Tous contre Kabila

Autant que les programmes de gouvernement, la question de la véritable nationalité du chef de l’Etat sortant nourrit la campagne présidentielle d’avril.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 6 minutes.

C’est avec deux bonnes heures de retard sur l’horaire prévu que Jean-Pierre Bemba Gombo, 44 ans, fait son entrée dans la salle surchauffée du Jardin botanique de Kinshasa. Une entrée à l’américaine pour le président national du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), venu clôturer, dimanche 29 janvier, les travaux du tout premier congrès de son parti, émanation d’une rébellion armée soutenue par les Ougandais. Accueilli aux cris de « Bemba, 100 % congolais » (en français), et de « Bemba est congolais, c’est un vrai Congolais » (en lingala), il serre des mains, lève le poing en signe de victoire, remonte lentement la foule des 700 cadres nationaux de sa formation, venus de toutes les provinces de la RDC.
Des écrans ont été installés, à l’intérieur et en dehors de la salle pour une foule de plusieurs milliers de personnes, simples militants restés à l’extérieur, dans le jardin. Alors qu’il monte à la tribune, la caméra s’attarde longuement sur sa femme, Liliane, et son père, Jeannot, l’ancien patron des patrons congolais. Bemba, dont la candidature à la présidentielle prévue pour le mois d’avril a été entérinée à l’unanimité par le congrès, promet de s’investir, « avec l’aide de Dieu et de tous les nationalistes congolais, dans une grande entreprise de transformation politique, économique et sociale de [son] pays ».
Malgré les défections d’Olivier Kamitatu, le président de l’Assemblée nationale, un des fondateurs du MLC, et d’Alexis Thambwé, le ministre du Plan, Bemba a donc choisi de passer à l’offensive et de jeter toutes ses forces dans la bataille contre le président sortant, Joseph Kabila. Arrivé accidentellement à la tête de la RDC, le 16 janvier 2001, après l’assassinat de son père Laurent-Désiré Kabila, Kabila junior a réussi ses débuts en politique : il s’est imposé, a ramené la paix, a mené la transition presque à son terme. Sa modestie, son humilité – son élégance aussi -, lui ont valu le respect de ses compatriotes. Mais le jeune chef de l’État manque de charisme. Timide, mal assuré, il intervient très rarement en public. Et, secret, il protège jalousement sa vie privée, tandis que sa biographie souffre de nombreuses zones d’ombres. Ses adversaires en profitent pour affirmer, jusqu’à présent sans la moindre preuve, qu’il n’est pas le fils de son père et qu’il a des origines tutsies. Bref, que sa nationalité est « douteuse ».
Sous-jacente depuis l’accession au pouvoir de Joseph Kabila, la question de la « congolité » de l’actuel chef de l’État remonte à la surface à la faveur de la campagne électorale. Le thème est porteur, dans un pays traumatisé par la défaite contre le Rwanda, l’occupation militaire et le pillage de l’est du pays, et où tout ce qui est assimilé à un Tutsi déclenche aujourd’hui une violente réaction de rejet. Bemba résistera-t-il à la tentation de l’enfourcher ? Interrogé à ce sujet par J.A.I., le chef de file du MLC a feint de botter en touche : « J’ai un projet de société pour le Congo, un projet d’inspiration libérale. Je veux que nous redevenions un grand pays, respecté dans la sous-région et en Afrique, alors qu’aujourd’hui nous sommes piétinés et, en partie, le jouet des influences extérieures. Je n’ai pas l’intention de placer ma campagne sur le terrain du dénigrement. Mais je n’ai pas honte de dire que je suis congolais, que j’ai des diplômes, que je suis marié ! »
Ses lieutenants, eux, sont moins diplomates. Estimant avoir ménagé Kabila pendant toute la durée de la transition, ils pensent être fondés à lui demander des comptes maintenant que sa candidature ne fait plus de doute. « Le problème n’est pas qu’il soit de mère rwandaise, qu’il soit un enfant adopté, qu’il ne maîtrise bien aucune des quatre langues vernaculaires du pays, ou qu’il ne soit pas originaire du Sud-Kivu, va jusqu’à sous-entendre un collaborateur de Bemba qui a tenu à garder l’anonymat. Le problème, c’est le mensonge. » Selon eux, Joseph Kabila aurait sciemment trompé le peuple congolais en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas. Il serait en réalité un étranger, et son accession au pouvoir serait le résultat d’une conspiration avalisée, plus ou moins consciemment, par la communauté internationale. « S’il veut dissiper nos doutes légitimes, il devra faire la lumière, répondre aux accusations. Personne n’a interdit à Kabila d’être candidat. Mais nous avons le droit d’attirer l’attention de l’opinion sur le fait qu’il n’est peut-être pas celui qu’il prétend être. Et vous conviendrez qu’il serait tout de même grave du point de vue de la démocratie si un non-Congolais venait à être élu président de la RDC »
Jean-Pierre Bemba, qui n’est pas assuré de figurer au second tour, a multiplié les appels du pied en direction du camp « nationaliste » et défendu l’idée d’un rassemblement de tous les patriotes, pour faire échec aux ambitions présidentielles de la mouvance kabiliste. « C’est de bonne guerre, commente un observateur. Il ménage ses arrières, et se satisferait volontiers de la primature dans le cadre d’une alliance négociée avec d’autres forces politiques, comme la puissante Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de l’irréductible opposant, Étienne Tshisekedi. Il a aussi lorgné du côté de Pierre Paye Paye, le président de la Coalition des démocrates congolais (Codeco), un ancien gouverneur de la Banque centrale zaïroise, qu’on dit richissime, et qui jouirait d’un important réservoir de voix dans sa province natale du Kivu. » Tous deux ont montré qu’ils étaient sensibles à la rhétorique de la congolité, et sont d’accord sur l’idée « qu’il faut bien connaître les origines de chacun des candidats à la magistrature suprême ». Mais tous deux sont pour l’instant restés sourds aux appels de Bemba, et n’envisagent pas d’alliance à ce stade.
Ces manuvres sont suivies avec attention du côté du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, de Joseph Kabila), qui achève les préparatifs pour son congrès (4-6 février). Quelque 2 500 délégués y sont attendus ainsi qu’une trentaine d’invités étrangers, dont l’ancien Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse. Vital Kamere, le secrétaire général du PPRD, dit ne pas être troublé par les attaques, dérisoires et démagogiques, orchestrées par certains leaders du MLC. « Venant d’un parti dirigé par un métis [NDLR : Jean-Pierre Bemba, dont le père est métis, possède un passeport portugais], l’argument est assez étonnant. Mais enfin On veut nous attirer sur le terrain de la polémique. On a d’abord essayé de discréditer Kabila, en l’accusant de déficit d’intelligence et de diplômes, cela n’a pas marché. Maintenant, on échafaude cette fable selon laquelle il serait rwandais. Nous n’avons pas à nous justifier. C’est à eux d’apporter la preuve de ce qu’ils avancent. Nous n’allons quand même pas faire pratiquer un test ADN sur le président pour faire taire les rumeurs. »
Dans les chancelleries occidentales, très impliquées dans la transition – l’aide internationale représente plus de la moitié du budget de l’État congolais -, on observe avec circonspection l’irruption de la thématique identitaire dans la campagne. « Aujourd’hui, on peut tout dire en RDC, et c’est pour cette raison que certains candidats lancent des ballons d’essai, explique un diplomate européen. Ils testent la réaction du camp présidentiel. Mon sentiment est que cela ne durera pas, car Kabila ne l’acceptera pas longtemps. Le pouvoir est partagé, mais il reste le chef, et a les moyens de se faire respecter. Ceux qui prendront le risque de s’entêter pourraient s’exposer à des représailles »

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