avait la femme d’un producteur qui a tout de suite appelé son mari pour qu’il vienne m’écouter. On a sorti Raid Zone. L’année d’après, sur le tournage de Viva Laldjérie, rebelote ! On me demande de chanter de nouveau. Olivier Gluzman m’a entendue. Cela lui a plu. Il est venu me voir en Algérie pour me proposer un album. Par la suite, il m’a proposé de jouer Electre au théâtre et, encore une fois, je serai amenée à chanter.
Dans le premier album, vous chantez en français et en arabe, vous reprenez des classiques du chaâbi algérois. Quelle sera l’ambiance de ce deuxième album ?
Tout à fait autre chose. Plus acoustique, plus cuivré, moins électro que le précédent. J’y reprends encore quelques titres de chaâbi. Et puis il y aura des invités comme le chanteur Christophe, Djamel Laroussi, et plein d’autres surprises
Dans le premier album, vous aviez dédié un morceau aux femmes. Vous n’avez pas vraiment le profil d’une féministe
Pas du tout. Par contre, je crois que je suis la descendante d’une guerrière. [Rire.] C’est de liberté dont il est question plus que des femmes. Je n’aime pas la hougra, l’injustice. Je n’aime pas l’idée qu’un mari puisse répudier sa femme, la chasser avec ses enfants La femme devrait avoir les mêmes droits sur ses enfants que son mari, ce qui n’est pas le cas pour l’instant. Mais on y travaille. Le 8 mars de l’année dernière, notre président a dit qu’il se pencherait sur notre cas. J’ai confiance en lui, je pense qu’avec lui on y arrivera. Mais, vous savez, il marche sur des ufs, parce qu’il y a les « autres », qui ne sont pas d’accord. Alors, petit à petit, il est en train de redonner leurs droits aux femmes. On est sur la bonne voie. Et puis, contrairement à ce qu’on croit, je peux vous assurer que, chez nous, ce sont souvent les femmes qui portent la culotte ! Surtout chez les jeunes générations. Elles sont courageuses, elles ne se laissent pas marcher sur les pieds. D’ailleurs, je ne les appelle pas les « biyounnettes » mais les « bayonnettes » !

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