Triste scène tunisienne

Malgré un passé brillant et des noms prestigieux, le théâtre national sombre dans la crise. Comment le sauver ?

Publié le 6 février 2006 Lecture : 3 minutes.

La dernière édition des Journées théâtrales de Carthage, qui s’est déroulée du 24 novembre au 3 décembre 2005, a mis en exergue la crise que traverse la scène tunisienne : peu de créations, relève incertaine, absence du public.
Pourtant, la Tunisie fut le phare du théâtre arabe et son grand foyer d’idées durant la seconde moitié du siècle dernier. L’ébullition du théâtre scolaire dès l’indépendance, les expériences dans les régions, les grandes figures dramaturgiques telles que Ali Ben Ayad, Moncef Souissi ou Ezzeddine Madani, les créations d’avant-garde du Théâtre de la Terre ou du Nouveau Théâtre, l’enthousiasme, enfin, d’un public qui n’hésitait pas à courir les salles jusque dans les bourgades les plus reculées du pays, tout témoignait d’une créativité unique sur la scène arabe. Aujourd’hui, « le paysage du théâtre tunisien erre, désorienté, ne sachant quoi dire et quoi proposer, écrit le critique Mohamed Moumen, à part les one-man shows, les spectacles de comédie faciles et les pièces où la réflexion ne semble pas l’emporter » (La Presse du 2 décembre 2005).
Les aventures isolées ont succédé à l’enthousiasme collectif. Fadhel Jaïbi fait cavalier seul, Moncef Souissi tente de refaire surface, Ezzeddine Gannoun s’oriente vers la formation, Fadhel Jaziri vers le cinéma, tandis que Taoufik Jebali sauve les meubles grâce à la dernière scène qui réussit encore à titiller la censure.
Fini le temps où l’art dramatique était la vocation d’une vie. Les jeunes diplômés de l’Institut supérieur d’art dramatique (Isad) n’hésitent pas à partager les planches avec le petit écran, voire avec la gestion de sociétés commerciales. Le public n’est plus au rendez-vous, « débauché » qu’il est par la télévision.
Cette crise ne s’explique pas par un manque de moyens financiers, car l’État tunisien achète et subventionne les spectacles depuis 1962. Elle est liée, selon le critique Abdelhalim Messaoudi, à la conception même de la mission du théâtre dans la Tunisie actuelle : « L’ancienne génération avait une relation particulière avec la société : il y avait un vrai projet pour changer les mentalités. Cette génération tient toujours le théâtre, mais elle s’est éloignée des problèmes sociaux, renonçant à réfléchir sur des concepts fondamentaux comme la liberté ou la citoyenneté. »
Autre problème, l’absence flagrante de textes dramatiques. Des auteurs aussi prolifiques dans les années 1960 que Ezzeddine Madani et Samir Ayadi n’ont pas fait d’émules. L’autorité étatique soutient les troupes, mais ne fait pas la promotion de l’écriture dramaturgique, ni ne tente de susciter de nouveaux talents. Très peu d’études sont publiées, la dernière en date, Les Obstacles du théâtre tunisien, d’Ahmed Hadheq El-Ourf, remontant au début des années 1990. La revue Fadhaiyyat masrahiyya a disparu à la même période. Les recherches universitaires sont rares, et la critique n’a pas le cur à l’ouvrage : Mohamed Moumen, Hamed Lahmaïdi et El-Ourf ne daignent plus exercer une profession mal comprise, voire dénigrée.
L’absence d’espaces est une autre plaie du théâtre tunisien. En dehors des scènes privées (El-Hamra, El-Teatro, l’Étoile du Nord, le 4e Art) et du Théâtre municipal, il n’y a que des « abris » pour des « artistes vagabonds » à la recherche de lieux pour répéter. Ni Jaïbi ni Jaziri n’ont disposé de salles à eux. Gannoun a dû retaper lui-même El-Hamra alors que Jebali a bénéficié de l’aide des Koweïtiens pour trouver refuge dans une salle de l’hôtel El-Mechtel. Quant à Moncef Saïm et Raja Ben Ammar, c’est seulement grâce à une intervention présidentielle qu’ils ont réussi à conserver El-Madar à Carthage, convoité par les promoteurs immobiliers.
Enfin, les JTT, qui auraient pu être l’occasion de mettre sur le tapis ces difficultés et de relancer la profession, souffrent d’une mauvaise organisation et d’un manque de médiatisation internationale.
La mission urge donc : elle consiste à redonner à la scène tunisienne des moyens structurels, des espaces scéniques, et à susciter une vraie réflexion sur la relation du public au théâtre grâce à une réelle stratégie de communication. Faute de quoi la fin du théâtre tunisien est programmée et signifiera l’effondrement d’un pan entier de la culture nationale.

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