Jean-François Fourt : « Tous nos cadres, géologues et mineurs sont africains »

Jean-François Fourt, serial entrepreneur passé par la Silicon Valley, a lancé sa propre société, Osead, et racheté une mine de plomb argentifère au Maroc. Depuis, il cherche à se développer en Afrique.

Publié le 11 février 2014 Lecture : 6 minutes.

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Les miniers, de si mauvais voisins ?

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Situé au coeur du 8e arrondissement de Paris, le bureau de Jean-François Fourt ne cadre pas vraiment avec l’image qu’on se fait d’un bureau de patron. Une statuette de Hugo Chávez trône au milieu de divers ouvrages politiques du défunt Comandante, juste à côté d’une veste rouge vif de la Société pétrolière nationale vénézuélienne, négligemment jetée sur une chaise. « C’est Chávez qui me l’a offerte », précise fièrement l’homme d’affaires, devenu proche de l’ex-président révolutionnaire grâce à ses liens avec le Parti humaniste, un courant politique internationaliste et… antilibéral.

Une rencontre qui, au début des années 2000, l’amène aussi à découvrir le continent : « Il avait très envie de se rapprocher de l’Afrique et m’a demandé d’intervenir auprès de certains chefs d’État », explique Jean-François Fourt. Un parcours atypique pour cet entrepreneur infatigable, qui, après un doctorat sur le clonage de la truffe à l’université de Californie, a passé vingt ans dans la Silicon Valley et introduit une dizaine de sociétés en Bourse à travers une autre de ses créations, Innovative Trade Resources.

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Parmi nos projets, la fabrication de lingots d’or sur le continent.

Rentré en France, il fonde Truffle Capital, une société d’investissement qui gère aujourd’hui 600 millions d’euros, levés notamment auprès de fortunes privées françaises et européennes. Enthousiasmé par un voyage au Maroc, il décide en 2006 de créer la société Osead afin de racheter la Compagnie minière de Touissit (CMT), qui exploite des mines de plomb argentifère à Tighza. Coup de chance : le cours de l’argent décuple en quelques années. Mais Jean-François Fourt ne compte pas s’arrêter là. Si l’Afrique ne représente que 10 % des investissements de Truffle, lui-même y passe la moitié de son temps. Il nourrit de grands projets miniers, mais vise aussi l’agro-industrie, les services pétroliers et l’énergie.

Propos recueilli par Nicolas Teisserenc

Jeune Afrique : Pourquoi avoir choisi les mines pour vous implanter en Afrique ?

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Jean-François Fourt : Au départ, j’avais développé une technologie pour séparer les hydrocarbures des schistes bitumineux, qu’on trouve en particulier au Maroc. J’ai fait des essais sur le gisement de Tighza, détenu par la CMT. Les schistes n’étaient pas adaptés à ma technologie, mais j’ai découvert une unité de production minière dotée d’un gros potentiel, et ce malgré sa mauvaise gestion. Comme cette société perdait de l’argent, il n’a pas été difficile de convaincre son propriétaire de vendre. J’en ai fait l’une des plus belles mines du continent.

Que pèse le Maroc dans le chiffre d’affaires d’Osead ?

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Osead réalise un chiffre d’affaires d’une centaine de millions d’euros pour un millier d’employés. Ils sont environ 700 à travailler pour la CMT, qui depuis quatre ans est à la fois la société la plus performante de la Bourse de Casablanca, celle qui connaît la plus forte croissance et distribue le plus de dividendes.

Quels sont vos projets miniers en dehors du Maroc ?

Nous investissons plusieurs millions d’euros par an au renouvellement de nos réserves, et actuellement la production augmente dans nos gisements marocains. Mais nous sommes en prospection active pour des opérations de croissance externe. Nous avons ainsi acquis quatre mines d’or en Guyane, pour 5 millions d’euros, via la CMT.

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Et rien en Afrique ?

Dès la création d’Osead, nous avons commencé à prospecter sur le continent. Par exemple, en Côte d’Ivoire, nous sommes prêts à démarrer l’exploitation d’une mine d’or près de Séguéla, au nord d’Abidjan. Nous avons aussi deux permis d’exploration aurifère au Niger, dans les zones de Téra et de Manda. Tout cela nécessite des années d’investissement.

On aimerait bien lancer ces deux projets en 2014, mais il reste beaucoup de questions administratives à régler. En Mauritanie et en Algérie, nous avions aussi commencé à exploiter des gisements d’uranium, mais nous avons dû arrêter à cause de l’explosion de la centrale japonaise de Fukushima. Nous n’avions pas la trésorerie nécessaire pour attendre que les cours remontent. Aujourd’hui, on est en stand-by dans ces deux pays.

L’évolution des cours des métaux précieux n’est-elle pas un sujet d’inquiétude pour vous ?

Quand on a repris la CMT, le cours de l’argent était à 6 dollars l’once, il est actuellement à 20. L’or est aujourd’hui à 1 200 dollars l’once, mais il est monté jusqu’à 1 700. Nous avons besoin d’un cours à 1 000 dollars l’once pour être rentables. Tous nos business plans sont établis sur des cours plus bas que ceux d’aujourd’hui.

Les groupes miniers mettent de plus en plus l’accent sur la responsabilité sociale des entreprises. Quelles sont vos initiatives dans ce domaine ?

Nous défendons un développement minier raisonnable. Par exemple, je fais intervenir des agronomes avant l’arrivée des géologues. Dans un premier temps, nous faisons du développement agricole autour des mines pour acquérir une véritable légitimité auprès des villageois. Cette approche est extrêmement importante. Nous avons mené des programmes de plantation de jatropha, par exemple en Côte d’Ivoire. Les graines de jatropha peuvent servir à faire fonctionner des groupes électrogènes ou à fabriquer du savon, le tout à destination de l’économie locale. Quand nous envoyons des géologues un ou deux ans plus tard, ils sont bien reçus.

D’autre part, nous faisons travailler seulement des Africains. Au Maroc, je suis le seul « expatrié ». Tous nos cadres sont marocains, et nous avons trouvé la même configuration en Afrique subsaharienne. Nous avons un réseau de géologues et de mineurs de grande qualité. Tous sans exception sont africains.

Les États africains sont nombreux à revoir leurs codes miniers. Quelle est la meilleure formule pour capter la rente sans décourager les investisseurs ?

Il faut toujours moderniser un code minier, car les pratiques, les coûts d’extraction et les techniques changent. Les pays évoluent, les modes de récupération de la rente aussi. C’est la responsabilité de l’État d’établir une stratégie, pour aujourd’hui et pour les générations futures. La Côte d’Ivoire, le Cameroun, le Burkina possèdent un code minier moderne, avec des sociétés nationales qui permettent de prendre des participations.

RSE : nous faisons intervenir des agronomes avant l’arrivée des géologues.

Pensez-vous que les miniers doivent transformer localement leurs minerais, et, vous-même, comment procédez-vous ?

La transformation locale dépend du type de minerai. Les fonderies nécessitent des investissements gigantesques. Pour cela il faut que l’entreprise ait une taille critique. Pour notre part, nous allons le plus loin possible dans la transformation sur place. Dans le cadre de la CMT, nous vendons du concentré d’argent [stade intermédiaire de la transformation]. Nous étions nous-mêmes actionnaires d’une fonderie, mais l’avons revendue. En revanche, en Guyane, nous fabriquons des lingots d’or, et nous voulons faire de même en Afrique.

Nous avons par ailleurs mis au point un système breveté pour valoriser la filière de l’or artisanal dans les pays africains. Cela consiste à apporter des technologies et des machines qui permettent aux artisans de l’or d’aller plus loin dans la valorisation de leur travail. Nous proposons aux orpailleurs de traiter leurs rejets, à la condition qu’ils n’aient pas utilisé de mercure. Nous allons au plus près des zones d’extraction artisanale avec un camion, ou bien nous installons une mini-usine pour traiter les minerais sur place. C’est déjà le cas au Niger, et nous avons le même projet en Côte d’Ivoire.

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