Ramzan le Terrible

Violent et corrompu, le Premier ministre par intérim terrorise la petite République caucasienne. Avec la bénédiction de Poutine.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Bienvenue à Grozny, capitale de la Tchétchénie ravagée par la guerre. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : le jeune gaillard au doux visage qui souhaite une bonne année à ses concitoyens sur des affiches géantes est, depuis le mois de décembre 2005, leur Premier ministre par intérim. Ramzan Kadyrov, 29 ans, doit cette promotion à « l’accident de voiture » de Sergueï Abramov, le titulaire du poste. Une loi des séries, décidément, puisque Ramzan était devenu vice-Premier ministre au lendemain de l’attentat qui avait coûté la vie à son père, le président Akhmad Kadyrov, en mai 2004. Et son ascension pourrait ne pas s’arrêter là : lorsqu’il fêtera ses 30 ans, le 5 octobre, la Constitution tchétchène ne s’opposera plus à ce qu’il devienne président avec, bien sûr, la bénédiction de Vladimir Poutine.
Mais dans la Tchétchénie gangrenée par la corruption et les violations des droits de l’homme, ces péripéties ne changent rien ou presque. La parodie de vie publique imposée par Moscou ne fait pas davantage illusion que le jovial sourire et le candide regard gris-bleu de l’étoile montante de Grozny. S’il n’est pas encore président en titre, Kadyrov est depuis longtemps déjà le cruel roitelet de cette pétaudière. Outre la peur, les sentiments qu’il inspire à ses compatriotes le disputent au mépris et à la honte : pour eux, il restera à jamais le fils du « traître » Akhmad, naguère grand mufti de Tchétchénie et combattant antirusse qui retourna sa veste en 1999 pour sombrer dans la collaboration.
Après la défaite russe de la première guerre (1994-1996), l’enlisement du second conflit, déclenché en 1999, et la disparition de Kadyrov père, le président Poutine n’a rien trouvé de mieux pour appuyer sa stratégie de « tchétchénisation » que de livrer la région à la brutalité de son tyranneau de fils.
Ramzan le Terrible est ainsi à la tête d’une horde de quelque sept mille sbires, les kadyrovski, à qui la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Amnesty international ou l’ONG russe Memorial imputent une série d’horreurs. Officiellement, les kadyrovski traquent les rebelles indépendantistes. En réalité, ils se sont spécialisés dans l’enlèvement, la torture et l’exécution de civils innocents, et sont, avec d’autres milices tchétchènes moins connues mais tout aussi « efficaces », les bourreaux d’une population traumatisée. Ils en sont aussi les spoliateurs, puisqu’ils détournent systématiquement les aides allouées par Moscou, aussitôt investies dans des stations-essence et divers commerces. Poutine n’en a cure : grâce à ces supplétifs locaux, il limite les pertes des troupes fédérales russes et maintient la Tchétchénie dans son giron. Non sans crainte, parfois, que sa créature ne soit un jour tentée de s’émanciper.
Mais pour l’heure, Ramzan Kadyrov se meut dans ce chaos avec l’aisance d’un enfant de la guerre qui n’a ni souvenir ni expérience du fonctionnement d’une société normale. Qu’il soit sur les routes ou barricadé dans son fief de Tsentoroï (un village proche de Goudermes, la deuxième ville de Tchétchénie), celui dont les « rebelles » ont juré la perte vit entouré d’une garde prétorienne. Les jours fastes, il se répand en promesses insensées, parle de reconstruire Grozny ou de développer le tourisme. Il y a un an, cet Ubu roi inaugurait un parc aquatique à Goudermes. Aujourd’hui, il propose d’autoriser la polygamie (en principe interdite) pour flatter les riches adeptes d’un retour à la loi coranique et ne pas abandonner les trop nombreuses veuves de guerre. Il organise régulièrement des tournois de boxe qui fascinent quelques jeunes paumés. Lui-même fanatique de ce sport, il cultive le look de l’athlète sympa et se montre sous les lambris du Kremlin accoutré de son éternel survêtement. Poutine ne se formalise pas davantage de la tenue vestimentaire de son vassal que de sa réputation d’assassin et de parfait imbécile. Il lui a même attribué la plus haute distinction de l’État – survivance de l’ère soviétique -, celle de « héros de la Russie ». Pauvre Russie

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