Les étudiants défient Houphouët

Publié le 6 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Début des années 1980 : les troubles universitaires ne sont pas légion en Côte d’Ivoire. Les étudiants – élite privilégiée – perçoivent des bourses suffisantes comparées à celles de leurs camarades de la sous-région, connaissent moins de difficultés pour trouver un logement, bénéficient de la gratuité des transports.
Le 9 février 1982 à Abidjan, l’allure quasi insurrectionnelle que prend ce qui n’était qu’une simple grogne laisse ainsi un pays sous le choc. Tout commence quatre jours auparavant, lorsque le quotidien national Fraternité matin publie un article intitulé « Fuites et tricheries aux examens, un fléau qui ronge l’université ». L’auteur, sur la base de confidences recueillies auprès des étudiants, décrit par le menu toutes les techniques employées. Il fait suite à un autre article, paru une semaine plus tôt, faisant état d’une « baisse de niveau » qui commence à inquiéter le milieu éducatif.
Blessés, les étudiants décident de réagir. Ils sont deux cents à marcher vers les locaux de Fraternité matin « pour dialoguer avec le journaliste », diront certains, « pour tout démolir », affirmeront d’autres. Soucieux d’éviter l’embrasement, les pouvoirs publics dispersent avec force la petite manifestation. Une émission de télévision qui devait être animée par un étudiant est supprimée, la conférence d’un professeur de lettres est interdite. Deux affronts aux yeux d’étudiants furieux, qui décident alors d’employer les grands moyens.
Le 9 février, des commandos musclés font irruption dans les salles de cours. Les vitres volent en éclats, les professeurs et les étudiants sont dispersés. L’un des doyens est copieusement chahuté, et le recteur lui-même, molesté dans son bureau.
Le pouvoir de Félix Houphouët-Boigny réagit vigoureusement. Les gendarmes bouclent le campus, procèdent à des centaines d’arrestations et conduisent les fauteurs de troubles vers le camp militaire d’Akouédo. Il s’agit, explique un officier, « de les rééduquer le temps qu’il faudra ». La libération des leaders, le soir même, ne suffit pas à mettre fin à la fureur qui s’est emparée du campus. Dans des tracts appelant à la mobilisation générale, les 15 000 étudiants de l’université déclarent alors la grève illimitée. Ils sont suivis par leurs professeurs du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares).
Les mesures de rétorsion tombent. Le bureau politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, parti unique au pouvoir), présidé par le chef de l’État, décide, le 10 février, la fermeture de l’université et des grandes écoles, l’évacuation de tous les campus d’Abidjan et la suspension des bourses. Il déclare la grève illégale et annonce que le Synares n’est plus reconnu.
C’est de ce bras de fer engagé avec le pouvoir d’Houphouët-Boigny que naît pourtant un personnage qui marquera l’évolution du pays. À la tête du mouvement des enseignants se trouve un professeur d’histoire, directeur depuis 1980 de l’Institut d’histoire, d’art et d’archéologie africaine (IHAAA) de l’université : Laurent Gbagbo. L’interdiction qui frappe son syndicat le pousse à créer, dans la clandestinité, l’embryon de ce qui deviendra le Front populaire ivoirien (FPI). Ce n’est certes pas son premier coup d’essai en politique. Ses opinions, depuis toujours farouchement opposées à la politique d’Houphouët-Boigny, lui ont déjà valu quelques soucis. Au début des années 1970, enseignant au Lycée classique d’Abidjan, il faisait partie de l’opposition clandestine avec Bernard Zadi Zaourou, professeur à l’université. Le contenu de ses cours ainsi que ses positions contestataires dérangeaient le pouvoir. Qui le jette en prison ou l’incorpore dans les camps militaires de Séguéla, puis de Bouaké, comme entre mars 1971 et janvier 1973.
Dix ans plus tard, pour éviter de visiter des geôles dont il connaît déjà les moindres recoins, il préfère prendre le chemin de l’exil. Dans le but de lutter, depuis la France, « contre la dictature du PDCI et en faveur du multipartisme », explique-t-il. Il publiera, en 1983, La Côte d’Ivoire, pour une alternative démocratique (L’Harmattan). En 1987, un ouvrage collectif présentait le programme de gouvernement du tout nouveau FPI.

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