Le vieil homme et la serre

Publié le 6 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Au moment où tout semble aller de mal en pis en Europe, où les voitures brûlent dans les banlieues parisiennes, où des émeutes ethniques éclatent en Angleterre, où l’on érige des murs de plus en plus hauts pour « protéger » les enclaves de prospérité européenne sur le sol africain, il est réconfortant de pouvoir raconter l’anecdote que voici.
Il est quatre heures et demie du matin, le jour n’est pas encore levé, il fait froid et il pleut un peu. Sur une route de Hollande chemine un petit homme assez âgé, un sac de plastique à la main. Soudain une voiture de police apparaît dans la brume et s’arrête au niveau de l’homme qui marche. Celui-ci s’immobilise et attend, résigné, la suite des événements. Deux policiers sortent de la voiture et une discussion assez chaotique s’engage. Il faut préciser que l’homme en question est marocain et qu’il ne connaît que quelques mots de néerlandais bien qu’il réside depuis longtemps au pays de Rembrandt.

Bref, avec quelques mots de sabir franco-maroco-batave et force gestes, les agents de l’ordre ont vite compris quelle est la situation. De toute façon, la petite route où la scène se déroule mène vers la plus grande concentration de serres du pays. Il est clair que ce monsieur se dirige vers son travail, un travail pénible et ingrat, où l’on attrape fréquemment un tour de reins ou un mauvais rhume. Et comme il n’a pas de papiers sur lui et qu’il est bien incapable de s’expliquer, c’est donc un immigré en situation irrégulière. Les ordres sont formels : les policiers doivent conduire ce monsieur vers un centre de rétention, ce qui permettra le jour venu de le mettre dans un avion en direction de son pays natal. C’est la loi.
La force publique embarque donc le pauvre hère dans la voiture toute belle et toute neuve sur laquelle trône un gyrophare et tout ce petit monde prend la direction du poste de police. Chemin faisant, l’un des policiers demande au bonhomme pourquoi il allait à pied vers son lieu de travail au lieu de prendre l’autobus. Après tout, il y a des bus toute la nuit. La réponse les stupéfie : leur client préfère marcher une heure entre La Haye et les serres, dans le noir, sous la pluie, pour économiser le coût du trajet, soit 1 ou 2 euros. Et d’expliquer qu’à la fin du mois, cela fait un peu plus d’argent à envoyer au pays.
Les deux policiers se regardent. Ils semblent réfléchir. Et sans qu’une seule parole ne soit échangée, celui qui conduit la voiture ralentit, puis s’arrête et fait demi-tour. Ils sont bientôt de retour à l’endroit où ils ont arrêté le chemineau. Mais la voiture ne s’arrête pas là, elle continue jusqu’à l’entrée de l’exploitation agricole où se dressent les serres. Arrivés là, les policiers font signe au bonhomme, qui tient encore son sac en plastique à la main, de descendre. Et ils repartent en trombe, après avoir klaxonné en signe d’adieu.
Puisque vous mourez de curiosité, sachez qu’il n’y avait dans le sac en plastique que du pain, un peu de fromage et des olives.
Cette histoire, où il ne se passe finalement pas grand-chose, m’a été racontée par le pauvre bougre lui-même. Il ne sait pas trop quoi en penser. Moi non plus. Des cyniques pourraient dire que les policiers ne faisaient que reproduire, à leur niveau, l’hypocrisie ambiante. On est censé refouler les immigrés, ceux qui veulent travailler, alors qu’on sait bien que l’Europe a et aura de plus en plus besoin d’eux.

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Une autre explication, encore plus loufoque, est que les deux policiers ont été convaincus d’avoir mis la main non sur un Marocain mais sur un extraterrestre. Qu’est-ce que ce type qui économise 1 euro par jour pour faire vivre sa famille chez lui ? Chez lui, ça doit être la planète Mars.
Mais trêve d’explications. Moi, je préfère dire, comme le chantait si bien mon ami Rachid Bahri, qu’il y a des braves gens partout. Même à quatre heures et demie du matin, sous la pluie, sur une petite route de Hollande

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