Les vérités oubliées

La victoire du Hamas aux législatives du 25 janvier est l’aboutissement logique de la politique brutalement expansionniste d’Ariel Sharon.

Publié le 6 février 2006 Lecture : 6 minutes.

L’écrasante victoire du Hamas aux élections palestiniennes du 25 janvier a donné aux dirigeants occidentaux une nouvelle occasion de faire étalage, en toute hypocrisie, de leur politique du deux poids, deux mesures.Plusieurs dirigeants européens ont joint leur voix à celle du président George W. Bush pour inviter le mouvement de résistance islamique à renoncer à la violence et à reconnaître Israël, sans reprocher un seul instant à celui-ci sa politique d’assassinats ciblés, de mainmise sur des territoires palestiniens, de destruction de maisons palestiniennes et d’étouffement de l’économie palestinienne par la multiplication des blocages et des postes de contrôle. Le terrorisme du Hamas est dénoncé, le terrorisme d’État pratiqué par Israël est toléré, et même soutenu.
Comme on pouvait s’y attendre, les amis d’Israël au Congrès américain ont déjà élaboré des projets de loi visant à supprimer toute aide financière à une Autorité palestinienne dominée par le Hamas, à interdire à ses représentants tout déplacement et à fermer les bureaux de l’OLP à Washington. Or c’est précisément cette politique du deux poids, deux mesures qui a conduit les électeurs palestiniens à voter massivement pour le Hamas, et nourri l’antiaméricanisme et la violence qui ont envahi le paysage politique international.
La seule voix discordante est venue de Moscou. Le mardi 31 janvier, le jour même où Bush, dans son discours sur l’état de l’Union, invitait le Hamas à désarmer, le président Vladimir Poutine déclarait dans une conférence de presse : « Notre position sur le Hamas est différente de celle des États-Unis et de l’Europe occidentale. Le ministère des Affaires étrangères russe n’a jamais considéré le Hamas comme une organisation terroriste. »
L’exemple le plus frappant de l’aveuglement occidental a été l’invitation faite au Hamas d’adopter le processus de paix tel qu’il était incarné par les accords d’Oslo et la Feuille de route du Quartet, comme si ces documents avaient de quelque manière fait avancer la cause de la paix. Pour ne citer qu’un seul exemple, le Premier ministre italien Silvio Berlusconi, l’un des plus ardents supporteurs d’Israël en Europe, a qualifié la victoire du Hamas de « très, très, très mauvaise chose ». Un tel résultat, selon lui, fera reculer la cause de la paix dans l’avenir prévisible. C’est une analyse dangereusement erronée.
La vérité est que bien qu’ils soient rituellement invoqués, Oslo et la Feuille de route sont déjà morts et enterrés, parce que l’Occident n’a jamais cherché à les imposer et a, tout au contraire, laissé Israël les utiliser comme une couverture à son expansion territoriale. Il faut de toute urgence repartir sur de nouvelles bases, et la victoire du Hamas en fournit l’occasion.
Oslo et la Feuille de route n’ont pas été vidés de leur contenu par les Palestiniens, mais par le refus obstiné d’Ariel Sharon, Premier ministre d’Israël avant son accident vasculaire cérébral, de négocier avec les Palestiniens, par sa volonté d’agir seul, par sa tentative de mettre fin à l’Intifada en assassinant ses chefs et, avant tout, par sa détermination à fixer unilatéralement la frontière d’Israël très à l’intérieur de la Cisjordanie, grâce au mur de séparation et à la multiplication des blocs de colonies et des zones de sécurité.
Le véritable obstacle à la paix n’est pas la résistance palestinienne, même quand elle prend la forme d’attentats-suicides, mais, selon la formule de Geoffrey Aronson, observateur attentif de la politique israélienne dans les Territoires occupés, « le vol de terres à grande échelle en vue de l’installation de colons ». Dans son dernier rapport publié par la Fondation pour la paix au Moyen-Orient, qui a son siège à Washington, il écrit : « L’occupation – brutale, arbitraire et opaque – par le moyen de la colonisation caractérise aujourd’hui encore les relations entre Israël et les Palestiniens. » La victoire du Hamas doit être interprétée comme une réponse au colonialisme israélien, de même que l’insurrection en Irak est une réponse au colonialisme américain. Dans les deux cas, le problème est l’occupation étrangère d’un territoire arabe. C’est dire que la paix ne sera possible que lorsque l’occupation aura pris fin.
Le fait que, depuis quinze ans, les Américains n’ont pas su ou voulu obtenir d’Israël qu’il mette fin à son occupation, démantèle ses colonies et laisse respirer les Palestiniens est la cause première de l’émergence du Hamas comme force principale de la politique palestinienne. De manière tout à fait comparable, le Hezbollah a émergé comme la force principale de la politique libanaise parce que les États-Unis ont laissé Israël occuper le Sud-Liban pendant vingt-deux ans.
La question clé est aujourd’hui de savoir si un compromis est possible entre une Autorité palestinienne réformée, renforcée et dominée par le Hamas, et un gouvernement israélien dirigé par le Premier ministre intérimaire Ehoud Olmert, chef du nouveau parti de centre-droit Kadima. Beaucoup dépendra des élections du 28 mars en Israël. Si Kadima obtient une nette majorité, Olmert peut encore réserver quelques surprises, peut-être nouer une alliance avec le Parti travailliste d’Amir Peretz.
Sur le papier, les positions des deux camps paraissent trop éloignées pour qu’un accord soit possible. Dans un discours important prononcé le 24 janvier, Olmert a défini en ces termes la stratégie et les aspirations de son pays : « Israël gardera le contrôle des zones de sécurité [où l’on inclut généralement la vallée du Jourdain], les blocs de colonies juives et des lieux qui ont une importance nationale suprême pour le peuple juif, d’abord et avant tout une Jérusalem unie sous souveraineté israélienne. Il ne peut y avoir d’État juif sans Jérusalem pour capitale en son centre Nous n’autoriserons pas l’entrée de réfugiés palestiniens dans l’État d’Israël. »
La réponse est venue de Khaled Mechaal, le chef du bureau politique du Hamas, dans différents discours et interviews récents, ainsi que dans un article publié le 31 janvier par le quotidien britannique The Guardian. Le Hamas, écrit-il, « ne renoncera jamais aux droits légitimes du peuple palestinien. Rien au monde ne nous empêchera de poursuivre notre objectif de libération et de retour ». S’adressant directement aux Israéliens, il déclare : « Notre conflit avec vous n’est pas religieux, mais politique. Nous ne reconnaîtrons jamais à quelque puissance que ce soit le droit de nous voler notre terre et de nous refuser nos droits nationaux. » Toutefois, « si vous acceptez le principe d’une trêve à long terme, nous sommes prêts à en négocier les conditions. Le Hamas tend une main pacifique à ceux qui sont vraiment intéressés par une paix fondée sur la justice. »
Le Hamas demande en fait la réciprocité à Israël. Il arrêtera les attentats-suicides – n’a-t-il pas déjà respecté une trêve de dix mois ? – si, de son côté, Israël met un terme aux assassinats ciblés. Il est prêt à négocier la paix si Israël renonce à sa politique d’expansion, se retire des Territoires occupés et admet que Jérusalem doit être partagée.
Certains pays arabes, en particulier l’Égypte et la Jordanie, qui ont déjà signé des traités de paix avec Israël, se sont, comme les puissances occidentales, alarmés de la victoire du Hamas. L’appel à l’aide et à la solidarité lancé par le Hamas aux États arabes et musulmans risque de les mettre en porte-à-faux et de les faire passer pour des défaitistes et des collaborateurs. L’Égypte cherche à réconcilier le Hamas avec le Fatah, et tente de convaincre le premier de se rallier à la résolution adoptée lors du sommet arabe de Beyrouth, en mars 2002. Celle-ci proposait à Israël des relations pacifiques et normales avec le monde arabe s’il se retirait sur ses frontières de 1967. Sharon avait rejeté cette offre d’un revers de main.
Israël se trouve désormais devant un choix très clair : ou bien poursuivre la politique de Sharon consistant à imposer par la force des frontières israéliennes élargies à une population palestinienne hostile – et se heurter alors inévitablement à une résistance violente -, ou bien examiner la possibilité d’un compromis.
Le monde entier, et particulièrement les amis d’Israël en Occident, devrait peser en faveur de cette seconde solution parce que c’est peut-être la dernière chance de paix pour cette génération avant que les « événements » sur le terrain ne condamnent les deux camps à continuer à se faire la guerre.

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