Solutions africaines

De la mobilisation des volontés à la privatisation, la gestion de l’eau en Afrique présente un visage multiforme.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 13 minutes.

Chaque nation a son histoire, sa puissance économique et ses problèmes d’approvisionnement en eau. Les trois composantes sont plus liées qu’il n’y paraît. Tel pays en est encore à mobiliser de nouvelles ressources hydriques en construisant des barrages quand, dans un autre, moins sujet à la sécheresse, la population s’inquiète de la qualité de l’eau du robinet. Celui-ci lance un ambitieux programme de lutte contre la pollution quand celui-là trace, seulement aujourd’hui, les contours de ce qui sera une politique nationale de gestion de l’eau. Ici, on privatise, ailleurs, on renationalise. Il n’en demeure pas moins qu’une volonté générale émerge concrètement. L’eau et l’environnement ne sont plus des mentions ajoutées à un portefeuille ministériel parce qu’elles donnaient un certain cachet. Comme le montrent les reportages que voici, un nombre croissant de pays africains affrontent les problèmes sérieusement et tentent de leur trouver des solutions. Même si l’argent fait encore trop souvent défaut.

Algérie
Le temps des grands travaux
« Plus de coupure d’eau en 2008 », ont promis les autorités algériennes. À peine 10 % de la population (32 millions d’habitants) bénéficie de l’eau du robinet en permanence et 60 % n’en disposent qu’entre deux et seize heures par jour. En 2002, la sécheresse persistante avait entraîné des coupures fréquentes d’approvisionnement et déclenché de véritables émeutes, y compris à Alger. Deux catégories de problèmes ont alors été révélées : la faiblesse de la ressource et, lorsque cette dernière existe, l’insuffisance et la vétusté des infrastructures. En lançant, en mai 2005, les travaux du complexe de prise d’eau d’El Harrach, qui alimente 40 % de la capitale en eau potable, l’Algérienne des eaux (ADE) reconnaissait que la plupart de ses installations étaient vieilles de plus de cinquante ans. El Harrach produit plus du tiers des besoins des Algérois en eau potable, estimés à 600 000 m3/jour. La distribution et l’assainissement de l’eau potable de la capitale sont désormais confiés au groupe français Suez dans le cadre d’un contrat de gestion déléguée signé en novembre dernier, d’une durée initiale de cinq ans. Il vise, notamment, à assurer la fourniture d’eau au robinet 24 heures sur 24 d’ici à la mi-2009. Outre la mise à niveau du réseau dans l’ensemble du pays, de multiples travaux sont engagés pour augmenter la disponibilité de la ressource. Onze barrages ont été construits ou sont en voie d’achèvement, qui s’ajoutent aux cinquante déjà en exploitation. Un ambitieux programme prévoit la construction de cinquante ouvrages supplémentaires d’ici à 2020. Auparavant, les dix stations de dessalement d’eau de mer du plan quinquennal 2005-2009 seront entrées en service. Au total, elles auront une capacité de production de 1 million de m3 par jour, comprenant les 200 000 m3 quotidiens de l’usine d’Hamma, près d’Alger. D’un coût de 200 millions de dollars, comprenant les ouvrages de raccordement à la capitale, elle sera la plus grande usine de dessalement par osmose inverse en Afrique. Premier coup de pioche prévu l’année prochaine.

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Tunisie
A l’heure du service universel
À la fin 2006, la totalité des Tunisiens des villes et plus de 90 % de ceux qui sont situés dans les zones rurales auront accès à l’eau potable. Le pays aura alors atteint ce que la Banque mondiale qualifie d’« accès universel », au terme d’efforts qui, ces dernières années, ont plus particulièrement porté sur les campagnes, où le taux de desserte n’était encore que de 37 % en 1987. Le pays compte un total de 21 grands barrages, 203 petits barrages et 660 retenues d’eau, sans oublier quatre usines de dessalement d’eau de mer, dont la première a été mise en service en 1984 sur l’île de Kerkennah, au large de Sfax. L’ensemble de ces travaux, menés en même temps que le développement d’installations de traitement et de transport, a permis de quadrupler la production depuis 1968. En 2003, elle atteignait 394 millions de m3. Pour faire face aux conséquences de l’urbanisation, la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (Sonede) de Tunisie a obtenu, en novembre 2005, son neuvième prêt de la Banque mondiale depuis sa création. D’un montant de 38 millions de dollars, il vise à améliorer les dessertes de plusieurs grandes villes, dont l’agglomération du Grand Tunis.

Cameroun
Vers la fin du système D
Les autorités camerounaises ont dévoilé, le 2 janvier dernier, les contours du processus de privatisation de la Société nationale des eaux du Cameroun (Snec), jusqu’alors en charge de l’exploitation et de la distribution d’eau potable dans le pays. La forme de contrat visé est celle de l’affermage, où l’exploitation commerciale est confiée à une entreprise privée, qui s’appuie sur les infrastructures mises à sa disposition par une société de patrimoine, qui demeure propriété de l’État. Cette dernière a déjà un nom, Cameroon Water Utilities Corporation (Camwater) ; elle hérite des actifs mobiliers et immobiliers de la défunte Snec. Quant à son partenaire privé, il devrait être désigné au terme de la procédure d’appel d’offres, dont le lancement est prévu avant la fin du mois de juillet. Mais on sait déjà que son capital sera détenu à hauteur de 51 % par un professionnel du secteur et de 24 %, au minimum, par des investisseurs privés camerounais. « Elle sera chargée de toutes les activités liées au traitement de l’eau et aux fonctions commerciales en milieu urbain et périurbain », explique Basile Atangana Kouna, administrateur de la Snec dont le mandat a été prolongé de six mois pour assurer la transition. En complément, le nouveau dispositif prévoit que la collecte, le transport et l’épuration des eaux usées seront confiés à des sociétés d’économie mixte ou à des entreprises de délégation publique. Il leur reviendra de recouvrir une taxe d’assainissement qu’elles devront verser sur un compte spécifique.
Cette privatisation inéluctable de la Snec – elle répond aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) pour enclencher l’initiative des pays pauvres très endettés (PPTE), synonyme de réduction de la dette du pays – n’a pas soulevé de protestation des populations. Celles-ci espèrent que, désormais, leurs problèmes d’approvisionnement d’eau n’auront plus cours. Les habitants se plaignent en effet de relevés de compteurs arbitraires, de factures forfaitaires et de nombreuses coupures du service. De plus, la procédure d’abonnement demeure fastidieuse. Malgré des frais élevés, entre 100 000 et 160 000 F CFA, il faut parfois attendre jusqu’à deux mois avant d’être branché.
Bon nombre de Camerounais optent donc pour un « branchement indirect » et s’adressent à un voisin qui dispose, lui, d’un abonnement. Reste à connaître l’impact de ce « système D » sur le chiffre d’affaires de la Snec, qui a atteint 30 milliards de F CFA en 2005, pour des livraisons supérieures à 75 millions de m3.

Mali
Retour à la case départ
Cinq ans après la mise en concession de la société Énergie du Mali (EDM), en charge de la production et de la distribution d’eau et d’électricité dans le pays, l’un des deux partenaires stratégiques, le groupe français Saur international, a jeté l’éponge en octobre 2005. Il a rétrocédé ses actions à l’État, qui se retrouve actionnaire majoritaire, avec 66 % de celles-ci, le reste étant détenu par Industrial Promotion Services (IPS), filiale pour l’Afrique de l’Ouest du groupe Aga Khan. Au moment de la privatisation, IPS et Saur étaient devenus majoritaires, avec 60 % du capital. Mais depuis, et plus particulièrement après l’accession au pouvoir du président Amadou Toumani Touré, en juin 2002, la partie de bras de fer a été permanente avec la nouvelle société, EDM SA. En cause, le prix qu’elle exigeait, tant pour la fourniture électrique que pour la mise à disposition de l’eau potable. Trop élevés pour l’homme de la rue, comme pour les autorités, qui se plaignaient en outre de leur effet handicapant sur le développement de l’activité économique, ces tarifs étaient jugés nécessaires par l’actionnaire de référence, au nom des investissements auxquels il s’était engagé. Les négociations ont duré de nombreux mois et elles ont nécessité l’intervention de la Banque mondiale pour envisager une requalification de la concession, contrat dans lequel le concessionnaire finance les investissements, en un affermage, où ils restent à la charge de l’État. Finalement, aucun accord n’a été trouvé. Depuis le 17 octobre, EDM est placée sous la responsabilité de Sékou Alpha Djiteye, nommé directeur général, qui connaît bien l’entreprise pour en avoir dirigé le secteur de l’eau. Un accord de partenariat a été signé entre l’État et le groupe Aga Khan pour la gestion de la compagnie.

Afrique de l’Ouest
Mise en valeur du fleuve Gambie
Banjul attend de l’installation d’un barrage en amont de l’embouchure du fleuve Gambie qu’elle permette l’écrêtement des crues, la désalinisation et l’irrigation de plus de 90 000 ha de terres agricoles. Mais c’est surtout en matière de production d’électricité pour la Gambie et ses voisins, le Sénégal, la Guinée et la Guinée-Bissau, que l’ouvrage trouverait toute son utilité. Les quatre pays ont réuni leurs aspirations dans l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG) qui prévoit la mise en service, d’ici à la fin de la décennie, de deux centrales hydroélectriques : au barrage de Kaléta sur le fleuve Konkouré, en Guinée – pays surnommé « le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest » -, et à Sambangalou, sur le fleuve Gambie. Grâce à un réseau d’interconnexion électrique de 1 800 km, qui demeure lui aussi à construire, les pays membres bénéficieraient d’une puissance électrique supplémentaire de 1,3 million de gigawattheures Reste à trouver les 650 millions d’euros nécessaires à la réalisation de cet ambitieux projet, montant avancé par le secrétaire exécutif de l’OMVG, Justino Vieira, qui présentait un rapport d’étape le 18 janvier dernier. Dans l’immédiat, le cabinet international qui a évalué le coût total de l’opération est désormais en charge de détailler les avant-projets et d’élaborer les dossiers d’appel d’offres leur correspondant. Il devrait présenter son rapport final au premier trimestre 2007.

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Maroc
Lutter contre la pollution
Les agences marocaines de bassins hydrauliques vont bientôt célébrer leur dixième anniversaire. Leur création a été initiée en 1995 par un décret royal, mais ce n’est qu’en décembre 1996 que la première d’entre elles, celle de l’Oum Er Rbia, à Beni Mellal, dans le Moyen-Atlas, a réellement vu le jour. Le pays compte sept de ces agences, chargées de la gestion des eaux sur le territoire dont elles ont la responsabilité. Leur mission principale est d’aider financièrement et techniquement les opérations d’intérêt général au service de l’eau et de l’environnement. Cette répartition des responsabilités au Maroc est intervenue après deux décennies marquées par la construction de barrages pour mobiliser la ressource. Elles se sont achevées par une succession d’années de sécheresse qui ont mis en relief la nécessité d’harmoniser les différentes utilisations de l’eau. Le dispositif régional étant désormais opérationnel, l’année 2006 sera celle du lancement d’un ambitieux plan national de lutte contre la pollution des eaux, dont le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de l’Eau souhaite qu’elle soit réduite de 60 % d’ici à 2010 et de 80 % à l’horizon 2015. Le coût global de ce programme s’élève à 43 milliards de dirhams (4 milliards d’euros), dont le tiers sera financé par l’État. À charge pour les agences de bassin de trouver le complément. C’est dans ce cadre que la Régie autonome des eaux et de l’électricité de Marrakech (Radeema), par exemple, bénéficie d’un financement de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour sa future usine de retraitement des eaux usées, fournie par le groupe français Degrémont, filiale de Suez Environnement. D’un coût total de 20 millions d’euros, cette installation entrera en service dans un an, pour retraiter 190 000 m3 d’eaux usées par jour, pour le moment déversées dans l’oued Tensift, qui descend des montagnes de l’Atlas. Présenté officiellement lors du conseil d’administration de l’Agence du bassin hydraulique du Bouregreg et de la Chaouia, début janvier à Settat, au nord de Rabat, le Plan marocain de l’eau prévoit la tenue, cette année, d’un important forum national destiné à mobiliser les partenaires institutionnels, les établissements publics, les collectivités locales et les représentants de la société civile autour d’une vision commune.

Mauritanie
Gérer la pénurie
Il pleut en moyenne six jours par an à Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Elle avait été installée à cet endroit en raison de la proximité du lac souterrain de Trarza. À l’époque, il y a quarante-trois ans, cette réserve en eau douce suffisait amplement pour les 15 000 habitants de la ville. Ils sont aujourd’hui 600 000. Le réservoir tarit continuellement et ne permet plus de faire face aux besoins. Deux installations sont à l’étude pour l’alimentation en eau potable de Nouakchott. Il est d’une part question de construire une usine de dessalement sur les rives de l’océan Atlantique. Mais c’est vers le programme Aftout Es-Saheli que se tournent aujourd’hui les Mauritaniens. Ce projet, le plus grand jamais entrepris dans le pays, nécessite l’installation d’une canalisation et de stations de pompage pour ramener l’eau douce à partir du fleuve Sénégal, situé à 200 kilomètres au sud. La Mauritanie a bouclé le financement et obtenu 220 millions de dollars de prêts et de dons de la part de multiples bailleurs : Fonds africain de développement (FAD), Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades), Fonds koweïtien du développement économique arabe, Banque islamique de développement et Fonds saoudien pour le développement.

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Gabon
Quand le public s’en prend au privé
Apaiser les esprits. La Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG), chargée de la distribution de l’eau et de l’électricité dans le pays, se veut rassurante. Les problèmes d’approvisionnement en eau qu’a connus la capitale gabonaise « ne sont plus d’actualité », assure son président, François Ombanda. En mars 2004, la SEEG – privatisée en juin 1997 et dont le capital est détenu à 51 % par le groupe français Veolia Eau, numéro un mondial du traitement de l’eau – avait dû faire face à une fronde des consommateurs. Inquiets de la qualité de l’eau qui leur était distribuée, ils étaient descendus dans la rue pour demander à l’opérateur de publier des analyses du précieux liquide qui transitait dans ses conduites. Animées par l’organisation non gouvernementale Croissance Saine Environnement, les protestations s’étaient poursuivies en janvier et février 2005, à l’occasion de coupures d’eau à répétition dans plusieurs quartiers de Libreville. Principal grief du président de Croissance Saine Environnement, Nicaise Moulombi, à l’époque : la SEEG et Veolia se seraient contentés de dégager des marges bénéficiaires astronomiques sans les réinvestir pour améliorer le service offert à la population
Imputant les difficultés rencontrées à une baisse de la pluviosité et à des opérations de maintenance indispensables, la SEEG ajoute que ses infrastructures sont sollicitées chaque jour davantage : « Le nombre de clients à Libreville a augmenté de plus de 55 % en neuf ans et la quantité d’eau consommée de plus de 60 % », explique François Ombanda. Qui prend ses responsabilités et affirme avoir pris « des mesures en vue d’éviter ces situations à l’avenir ». Plusieurs initiatives ont été ou vont donc être lancées cette année, et venir compléter les 160 milliards de F CFA d’investissement réalisés depuis huit ans par l’entreprise dans le pays, dans les domaines de l’eau et de l’électricité. Un château d’eau construit au nord de la capitale, à Angodjé, une zone d’expansion importante, devrait ainsi entrer en service en mars prochain. Des travaux ont été entrepris pour améliorer les conditions de desserte de certains quartiers hauts de la capitale. Ils devraient être terminés en avril. Des recherches vont également commencer d’ici au mois de septembre pour tenter de diversifier l’approvisionnement de la ressource en eau. Enfin, Veolia et le ministère gabonais de la Santé ont signé un accord de partenariat en mai 2005, un texte dans lequel le groupe français s’engage à aider cette administration à renforcer ses capacités de contrôle de la qualité de l’eau. Pour Croissance Saine Environnement, ces réalisations sont « une première avancée », reconnaît Nicaise Moulombi. Qui ajoute cependant que « tout reste à faire et passe par une plus grande implication du gouvernement pour sécuriser le consommateur ».

Burkina
Soutien de l’Europe du Nord
Le Burkina Faso a été le premier à définir, dès 2003, son Plan d’action pour la gestion intégrée des ressources en eau (Pagire), ou Integrated Water Resources Management (IWRM). La mise en place de telles stratégies nationales à la date butoir du 31 décembre 2005 fait partie des résolutions adoptées par la communauté internationale à l’issue du sommet de la Terre, organisé en 2002 à Johannesburg sous l’égide des Nations unies. Il s’agit de définir un programme sectoriel de l’eau et de l’assainissement dans chaque pays mettant en balance l’ensemble des besoins (population, industrie, agriculture) face aux ressources disponibles ou à trouver. Le Pagire du Burkina couvre la période 2003-2015, dont une première phase de cinq ans, d’un coût estimé à 13,5 milliards de F CFA (20 millions d’euros). Le pays, qui prend en charge 27 % de ce montant, a le soutien du Danemark (2,15 millions d’euros) et de la Suède (2,05 millions d’euros).

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