Nostalgies staliniennes
![](/cdn-cgi/image/q=auto,f=auto,metadata=none,width=1215,height=810,fit=cover/medias/default.png)
« Grâce à lui, nous avons gagné la Seconde Guerre mondiale et, de son temps, la croissance était forte », s’exclame Sergueï, un Moscovite de 23 ans. « Il y a du pour et du contre, nuance Tatiana, étudiante à Iaroslav. Il a su mobiliser le peuple dans la lutte contre le nazisme, mais l’aspect négatif, c’était le culte de la personnalité. Je voterais pour lui si ses pouvoirs étaient limités. »
Voter pour Joseph Staline en 2006 ? Poser la même question aux Allemands à propos d’Adolf Hitler ne manquerait pas d’horrifier les Occidentaux. Mais la crainte de voir la Russie sombrer dans le chaos justifie apparemment toutes les indulgences à l’égard de ce pays, et cette hypothèse incongrue semble n’offusquer personne.
A preuve, à l’initiative du magazine américain Foreign Affairs, le très sérieux institut Levada, à Moscou, a réalisé pas moins de trois sondages en trois ans pour constater qu’en dépit de son image de « tyran » l’ex-secrétaire général du Parti communiste, qui dirigea l’Union soviétique de 1928 jusqu’à sa mort, en 1953, n’inspire pas forcément le rejet. Même parmi les jeunes !
Menés en janvier 2003 et en juillet 2004 auprès d’un échantillon de 4 700 personnes, les deux premiers révèlent que 13 % des moins de 30 ans voteraient « sûrement » ou « probablement » pour Staline s’il se présentait aujourd’hui à une élection présidentielle. En outre, tout en déclarant qu’ils ne voteraient « probablement pas » pour lui, 21 % des sondés laissaient entendre que leur choix dépendrait de la qualité des autres candidats. Seuls 46 % se déclaraient résolument hostiles au défunt « petit père des peuples ». Les Russes âgés de plus de 30 ans sont encore plus nombreux à « soutenir » Staline : 30 % d’entre eux se disent résolus à voter pour lui (ou enclins à le faire), 36 % rejetant cette hypothèse.
Mené en juin 2005 sur un échantillon de 2 000 jeunes âgés de 16 ans à 29 ans, un troisième sondage confirme la tendance. Staline, dont 70 % des sondés savent qu’il a « fait torturer, emprisonner et tuer des millions d’innocents », n’est paradoxalement qualifié de « cruel tyran » que par 43 % de ces jeunes. L’ambivalence de leurs sentiments, alliée à d’évidentes lacunes historiques, les conduit même à le qualifier de « leader avisé » (51 % contre 39 %), dont on a « exagéré le rôle dans les répressions » (42 % contre 37 %) et qui, au total, a fait « plus de bien que de mal » (56 % contre 33 %). Ils ne sont que 28 % à lui dénier le mérite de la victoire sur le nazisme. La grande majorité semble ignorer les purges massives qu’il infligea à l’armée Rouge, l’affaiblissant dangereusement à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Les Russes sont d’autant plus nostalgiques du défunt Empire soviétique qu’ils sont confrontés à la pauvreté, à la perte de l’influence diplomatique et au conflit tchétchène. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Poutine, toujours prompt à aller dans le sens de l’opinion, déclarait en 2005, approuvé par 78 % de ses compatriotes, que l’effondrement de l’URSS a été la plus grande catastrophe du XXe siècle. Tous sont d’autant moins tentés de toucher au mythe de la « grande guerre patriotique » et de la superpuissance mondiale que les lendemains ne chantent pas.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- L’État algérien accélère la cadence pour récupérer les biens mal acquis
- Pour la première fois, Mahamadou Issoufou condamne le coup d’État du général Tiani
- Amnesty International demande l’arrêt des expulsions forcées à Abidjan
- Au Niger, Abdourahamane Tiani et la stratégie assumée de l’« anti-France »
- M23 en RDC : cinq questions pour comprendre pourquoi le conflit s’enlise